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Inventaires, de Philippe Minyana

Des objets et des femmes

Trois femmes participent à un jeu télévisé. Le principe en est simple : chacune doit apporter un objet qui lui tient à cœur, en raconter l’histoire et, ce faisant, raconter la sienne, ses doutes, ses angoisses, mais aussi ses (rares) moments de bonheur. Cette pièce de Philippe Minyana intitulée Inventaires porte bien son titre, car c’est au bilan de vies ratées que l’on assiste. Hélas, le spectacle peine à déclencher les passions. La faute à un texte trop plat ou à une mise en scène ambiguë ?


Jacqueline, Angèle et Barbara sont trois femmes usées par la vie et dont l’incessant babil dissimule péniblement la lassitude et le mal-être. Ce soir, leurs trajectoires se croisent le temps d’un triste spectacle : un show télévisé, dont le principe consiste à faire de son objet fétiche l’ersatz d’une madeleine de Proust. Jacqueline a donc apporté une cuvette, Angèle une "robe de 1954" et Barbara un lampadaire des Galeries Lafayette. Ces objets portent la trace des grandes étapes de leur vie. Autant dire qu’ils en ont vu des vertes et des pas mûres...

Il y a un côté "psychanalyse du pauvre" dans ce procédé à la fois terriblement prévisible et irrésistiblement gênant. Prévisible parce que Philippe Minyana ne fait que réactiver un genre casse-gueule (le monologue introspectif) sans grande originalité, gênant parce que la pièce introduit la question du voyeurisme (télévisuel) qui apparaît gratuite en ce qu’elle ne donne aucune substance à ce déballage sentimental. Le jeu en question est cruel parce que, scindé en plusieurs parties, il accorde un temps de parole de plus en plus restreint aux participantes, qui en sont réduites à évoquer en alternance leurs expériences à la vitesse grand V, sans que jamais cette alternance se solde par un véritable échange. D’une certaine manière, Minyana joue le jeu du présentateur télé en confinant chaque comédienne à son monologue et en évitant que ces trois trajectoires se rejoignent à un quelconque moment. Elles demeurent acculées à une logique de concurrence.

Si les comédiennes sont attachantes (ou, comme l’excellente interprète de Barbara, surprenantes de méchanceté acerbe), le résultat reste englué dans une certaine banalité, qui est avant tout celle du texte. Certes, le théâtre psychologique serait pitoyable s’il s’accrochait à une avalanche de "bons mots", mais ici rien ne fait saillie. On suit cette triple évocation sans passion, sans attente.

Il y avait pourtant matière à émouvoir. Car rien (contrairement à ce que veut faire croire la télévision) n’est fidèle aux apparences. Derrière la bonhomie de Jacqueline, il y a la frustration et la colère. Derrière la candeur d’Angèle, il y a la solitude et le désespoir. Derrière les grands airs de Barbara, il y a l’aigreur, et la souffrance née du manque de reconnaissance. La mise en scène d’Elisabeth Chailloux, vulgaire à dessein, valorise la froideur du plateau ; l’éclairage ne saisit l’une des participantes que pour mieux renvoyer, par contraste, les deux autres au néant de leur vie ratée. L’espace scénique est ambigu parce qu’il se confond avec l’espace du plateau de télévision. De telle manière que l’on ne puisse plus distinguer ce qui est voulu par E. Chailloux (la dénonciation) et ce qui relève de l’ordinaire horreur du régime télévisuel. Difficile, dès lors, de faire la part des choses.

S’il est question d’inventaires dans cette pièce, c’est parce que les thèmes évoqués (vie maritale, divorce, maladie, enfants, vie de bureau, etc.) tournent sans cesse autour d’objets. Il est autant question d’un inventaire sentimental que de l’inventaire des objets qui ont jalonné les vies des participantes. Objets domestiques qui dessinent les contours de la cage dorée où s’enferme Angèle, ou objets utilitaires qui rythment la vie trépidante de Barbara... il n’est question que de cela. Ce matérialisme finit par vider ces femmes de ce qui leur avait un temps permis de vivre : l’amour. Quand on en vient à vouer un amour fou à une cuvette ou à un lampadaire, voire à en chanter pathétiquement les louanges sur un plateau de télévision, c’est que, clairement, quelque chose cloche. Et c’est de justesse que ces trois femmes, sans s’être jamais une seule fois parlé, finissent par révéler ce qui leur est commun, la seule chose qui, au milieu de ces innombrables objets, manque cruellement à leur vie : un homme qui les aime et qu’elles puissent aimer en retour.

par Guilhem Cottet
Article mis en ligne le 27 juin 2004 (réédition)
Publication originale 25 mars 2003

Informations pratiques :
- pièce : Inventaires
- auteur : Philippe Minyana
- metteur en scène : Elisabeth Chailloux

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