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Marie-Jo et ses deux amours

Tragique histoire d’un trio amoureux dans un magnifique cadre marseillais, Marie-Jo et ses deux amours est un nouveau Jules et Jim, la légèreté en moins, mais à la poésie et à la douleur toujours aussi vives.


(JPEG)Si Marie-Jo et ses deux amours s’ouvre sur une citation de Dante, ce n’est sans doute pas un hasard : le nouveau film de Robert Guédiguian nous propose une douce descente dans les cercles de l’enfer. Et pas n’importe quel enfer. Celui des amours impossibles qui détruisent peu à peu tous ceux qui l’approchent. Comme son titre l’indique, le film parle d’un triangle amoureux. Il y a donc Marie-Jo (Ariane Ascaride), son mari Daniel (Jean-Pierre Daroussin), avec qui elle a une fille d’une vingtaine d’années (Julie-Marie Parmentier, déjà magnifique en jeune ado enragée dans La vie ne me fait pas peur de Noémie Lvovsky), et l’amant Marco (Gérard Meylan). A partir de ces trois personnages principaux, auxquels vient s’ajouter par moments celui de la jeune fille comme nouvelle pièce du drame, le film met en place un petit jeu mathématique. Il va expérimenter toutes les combinaisons possibles et imaginables à la recherche de l’équilibre parfait. Celui qui satisferait tous les personnages à la fois. Marie-Jo et ses deux amours est le film de cette quête impossible. Celle d’une harmonie idéale se heurtant sans arrêt à la réalité des sentiments. Le film est d’un romantisme noir et passionné qu’annonce d’emblée la première scène. On y voit Marie-Jo au bord de la mer, un couteau à la main. Autour d’elle, rien ne justifie un tel ustensile. Le drame n’est pas loin, qui rôde cruellement.

(JPEG)Si la tragédie est doublement annoncée, il ne reste plus à Guédiguian qu’à s’attacher au détail de cette histoire, à son lent déroulement. Les relations entre les trois amoureux sont décrites avec minutie. Le cinéaste s’attarde longuement sur chacun des personnages pour mieux en saisir le parcours, l’évolution psychologique. La caméra du cinéaste s’attarde particulièrement sur leurs corps. L’amour, comme le drame, est d’abord une histoire de chair. Il n’est donc pas étonnant que tout commence à partir d’une simple trace de couteau sur un poignet. Cette marque va attirer l’attention de Daniel sur le moral de sa femme, sans qu’il sache qu’il est déjà trop tard, qu’elle le trompe depuis quelques mois avec un autre homme. Cette attention marquée aux corps vieillissants de ses personnages leur insuffle une présence émouvante. Les trois acteurs sont d’ailleurs magnifiques. Mis à nu par la caméra de Guédiguian, ils n’en sont que plus poignants et naturels.

C’est donc un jeu cruel qui s’installe entre ces trois là. Le film bascule sans arrêt d’un couple à l’autre sans jamais oublier l’exclu. C’est là que se joue le drame du film. Les trois personnages sont constamment liés par un montage d’une parfaite beauté et d’une grande cruauté. Il n’y a jamais d’absent. Le tiers vient constamment s’immiscer au milieu des scènes des deux autres, soit physiquement par l’entremise d’un montage alterné, soit dans la pensée d’un des membres du "couple". Les corps résistent, comme celui de Marie-Jo, prisonnière de la ville dans de longs fondus enchaînés. Le tiraillement du personnage principal, c’est aussi celui d’un film qui balance entre spontanéité et gravité, drame et éloge de la vie, la solennité de la musique classique coexistant avec la légèreté de la variété, de Manu Chao à France Gall.

(JPEG)Ce qu’il y a de plus fort dans le film, c’est son rapport au temps. Vers la fin, un vieux patient de Marie-Jo qui gagne sa vie en transportant des malades, lui explique comment il se saoûle tous les soirs pour se souvenir d’une vieille histoire d’amour dont il ne reste aujourd’hui plus rien. Au lieu d’être quelque chose de triste, cette mémoire est la dernière chose qui reste au personnage, ce qui le rattache encore à la vie.

Ce deuil est celui que Marie-Jo ne peut pas faire. Pour elle, le temps s’est arrêté sur ce tiraillement. Elle aime ces deux hommes de la même manière et ne peut vivre ni avec un seul, ni avec les deux. Son amour doit toujours être plein, occuper toutes ses heures, ses pensées. Malgré cette impossibilité, les personnages s’efforcent toujours de croire qu’une solution est possible. Ce volontarisme fait toute la beauté de cette histoire d’adultère. Marie-Jo se lance à corps perdu dans une histoire puis une autre, alternativement sans jamais se décourager. Comme le personnage principal du New Rose Hotel d’Abel Ferrara, elle est condamnée à revivre la même souffrance jusqu’à la fin des temps. Marie-Jo et ses deux amours travaille la répétition : le film avance mais ne progresse pas. L’énigme de ce trio est sans solution. C’est ce que nient les personnages, et c’est ce qui les mène à leur perte. Cette négation reste cependant le seul moyen pour eux de vivre quelque chose de beau, fort et profond, même pour une semaine ou le temps d’une danse.

Marie-Jo et ses deux amours est aussi fait de grands moments de bonheur que chacun gardera pour toujours avec lui : une fête d’anniversaire, les premières retrouvailles à temps complet de Marie-Jo et Marco. La beauté de ces instants, tout comme la beauté d’une Marseille absolument magnifique, accentuent la dimension tragique du film. Grâce à Robert Guédiguian et aux trois interprètes, ce trio amoureux figé dans le temps est désormais figé sur pellicule et dans nos coeurs.


De Robert Guédiguian, découvrez la critique de La ville est tranquille.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 24 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 27 juin 2002

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