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Le Dragon, de Evgueni Schwartz

Mélange des genres. Le Dragon, c’est celui que Lancelot terrasse, mais aussi un dragon qui a la faculté de prendre forme humaine pour commercer avec les hommes et imposer sa terreur. Une attaque au despotisme, mais tout en délicatesse. Schwartz ou le Hergé moscovite.


Le thème de la pièce de Schwartz s’inspire d’avantage de la tradition orale du Moyen Âge que des évènements qui agitaient l’Europe durant les années 30. Et pourtant elle subira successivement la censure nazie et soviétique. Sa critique du pouvoir tyrannique, quoique légère et proche de l’univers d’Ubu, ne pouvait pas passer. Achevée en 1942, la pièce ne sera réellement exploitée que vingt ans plus tard. Cette dimension a malheureusement perdu beaucoup de son sens aujourd’hui, et semble réduite à l’anecdotique, tant la distance opérée par la forme rend la pièce intemporelle et universelle. Et c’est dans ce sens qu’ont travaillé tous les membres de l’équipe du Théâtre du Peuple : une multitude d’inspirations qui fait ressortir l’aspect "féerique" de la pièce de Schwartz, par ailleurs auteur de conte, pièces pour enfants et pièces pour marionnettes.

Le travail réalisé pour la scénographie est particulièrement inventif. Les décors sont, à l’image d’un Picasso, et en nuances de gris, réalisés en perspective cubique. Mais leur utilisation est à égalité avec celle de drapés. Outre leur rôle conventionnel lors des apparitions/disparitions, de nombreuses scènes exploitent la technique des ombres chinoises. Ces composantes participent à une vision de la pièce empreinte de naïveté, de pureté. Elles permettent également de relayer un des thèmes principaux du Dragon : la manipulation des masses et l’opinion publique. Sous des abords apparemment sains, les individus, craintifs et divisés, ne s’expriment que pour montrer leur allégeance au pouvoir établi. Leurs costumes haut en couleur qui contrastent avec la blancheur de la scène, ont comme point commun une perruque (tel un carcan mental), dont seuls Lancelot et le Dragon, habillés dans des teintes sombres, sont dépourvus.

(JPEG)Cette symbolique appuyée participe à une lecture grotesque de la pièce. Enfin la musicalité du texte est accompagnée par deux musiciens, véritables hommes orchestres (Marc Barnaud et Arthur Besson) jouant d’instruments variés et anciens, qui rapprochent l’histoire de Lancelot de celle de Pierre et le Loup. Les passages chantés en chœur par les habitants rappellent également, par la simplicité de la propagande qu’ils relaient, les comptines pour enfant. La distribution, soumise à une forte contrainte, participe également à l’inventivité de la mise en scène. Pour vingt rôles masculins, Christophe Rauck disposait de huit acteurs. Chacun des éléments de la scénographie joue aussi à pallier à ce manque : costumes, ombres chinoises, et multiplications des rôles secondaires pour les comédiens, qui amènent notamment John Arnold (jouant tour à tour le Dragon, le marchand ambulant, le geôlier et le scribe) à nous donner une performance d’acteur particulièrement riche.

Cette vision du Dragon semble être autant celle de la traductrice que du metteur en scène. Le texte, de par son champ lexical, n’évoque jamais les thèmes récurrents de l’univers nazi, même si ceux-ci peuvent s’exprimer aisément dans nombre de situations : le sacrifice des jeunes filles au Dragon, la rivalité pour le pouvoir entre le Bourgmestre et son fils, l’usurpation de la victoire de Lancelot par ce même Bourgmestre, et surtout le contrôle de l’information. Malgré tout Schwartz n’a pas la rudesse de Brecht, et une adaptation de l’auteur aujourd’hui se légitime davantage pour le matériau théâtral qu’il propose que par le message qui l’inspire. En effet, en tant que relecture de l’histoire de Lancelot, la pièce offre une richesse et une drôlerie absente de la version d’origine. En associant à la symbolique de la chrétienté celle des régimes totalitaires, Schwartz fait de son Dragon un objet scénique singulier, inédit, à mi-chemin entre la critique sociale et le conte pour enfant, tout en restant accessible à tous.

par Maxime David
Article mis en ligne le 1er novembre 2004

Informations pratiques :
- pièce : Le Dragon
- auteur : Evgueni Schwartz
- metteur en scène : Christophe Rauck
- lieu : Théâtre du Peuple

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