Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Scènes > article

Artistes

Comme un chant de David

Dix ans après avoir monté Paroles du Sage avec un seul comédien, Marcial di Fonzo Bo ― spectacle tiré de L’Ecclésiaste ―, Claude Régy montre une fois encore sa proximité avec la Bible et propose au Théâtre de la Colline une mise en scène de quelques psaumes de David avec Valérie Dréville. Pour ces deux expériences théâtrales , il a collaboré avec le traducteur poète et linguiste Henri Meschonnic.


Les spectateurs entrent dans le noir. Avec pour seule source de lumière une ampoule pendue au plafond et située au centre de l’aire de jeu. Par la disposition quadrifrontale du public, les spectateurs ― volontairement peu nombreux ― sont en vis-à-vis, sur deux rangées qui délimitent l’espace scénique. Chacun sent que quelque chose d’inhabituel va se passer... Claude Régy parle d’une expérience spirituelle. La lumière s’éteint progressivement... Le spectacle commence.

L’entrée de Valérie Dréville provoque le bouleversement, et d’emblée le phrasé de la comédienne surprend. Le travail de surarticulation qui privilégie les rythmes et les sons invite le spectateur à s’interroger sur la signification de la parole, sur son poids et sa résonance scénique. Claude Régy attribue également ce pouvoir à la traduction exécutée par le poète-linguiste Henri Meschonnic, "attentive au rythme, à la syntaxe hébraïque, à l’écho des sons répétitifs".

Errance et interrogations

Les genres des Psaumes sont variés : ils peuvent être hymnes de célébration, chants, supplications, lamentations ou prières. Les Psaumes de David ici présentés disent la solitude de "l’homme sans Dieu", conception qui sera la matrice des pensées de Pascal. L’être humain supplie, appelle au secours. Ces cris dans le désert dévoilent un être mis à nu, fragile et abandonné. La prière s’élève pour tenter d’atteindre l’Etre que l’on implore et qui écoute : "Adonaï a écouté la voix de mes pleurs, Adonaï a écouté mon appel à la pitié" . Mais qui ne répond pas : "Tout l’homme écoute ma prière, Adonaï, et mon cri. Non, ne fais pas silence".

Par la création d’un espace à la fois clos et illimité, la scénographie marque l’enfermement en même temps qu’elle ouvre une aire d’errance. Dans des déplacements d’une simplicité extrême ― des traversées à la perpendiculaire ou en diagonale ―, Valérie Dréville parcourt le carré de lumière, espace vide et désertique. Ses gestes minimalistes et chorégraphiés structurent l’espace. La fixité de son regard offre un horizon, emmène le spectateur vers un ailleurs tout en le retenant ici, où le cri se profère. Un lieu que l’interprète explore et foule de pas réguliers et lourds.

Le travail sur la prosodie et la langue produit l’émergence du questionnement. La valeur du mot et l’attention portée aux sons qui le composent favorisent la perception de l’énigme : l’énigme est posée et aucune réponse ne vient combler le manque. La force de la parole tient dans son caractère essentiel : par le fait même de nommer, elle fonde les êtres et les choses. Elle appelle et va s’égarer au loin, seuls l’écho et la résonance dans l’esprit et le corps du spectateur répondent. Peut-être la réponse est-elle à trouver dans la continuité d’hier à aujourd’hui ― c’est ce que semble suggérer Claude Régy : "Les Psaumes de David ont 3 000 ans. A travers eux s’entendent toutes les guerres du Moyen-Orient depuis les origines et celles aujourd’hui d’Irak et de Palestine. Ancien et moderne s’entrecroisent. Sous les guerres, on entend l’inquiétude de notre conscience ― son affolement". David est le premier roi à avoir régné sur les douze tribus d’Israël. C’est à lui que Dieu a fait la promesse : "Je fixerai un lieu à mon peuple d’Israël... Il ne sera plus ballotté et les méchants ne continueront plus à l’opprimer". Il est intéressant de savoir que les trois religions (juive, chrétienne, musulmane) se sont appuyées sur ces psaumes pour se construire.

Un spectacle en tensions

(JPEG) Tout entier bâti sur des systèmes d’opposition, Comme un chant de David joue de ces antinomies et il en résulte une unité et une harmonie. Ne pas séparer les contraires mais les unir : telle est la globalité du projet théâtral de Claude Régy. "Et la nuit comme le jour donne la lumière. Pareille l’ombre pareille la lumière" dit le texte des Psaumes de David. Le contrepoint entre ombre et lumière assimile les entrées et sorties de la comédienne à des apparitions et disparitions, et questionne la réalité de ce qui est vu ou deviné. Seule sur le plateau, la comédienne n’est parfois qu’une ombre dont on saisit les contours, un fantôme que l’on voit passer, une âme à la dérive. Les variations de lumière permettent les oscillations entre la voix et le corps : l’ombre parlante devient de plus en plus concrète et visible, les limites se dessinent et l’indéfini laisse place au défini. De même, une tension se joue entre le vide et le plein : au vide scénique et délimité par les jeux de lumières répondent la corporéité et la parole de l’interprète ― parfois inconsistante, même ― qui remplissent les trous : les mots comblent l’espace, l’ordonnent et lui font acquérir une matérialité aux significations multiples. L’esprit et la matière participent ensemble du refus du metteur en scène de faire un "théâtre-représentation". Ce rejet profond du naturalisme se nourrit du mouvement entre absence et présence : les mots ne disent que l’absence et l’appel. La voix détruit le silence qui devient ainsi matriciel et fécond : dans cette voix presque atone subsistent des restes de silence, des intervalles ― espace de liberté et de sens, d’interprétation pour le spectateur attentif. Et de même dans le silence résonne encore la voix de Valérie Dréville, comme une litanie. La "parole parle"(pour reprendre une expression de Maurice Blanchot) mais sait aussi se taire.

Tous ces jeux de tensions, qui apparaissent très formels dans le corps du spectacle, permettent de tisser des liens, d’esquisser des interprétations... mais il s’agit avant tout d’une "expérience". Faire l’expérience de la voix, du silence, du noir, du vide crée des situations-limites. Régy se plaît à se situer aux bords. Seul le spectateur peut franchir les frontières pour passer de l’autre côté. La profondeur de ces tensions tient dans le tiraillement entre la tranquillité et l’intranquillité qui règle le déroulement du spectacle. Une voix appelle et crie sa solitude, mais le spectacle tend à la sérénité. Des sons parfois font sursauter la conscience et détruisent le calme plat apparent : ce sont des sons qui grondent de la terre, violents et sourds, rompant avec l’égalité de la voix humaine. Longtemps, le spectateur gardera imprimé dans son esprit cet "état d’incertitude".


Comme un chant de David

Traduction des Psaumes : Henri Meschonnic

Mise en scène : Claude Régy

Interprétation : Valérie Dréville

Du 18 janvier au 23 février 2006. Théâtre de la Colline, Grand Théâtre.

par Coralie Salonne
Article mis en ligne le 15 février 2006

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site