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Chère Eléna Serguéiévna, de Ludmilla Razoumovskaïa

Une mise en scène remarquable (de Didier Bezace) de Chère Eléna Serguéiévna, où s’affrontent idéalisme sous couvert de propagande soviétique et vices d’une jeune génération russe désemparée. Un spectacle bouleversant.


Ludmilla Razoumovskaïa est russe. Née en 1949 à Saint-Pétersbourg, elle a d’abord bénéficié des bontés du ministère de la Culture soviétique, qui lui commande une pièce en 1980. Elle écrit alors Chère Eléna Serguéiévna, l’histoire d’un professeur de mathématique russe qui reçoit, le jour de son anniversaire, la visite de quatre de ses élèves de la terminale B, ayant à peine rendu, le jour même, leur dernier examen de mathématiques pour le baccalauréat. Cette pièce fut jouée à plusieurs reprises en 1983 en Estonie avant d’être censurée et l’auteur inscrit sur la liste noire du régime. Elle trouva plus tard, une postérité en Europe occidentale avant d’être traduit en français et montée dans notre pays.

(JPEG)Cette pièce est profondément déstabilisante. D’abord parce qu’elle met en scène un professeur vieillissant, ayant intégré les mots d’ordre de la propagande soviétique et s’accrochant à des idéaux déçus face à quatre jeunes lycéens, en révolte contre un système qu’ils trouvent injuste et prêts à tout pour ne pas en suivre les règles. Ensuite parce que le thème essentiel de cette pièce selon l’auteur est le Mal. Mais quel est le mal ? La première réaction est de l’attribuer à ceux qui n’ont aucune valeur et manipulent les autres... mais le mal n’est-il pas aussi en celui qui véhicule un discours écrasant sans y croire lui même ? Ludmilla Razoumovskaia dépeint une Russie viciée, misérable, malheureuse et dont les jeunes générations désespérées n’ont plus qu’un recours : la violence.

La mise en scène de Didier Bezace est particulièrement intéressante de ce point de vue. Il évite tout pathos ou fausse tension cinématographique en condensant les échanges autour d’une longue table qui fait face au public. Les phrases fusent sans que les regards se croisent réellement. La tension en est renforcée par ces corps statiques, en attente, où tout est suggéré par les mots sans que les corps se touchent presque. La dimension hypocrite et manipulatrice en est renforcée.

L’interprétation d’Eléna (Sylvie Lebrun) est absolument magistrale, tout comme celle de ses partenaires, mais peut-être encore plus éprouvante par le chemin vers la désillusion sur lequel elle s’avance sans oser y croire et la force qu’elle trouve quand tout s’effondre autour d’elle ! Sublime tirade : "Debout !... Vous parlez à votre professeur ! Petits morveux ! Vous voulez m’apprendre à vivre ! Comme si j’étais un bébé ou un chaton aveugle à qui on met le nez dans la merde... Une jeune demoiselle hystérique qui porte à son nez un mouchoir parfumé ! Des porcelets qui se mettent à couiner en voyant un couteau ! La méchanceté, l’hypocrisie, la bassesse je connais ça autant que vous. Vous croyez m’étonner ?..."

par Pauline Beaulieu
Article mis en ligne le 29 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 16 novembre 2003

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