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CQ, de Roman Coppola

Les laborieuses déambulations d’un apprenti réalisateur à la recherche d’une œuvre et d’un amour. Le film de Roman Coppola, conçu comme un clip, n’en demeure pas moins un divertissement modeste pour dandy désœuvré.


1969 : Paul est un jeune Américain qui vit et travaille à Paris. Il voudrait devenir cinéaste. En attendant, il gagne sa vie en étant technicien sur des films grand public. Mais sa vraie passion, le projet personnel qu’il tente de mener à bien malgré le regard réprobateur de sa compagne Marlène, est le journal filmé, façon "cinéma-vérité", de sa vie quotidienne. Le producteur de Dragonfly, un film futuriste d’espionnage dont Paul est le monteur, se sépare en cours de tournage d’Andrzej, son réalisateur. Paul, qui est tombé sous le charme de Valentine, l’actrice de Dragonfly, accepte alors de terminer le film.

Comment parler d’un tel film ? Difficile. Intéressant. On a généralement l’habitude avant d’aller voir un film, de connaître déjà son auteur, son propos. Les catégories (blockbusters, films d’auteurs, etc.) nous permettent à nous spectateurs d’apprécier, de juger le film à l’aune du genre auquel il appartient. Avec CQ, c’est raté. On se retrouve donc avec ce film sur les bras, qui site ses références comme pour se légitimer, se dédouaner. On cherche les sources comme grille d’analyse. Rien à faire. En désespoir de cause, on finit par penser au film lui-même, tout simplement.

Le premier problème qui se pose est : est-ce seulement un film ? CQ relève en effet davantage de l’essai. Constitué de plusieurs histoires qui s’entremêlent et s’éclairent les unes les autres, il donne le sentiment que le montage (repris après l’édition 2001 du festival de Cannes) fut aléatoire. Rien n’est réellement construit ou, plus précisément, rien n’a de direction. Ce film est en définitive une expérience qui se déguise : il retrace l’histoire d’une recherche pour mieux dissimuler la recherche d’une histoire.

(JPEG)CQ (lire Seek you) raconte d’abord l’histoire d’un jeune homme en quête de lui-même. En faisant de sa vie son propre film, il révèle le vide de ses paroles, l’absence d’histoire personnelle. Il s’évertue à ne pas voir ce qui pourtant est essentiel : son besoin de s’approprier le monde par le truchement de la caméra. Première quête donc : le jeune se cherche comme artiste, il subit l’attirance d’un art sans pour le moment le maîtriser vraiment. Seconde quête : la femme. Plus exactement la femme divinisée par l’objectif. La femme comme héroïne et star de cinéma qui, passant d’un rôle à l’autre, ne fait plus qu’une - idéale et pourtant réelle. L’attirance du jeune homme pour la nouvelle icône est d’une grande banalité. Je dis icône, car il aime d’abord l’image de cette femme, il caresse ses photos, contemplent ses mouvements sur la pellicule presque aussi religieusement que le jeune homme dans La captive d’Ackerman. Je dis banalité car lorsque le réalisateur s’entiche de son actrice principale, elle devient sa muse. La muse prend alors une part démesurée dans le film de même que le réalisateur impose son regard sur elle, imprime son désir à la pellicule qui l’immortalise. Qu’on observe le rapport réalisateur/actrice ou réalisateur (dans le film même)/actrice/vrai réalisateur (songeons à Irma Vep, entre autres), on voit bien que cette idée est désespérément usée et que, faute de l’exploiter d’une manière originale, le film ne parvient qu’à divertir. L’actrice n’étant en effet pas déplaisante (celle-ci est en réalité mannequin), on oublie aisément le fond pour ne s’attacher qu’aux formes. L’acteur quant à lui (remarqué dans Million Dollar Hôtel) plaît également. Il a parfaitement le profil du personnage qu’il interprète avec un zeste d’innocence et de poésie tout a fait bienvenu.

(JPEG)Quête artistique et amoureuse donc. Et après ? Après, il y a un univers sur-stylisé dans lequel cohabitent les 60’s vu de l’an 2000 et l’an 2000 vu des 60’s. En reprenant les codes des films de l’époque, Roman Coppola dit avoir cherché à créer un univers artificiel, propice à la détente et au divertissement. Les décors, les costumes, les intrigues : tout réfère d’une manière distanciée - comme l’a déjà fait Austin Powers - aux termes du cinéma de l’époque. Les courses poursuites sont parfois filmées comme des chorégraphies, on se prend à espérer une relecture du genre. Mais l’espérance tourne court. Le film site sans pour autant dépasser, détourner les références qu’il mobilise. Les portraits chics et stylisés se succèdent, et les actions s’enchaînent sans que le spectateur ai besoin ni de comprendre, ni de sentir. Les pages d’un Vogue transposé au cinéma, avec les costumes, mais sans âme.

Cette touche arty coexiste étroitement avec le cinéma-vérité. Il faut en effet dire que le côté "je fais du cinéma avec mes mains et des vrais sentiments..." est relativement souligné. D’ailleurs, semble-nous dire Roman Coppola, le protagoniste de l’histoire est vrai, sa passion pour le cinéma est réelle. Même si ce journal qu’il réalise ne signifie pas grand-chose, c’est peut-être le début de son œuvre, le début de la création après la confession. Le film, en tout cas, se termine ainsi. L’apprenti-réalisateur filme avidement sa nouvelle muse dans un jardin (peut-être la suite de l’œuvre en question...). On se met à penser à Entropy, ce film de Phil Joanou qui se terminait précisément sur un plan de ce type (en touts points identique à celui-là). Seulement Entropy était imprégné de confessions, tandis que CQ n’est qu’un mensonge à la mode.

Essai non transformé donc. Trop brouillon, bavard et en même temps creux - par conséquent vain - comme quoi trouver une fin ne résout pas tout. Le film peut-être plus conventionnel mais tout aussi stylisé de Sofia avait le mérite d’entrevoir l’essentiel, de toucher au cœur, non seulement d’une époque, mais d’un pays. Le style était ici utilisé de manière salutaire : la musique contribuait à fonder le mythe et l’image, brumeuse, avait la saveur du souvenir et la consistance du mystère. Peut-être Roman ferait-il mieux à l’avenir de s’en remettre, comme sa sœur, à un auteur de best-sellers ; cela lui donnerait à la fois une histoire et un monde - de quoi repartir sur de bonnes bases.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 17 mai 2004 (réédition)
Publication originale 6 février 2003

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