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Adaptation, de Spike Jonze

Après Dans la peau de Malkovich, Spike Jonze revient en force avec un film peut-être moins soigné mais tout aussi efficace. Adaptation, c’est l’histoire d’une histoire qui s’écrit sous nos yeux. Plus précisément l’histoire de l’auteur de cette même histoire. Comment écrire sur un tel film ?


Faut-il plaquer sur lui une grille d’analyse, en faire un compte rendu approfondi et détaillé ? A quoi cela rime-t-il exactement de répertorier toutes les mises en abîme (et Dieu sait qu’il y en a !) ? Inutile également de parler de Nick Cage, ni de Meryl Streep, excellents ? Et si plutôt je parlais de moi, non seulement de l’avis que j’ai sur ce film, mais de mes difficultés à écrire cette critique, de l’impasse dans laquelle je m’avance et qui déjà se referme sur moi.

Malgré le succès de son premier scénario, Dans la peau de John Malkovich, Charlie Kaufman (interprété par Nicolas Cage) est rongé par le doute, tant sur son avenir professionnel que privé. Engagé pour adapter un livre tiré de la vie de John Laroche (Chris Cooper), chasseur et trafiquant d’orchidées dans les Everglades, il est totalement bloqué. Comme Susan Orlean (Meryl Streep), la brillante journaliste new-yorkaise qui a écrit le livre, Charlie est incapable de vivre une passion. Son frère jumeau Donald Kaufman (également interprété par Nicolas Cage), qui le squatte, aggrave la situation : non seulement il réussit sans peine comme scénariste, métier qu’il vient juste de démarrer, mais en plus il a un succès fou auprès des femmes, alors que Charlie...

Un jour enfin, Charlie trouve une solution : il va utiliser ses problèmes personnels comme la base d’un scénario sur Laroche et Susan Orlean. Mais alors que l’inspiration vient et que l’histoire prend forme, Charlie va déclencher une série d’événements qui vont bouleverser la vie de tous les protagonistes.

Généralement, la critique trouve son origine origine dans deux moments distincts : le passé de la projection (des impressions, des idées qui sont venues en regardant le film) et le présent de l’écriture (des sensations, mieux : des convictions qui resurgissent au fil de la plume). Mais là, tout s’embrouille : je suis perdu. Je me souviens de quelques phrases marquantes, des quelques scènes singulières, je tente de poursuivre dans cette voie : une phrase, une attitude, celle de Susan Orlean (Meryl Streep) qui pleure sur le cadavre de son bel (bien qu’édenté) aventurier et implore le ciel pour redevenir enfant, cette scène est pathétique, j’ignore pourquoi, elle m’a touché, plus exactement j’y ai senti quelque chose de juste, l’urgence dans laquelle je me trouve pour écrire cette critique biaise-t-elle la perception que j’ai rétrospectivement du film ? Non, je ne rêve pas, ce passage m’a bel et bien intéressé. Alors je fonce ?

Délire critique ?

Panique.

Le magnétophone sous la main, j’enregistre mes moindres idées : New-York, la fille est une intellectuelle mariée à un intellectuel maigre, grisonnant et emmerdant, elle est brillante mais triste, elle n’est passionnée par rien, ne s’étonne de rien, et cela la fatigue de ne pouvoir aimer, de ne pouvoir sentir, alors elle part à l’aventure pour retrouver son enfance, pour que ce type, l’aventurier sale et génial, lui donne du frisson, de l’amour, de la passion du monde. Elle est prête à tout, à retourner avec lui, à se droguer, à partir dans les marais chasser l’orchidée, pourvue qu’il y ait l’ivresse et, in fine, la sensation d’être une autre, de vivre autrement, comme avant ? Stop, je ré-écoute pour voir si c’est bon, mais une idée surgit au moment même où j’appuie sur "Play" : natif du Connecticut et étudiant à Boston et NY, le scénariste qui a commis cette fanfaronnade ne démériterait pas dans une comédie de Woody Allen. Etait-ce vraiment nécessaire de le dire ?

Trop tard, c’est enregistré. Serais-je à bout ?

Déjà !

Non, il faut gesticuler encore, s’agiter la tête, trouver un retournement, un motif, une référence : adaptation, orchidées, Floride, Spike Jonze, Fat Boy Slim, pubs, Human Nature, Michel Gondry ? Oui, ce scénariste a commis bon nombre de scénarii atypiques. Human Nature, en l’occurrence était frais et généreux.

Mais au fait, pourquoi Spike Jonze a-t-il fait autant de pubs ? Fausse route.

Adaptation est-il un film drôle ? Sans doute. Complexe ? Bien sûr. Trop ? Suffisamment pour souhaiter redevenir enfant.

Moi aussi ? Sans doute ? Ce film est-il fait pour moi ? J’en doute ? Mais alors qu’en penser ? Que je m’y retrouve.

La belle affaire.

Et les autres ? Je les oubliais. S’y retrouvent-ils ? Oui, s’ils sont scénaristes, écrivains, créateurs en tout genre, oisifs et speedés, si leurs nuits ne ressemblent à celles de personnes, si chaque jour est l’occasion pour eux de se remettre en cause, de s’injurier, de se diminuer, si la dépression les guette ou qu’au contraire ils s’épanouissent dans leur décrépitude ? Après tout, seule l’oeuvre finale compte.

Où suis-je ?

Ai-je fini ?

Je crois bien.

Me suis-je mordu la queue comme dans le film, à faire ce que initialement je ne voulais pas faire, parler du film, raconter une histoire ? Qu’allez-vous penser de moi, vous qui souhaitiez penser quelque chose du film ? Me haïssez-vous déjà ? Une seule solution. Achetez une place, et foncez !

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 23 juin 2004 (réédition)
Publication originale 20 mars 2003

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