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Intimité, de Patrice Chéreau

Le mystère des corps

On ne sait pas qui s’accroche à l’autre, qui court après l’autre, mais un fait est que tous les mercredis à la même heure pile, Claire sonne à la porte de la maison délabrée, typiquement londonienne, dans laquelle habite Jay. Ils ne se disent rien ou si peu. Le rituel est toujours le même, devient de mieux en mieux rodé au fil de leurs "séances" hebdomadaires, Jay monte les escaliers, Claire le suit, ils vont dans le salon, se déshabillent presque mécaniquement et font l’amour. Après quoi, Claire s’en va.


Mais l’histoire ne s’arrête pas là, Chéreau ayant adapté plusieurs écrits de Hanif Kureishi dans ce même film, on découvre à côté de cette relation purement sexuelle (adaptée de deux nouvelles de Kureishi : Veilleuse et Des bleus à l’amour) les personnages très contemporains de Kureishi. Dans son roman Intimité, l’auteur raconte le monologue intérieur d’un homme, pendant sa dernière nuit auprès de sa femme et de ses deux enfants, qu’il s’apprête à quitter.

Pourquoi Londres, pourquoi en anglais ? Le réalisateur et metteur en scène franco-français Patrice Chéreau qui parle un anglais approximatif s’est expatrié pour tourner ce film très anglais. Mais ce choix, contrairement à ce que certains en ont dit et en diront se comprend et se justifie très aisément.

Kureishi, romancier anglais, décrit dans ces romans, nouvelles et scénarios une ambiance très british pour ne pas dire londonienne, et pour Chéreau fan de l’auteur depuis My Beautiful Laundrette, il était évident dès le départ qu’il devait tourner ce film à Londres dans une "société plus dure et plus fermée que la nôtre. J’ai pensé tout de suite que tourner le film à Courbevoie ou boulevard Haussmann aurait donné quelque chose de terrible auquel je n’aurais plus rien compris". Et nous non plus d’ailleurs. Ceci dit Chéreau n’a pas fait un film 100% anglais, on remarque bien à sa manière de filmer les acteurs et la ville qu’il ne s’agit pas d’un film anglais.

Au sujet de sa manière de filmer, lors de la projection du film à Berlin, les scènes de sexe très crues ont quelque peu heurté certains esprits puritains. Il faut dire que ces scènes sont filmées au plus près et au plus juste. S’il existe une tendance ces derniers temps dans le cinéma français (mais pas seulement) à vouloir provoquer en montrant du sexe très cru vulgaire, je pense notamment à l’opus de Virginie Despentes le fameux Baise-moi, le film de Chéreau pourtant très sexuel ne s’y inscrit pas. Le réalisateur s’est fixé quelques règles pour ces scènes, il n’a jamais utilisé la caméra sur l’épaule pour les tourner, il a tenté de ne jamais voler les plans et surtout il a fait strictement ce qui était écrit dans le scénario, chaque geste étant répété, sans laisser aucune place à l’improvisation. Et, surtout ce dernier point, ça paie. Rarement l’acte sexuel aura été aussi crédible à l’écran et ne serait-ce que parce que Chéreau se refuse catégoriquement d’embellir ses acteurs. Au contraire, il fait ressortir les peaux qui deviennent de plus en plus rouges au fur et à mesure que Jay et Claire s’aiment, "la transformation incroyable des visages et des chairs qui s’opère sous nos yeux". Ce ne sont certes pas les plus belles scènes de sexe vue au cinéma ni les plus érotiques, mais elles sont justes, crédibles et surtout au-delà du pénible.

Chéreau réussit à montrer ce qu’il voulait montrer, non pas le sexe, mais l’intimité de deux corps, de deux êtres. Et il réussit à capter cette naissance d’un sentiment d’amour, il soulève la question de savoir où débute l’amour. Ne s’agit-il que d’un manque créé, d’un vide à remplir, d’une attirance physique ? Comment peut-on tomber amoureux de quelqu’un à qui on n’a jamais parlé, que l’on ne connaît que à travers son corps. Retour aux rapports les plus primaires ? Que Jay commence à s’intéresser à la vie de Claire c’est naturel, il fait l’amour avec elle toutes les semaines et ne connaît même pas son prénom. Mais tombe-t-il fou amoureux d’elle parce qu’il apprend à la connaître à travers ses filatures, parce qu’il couche avec elle ou parce qu’à cause de ses présences il s’aperçoit des vides laissé par ses absences ?

Chéreau saisit le début de l’insaisissable en nous laissant malheureusement sans réponse à la question éternelle du qu’est-ce que l’amour ?

par Samantha Tanson
Article mis en ligne le 22 juin 2004 (réédition)
Publication originale 28 mars 2001

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