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Bread and roses

Quand Ken Loach s’attaque à l’Amerique

La première image de Bread and roses, c’est un visage. Celui de Pilar Padilia, actrice très "Loachienne" dont la présence irradie le film. Loach a tout de suite su que c’était cette jeune actrice sans expérience qui devait incarner Maria. Elle ne parlait pas un mot d’anglais. Tant pis : elle apprendrait. Et on retrouve dans le choix du casting, souvent de vrais janitors (employés de ménage), et dans la direction d’acteurs la maîtrise et l’humanité qui caractérisent ses films.


Ce qui est certain, c’est que ce film m’a donné la pêche et ça n’arrive pas si souvent que çà. Peut-être avez-vous trouvé que le scénario manquait d’originalité et que les retournements de situation étaient attendus. Peut-être avez-vous souri devant certains discours idéalistes trop simplistes. Peut-être avez-vous trouvé le film trop didactique. Mais pourtant il y a une chose dans ce film qui en fait un objet de cinéma précieux et puissant et qui m’a emballé à un tel point que j’ai été totalement emporté le propos, les images et les personnages, c’est l’honnêteté dont le réalisateur fait preuve.

Le parti-pris de Ken Loach est ici le même que dans ses films précédents (Land and freedom ou Carla’s song par exemple) : le cinéma est un merveilleux vecteur d’émotions qui permet à qui veut bien se laisser prendre au jeu une identification intime au destin d’un ou plusieurs personnages. Et Ken Loach se sert de ce véritable pouvoir du cinéma pour promouvoir son idéal de justice, pour montrer aux autres la situation intenable dans laquelle se trouvent ou se sont trouvés une poignée d’individus. Et très souvent, ce souci de faire avant tout du cinéma, "malgré" un sujet social, fonctionne merveilleusement bien. On ressort ici de Bread and roses avec une plus grande appréhension de la réalité quotidienne des "gens de ménage" de Los Angeles, et surtout une pleine adhésion à leurs revendications aux combats qu’ils ont pu mener ou qu’ils mèneront plus tard. Comme on sortait d’ailleurs de Carla’s song avec une furieuse envie de défendre le peuple du Nicaragua !

Alors oui, les idées tendance marxistes défendues par le film ne sont pas nouvelles et sont parfois expliquées un peu lourdement pour qui s’y est déjà un peu intéressé. Mais il n’empêche qu’on sort de la salle en étant convaincu que les fondements marxistes sont essentiels à la compréhension de la réalité sociale, et surtout qu’ils sont motivés par un profond respect pour les notions d’humanité et de justice. Et cela est même valable pour les gens comme moi a priori hostiles à toute valorisation positive des idées et des régimes communistes.

Mais trève de bavardage. Ce qui retient surtout l’attention, c’est le sens du cinéma que Loach déploie dans ce film, un regard toujours juste et une maîtrise de la narration pas si fréquente que ça chez les cinéastes qui défendent dans leurs films leurs points de vue sur la société. Grâce à une mise en scène toujours nerveuse, basée sur une caméra très mobile, sans effet excessif mais qui ne craint pas les plans rapprochés histoire de capter toutes les émotions livrées par un visage, le réalisateur place son récit à la même échelle que les protagonistes du film. Si les premier plans sont quasi subjectifs (la course vers la voiture qui va faire passer Maya aux Etats-Unis), le spectateur n’est pas non plus au cours du film un des personnages de l’action, il ne fait quand même pas partie du film.

Cela dit, Loach nous place en spectateurs actifs d’une histoire où l’on ne peut que prendre position vis-à-vis de chaque personnage, où l’on est incité à porter un jugement, au risque que ce jugement s’avère faux dans la suite du film (je pense notamment à la soeur de Maya, Rosa). Et c’est là où le sens de la narration du réalisateur et le scénario très bien huilé de Paul Laverty (qui permet à Ken Loach depuis Carla’s song et My name is Joe de partir d’une matière solide et très bien construite) jouent un rôle essentiel : les séquences très réussies de pure comédie ou de gaieté générale s’agencent parfaitement avec les climax, nombreux et souvent émouvants (par exemple le malaise du mari de Rosa pendant la fête), et une scène suffit souvent à nous montrer un autre aspect de la personnalité du personnage (celle où Rosa se livre à Maya évidemment - je sais pas pour vous, mais quand je repense à cette scène, j’ai presque envie de pleurer encore une fois).

Mais tout ça ne fonctionnerait pas si les personnages et leurs interprètes ne facilitaient pas l’identification du spectateur comme c’est la cas. Toujours justes, les acteurs (dont la jolie Pilar Padilla qui joue Maya avec une aisance qui vous a probablement touché et Adrien Brody, un des acteurs américains à suivre dans les prochaines années, déjà vu en étonnant serial killer dans un polar très bien fait l’année dernière, Oxygen) qui jouent pourtant des situations proches du cliché nous font toujours éprouver les frustrations, les doutes et les rancoeurs de leurs personnages. Si comme Maya à la fin du film, vous regrettez de ne pas rester à Los Angeles avec les autres personnages tout étant profondément heureux d’avoir appris que ce genre de combat peut parfois se gagner, que oui il faut toujours y croire et que les choses peuvent bouger même aujourd’hui, alors le pari est gagné. Et c’est en ça que Ken Loach est un grand réalisateur : la foi en la force du cinéma pour partager émotionnellement ses idées avec les autres.

par Vladimir Rodionoff
Article mis en ligne le 17 mai 2004 (réédition)
Publication originale 25 octobre 2000

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