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Djib

Banlieuserie nègre

Le film, plus qu’un portrait d’adolescent, est un billet pour une promenade en banlieue où la vie est rythmée par les disputes entre amis, entre amoureux et les conflits entre communautés. Ce ne sont pas les aventures de Djib qui sont les plus intéressantes et les plus drôles. Djib est finalement un personnage un brin hermétique et qui évolue peu. Les vedettes du film sont les personnages secondaires, la grand-mère (Laurentine Milebo) et l’animateur de quartier (Jean Odoutan) surtout. Djib n’est pas un chef d’oeuvre. Le scénario est inégal et la mise en scène, bricolée. Mais le film de Jean Odoutan, ici réalisateur-scénariste-producteur-monteur-acteur-compositeur original, est sans prétention et dans la veine du film de banlieue, il tranche par sa dose d’autodérision.


Deux films sur la banlieue sortent cette semaine et rompent chacun à leur façon avec les modèles consacrés de ce genre en émergence. La Squale de Fabrice Genestal n’échappe pas à le représentation de la violence. Mais le film nous montre la cité du point de vue des filles qui brillent généralement par leur absence ou leur insignifiance dans les films de banlieue (Ou "Banlieu-films" comme les nomment les Cahiers du cinéma., genre en construction dans lequel la fiction n’est qu’un prétexte à la description d’un espace, d’un milieu, d’une culture, véritables sujets du film). Djib, "banlieuserie nègre" selon les propres termes de son réalisateur Jean Odoutan, ne correspond pas non plus aux stéréotypes du genre. D’abord, il se déroule dans un espace qui n’est pas celui, attendu, de la cité proprement dite. Ensuite, il propose un débat sur la négritude mais surtout, il tranche par son ton et sa dose étonnante d’autodérision.

La communauté noire est au centre du film. Jean Odoutan, réalisateur béninois installé en France, ne présente pas dans son film de discours unifié sur ses frères de couleur. Djib, adolescent de 13 ans, a épinglé sa devise au-dessus de son lit : "Un Noir ne doit jamais se laisser traiter de nègre par un autre qu’un Noir". Il se fait reprendre par l’animateur de quartier, joué avec une aise jouissive par Jean Odoutan. Il faut être fier d’être nègre et ne pas avoir peur des mots, revendique ce dernier haut et fort. Selon lui, les nègres (et non pas les Blacks ou les Noirs, vocabulaire de blancs), doivent accepter tout leur parcours historique. Quant à la grand-mère de Djib qui l’élève depuis la disparition de ses parents, elle est pétrie de clichés sur les Arabes, "bouffeurs de merguez", les Asiatiques et les blancs.

Le réalisateur remarqué de Barbecue-Pejo, ne signe pas un film grave sur le sujet. Il persiste dans la veine de la comédie et joue sur les clichés pour se moquer des contradictions des communautés et des individus. Il peint les conflits insignifiants entre communautés avec un humour inédit et met dans la bouche de ses personnages des piques hilarantes qui sont souvent de vraies trouvailles. Djib lui-même, dans sa révolte identitaire, est empêtré dans les images toutes faites. D’un côté il ressemble comme deux gouttes d’eau aux lascars du quartier, il parle leur langage codé et débridé, il a une image plutôt réduite de sa copine qu’il maltraite et pense séduire en achetant un scooter. Mais il se sent différent des autres, cultive son image de poète solitaire, de rebelle gagnant honnêtement son argent.

Toutes les figures types du film de banlieue sont convoquées. L’animateur de quartier essaie de réconcilier tout le monde et de fédérer avec une insistance qui force le sourire les communautés autour de son projet de soirée de quartier "Explorer". Les adolescents avec un langage codé, dur et tellement forcé et exagéré qu’il en devient presque incompréhensible. La grand-mère de Djib, fière technicienne de surface et bonne catholique fait la morale à son petit-fils qu’elle veut faire sortir du quartier. Elle est superbement interprétée par Laurentine Milebo qui travaille avec Jean Odoutan depuis ses premiers courts-métrages. Le prêcheur musulman tente désespérément de séduire les jeunes avec des sandwiches grecs. Les blancs sont exploiteurs, opportunistes ou faussement charitables. Toutes les mises en situation de ces personnages secondaires ne sont pas toujours réussies. L’épisode de l’institution catholique où la mère de Djib a envoyé l’adolescent est raté. Les leçons de la grand-mère ou la fin du film qui va de l’éclatement à l’unité sont un peu mièvres. Mais la verve et la tchatche sont toujours en rendez-vous, surtout dans la seconde partie du film qui débute à partir du moment où tout le monde veut prendre le destin de Djib en main : sa grand-mère, l’animateur, sa copine "arabo-gauloise" Joséphine qui vient le sauver de l’internat.

Le film de Jean Odoutan est en fait un film sur la communication. La première partie du film en particulier tourne autour de l’enfermement de Djib. Dans des scènes récurrentes, on le voit assit devant une cabine téléphonique, symbole de la communication désincarnée, fixant son tatoo à attendre un message d’un éventuel employeur. La caméra fixe l’adolescent, le monde est hors champ. L’enfermement du personnage semble clair quand un adolescent fait plusieurs fois le tour de Djib en scooter sans rompre le cercle. Le sentiment du personnage est rendu par une musique lancinante. Djib veut partir à la campagne, loin de l’air pollué et lourd d’ennui de la banlieue, comme il veut sortir de lui et communiquer. La lettre qu’il écrit à sa petite copine est le seul moment de poésie et de vraie communication avant la fin, réconciliation des générations, des communautés et des sexes. Si le symbole est un peu gros, Jean Odoutan, ici réalisateur-scénariste-producteur-monteur-acteur-compositeur original, ne cesse de répéter que Djib "n’est pas une réussite artistique et technique en soi" mais est un film pour rire un coup sur les conflits insignifiants qui opposent les communautés". Vaste blague ?

par Marina
Article mis en ligne le 8 août 2004 (réédition)
Publication originale 29 novembre 2000

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