Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Cinéma > article

The Sea

Chronique d’une désertion

Agust a quitté l’Islande pour suivre ses études de gestion à Paris, qu’il a rapidement abandonné pour se consacrer à sa passion : la musique. À la demande de son père, il accepte de revenir après plusieurs années dans son pays natal, bien qu’il redoute de l’affronter, car il n’a jamais trouvé le courage de lui avouer la vérité. Accompagné de Françoise, sa fiancée française, il débarque dans un village coincé entre la mer et les fjords, éloigné de tout et replié sur lui-même.


Après s’être attaché à dépeindre les pathétiques frasques d’un jeune désoeuvré dans 101 Reykjavik, Kormákur s’éloigne de la capitale sans pour autant renoncer à filmer la brutale transformation de la société islandaise.

Le film débute abruptement sur le départ précipité d’un jeune homme et de son amie française pour l’Islande. Là-bas, sa famille l’attend : son frère hésitant et faible, sa belle soeur hystérique et têtue, sa soeur frustrée et traumatisée, son neveu silencieux et débile. Tout ce joli monde s’apprête à se retrouver, convoqué par le père de famille pour une raison encore mystérieuse. Le décor est posé, et les ingrédients présents pour un film détonnant.

Car en réalité, c’est bien le propos de ce film, de détonner, d’opposer violemment deux générations, deux cultures, qui accusent ce que l’autre espère. The Sea est somme tout assez proche de ces films scandinaves qui s’attachent à filmer la dissonance à l’oeuvre entre des traditions issues du passé (souvent celles du silence) et un présent qui cherche à s’affranchir (notamment par la révélation). Festen compte parmi les films les plus célèbres de ce genre. The Sea joue sur les mêmes ressorts de la révélation et du scandale pour montrer du doigt une micro-société isolée de tout (le village où se déroule l’histoire est à dix heures de route de Reykjavik), profondément marquée par le passé (reposant sur l’industrie du poisson, elle en porte encore l’insupportable odeur), qui part à la dérive, vers sa disparition. Les hommes, peu à peu, quittent en effet le navire. The Sea est la singulière chronique de cette désertion.

Singulière, car elle étonne par sa violence et il faut bien le dire - pour nous, continentaux - par son exotisme. Elle parvient, en passant de la violence symbolique à la violence réelle, à monter que le futur, pour advenir dans une société aussi archaïque que celle-ci, s’accouche dans la souffrance. Comme si le scandale était nécessaire et sa représentation bienvenue, pour expurger ce que ce pays à sur le coeur. Le cinéma social : des images sur la société, pour la société.

Lorsque le navire a sombré et que l’homme à disparu, seul le paysage demeure, superbe et terrifiant. Il est l’espace à la fois spectateur (seul lui demeure inchangé ) et acteur, celui vers lequel les personnages se tournent dans la crise qu’ils traversent. Il est lieu de l’abandon, de la perte de soi au sens propre comme au sens figuré. Les montagnes enneigées, les fjords noirs, tout fait de ce décor baroque le théâtre d’une tragédie où les hommes voient dans l’immensité leur délivrance, qu’elle prenne la forme d’un déchaînement ultime, d’une errance passagère, ou de la mort. Le paysage ici est la clé de voûte de l’intrigue, le personnage immuable d’une comédie qu’il impose aux hommes, comme une condamnation.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 4 avril 2005 (réédition)
Publication originale 22 mars 2003

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site