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Guet-apens, de Sam Peckinpah

Voyage au coeur de l’Amérique corrompue

Saluons la réédition de Guet-apens (The Getaway) de Sam Peckinpah. Le film marque la deuxième collaboration du cinéaste et de l’acteur Steve McQueen après Junior Bonner, le dernier bagarreur. Le réalisateur y offre une version distordue d’un genre à la mode : la fuite d’un couple de gangsters.


Carter "Doc" McCoy (Steve McQueen), assis dans sa cellule, pense à la liberté qu’il a perdue et à sa compagne qui l’attend dehors. L’enfermement le détruit peu à peu de l’intérieur. Il lui faut sortir à tout prix. Les plans se font morcelés témoignant du désarroi interne qui agite Doc. Il envoie donc sa femme Carol négocier sa sortie avec Jack Benyon, véreux responsable du comité des sorties pour bonne conduite. Une décision qui pourrait lui coûter cher. Connu comme étant l’un des plus grands (et rares) succès commerciaux de Sam Peckinpah, Guet-apens présente une version légèrement édulcorée de l’univers sombre du réalisateur de chefs-d’œuvre tels que La Horde sauvage, Chiens de paille et Pat Garrett et Billy le Kid. On y retrouve l’incroyable sens du découpage du cinéaste (formidable générique), quelques fusillades sanglantes mais aussi, dans une moindre mesure, le nihilisme de l’artiste. Adapté d’un roman très noir de Jim Thompson, Guet-apens conduit d’ailleurs à une fin totalement aseptisée assez étonnante de la part de Peckinpah. Le cinéaste a-t-il du faire des concessions de plein gré ou lui ont-elles été imposées par ses producteurs et son interprète Steve McQueen, qui s’est par ailleurs permis de commander une nouvelle partition plus moderne à Quincy Jones après son rejet de la musique composée par le collaborateur du réalisateur, Jerry Fielding ? A la limite, peu importe. Même édulcoré, Guet-apens n’en garde pas moins la saveur d’une oeuvre de Peckinpah.

(JPEG)Variation autour du thème en fuite, le film est justement passionnant pour son ambiguïté entre romantisme et nihilisme. Les deux notions s’affrontent dans un combat sans merci qui menace la survie du couple formé par Doc et Carol. S’opposent ainsi la tendresse et la passion entourant l’amour que se porte les deux héros et la sauvagerie physique unissant deux de leurs poursuivants, Rudy Butler, laissé pour mort par Doc après que celui-ci a voulu le tuer, et Fran Clinton, petite femme gloutonne prise en otage avec son mari mais consentante aux désirs de son ravisseur. Écœuré par le comportement de son épouse, Harold Clinton finira d’ailleurs par se pendre dans la salle de bain d’un hôtel. Si la relation entre Doc et Carol a quelque chose de romantique, on est très loin du couple mythique fondé par Bonnie et Clyde. Un certain réalisme prévaut dans le traitement du lien unissant Doc et Carol. Ils forment un couple instable, mû par de désirs contradictoires sans cesse à raccorder, et menace à chaque moment d’éclater. Les personnages ne cherchent pas se projeter dans l’avenir ou dans le passé. L’essentiel est d’abord le temps présent.

Aucun destin tragique ne mène les héros à leur perte, ceux-ci sont responsables de tous leurs actes et n’expriment jamais aucun regret sur leur comportement. Ce sont de vrais malfrats, qui essaient de gérer leur rapport à la violence de manière rationnelle. Chaque coup est proportionnel à la menace que représente l’adversaire. Certains doivent être tués, d’autres simplement laissés de côté. Cette rationalité n’est pas toujours transparente dans le style du film. Si Peckinpah s’économise sur quelques scènes, plusieurs fusillades sont traitées sur un mode sanguinaire qui modifie légèrement notre perception des personnages. Doc n’a rien d’une victime. Si le spectateur est amené, par divers procédés d’identification, à prendre parti pour lui, il sait néanmoins que le personnage n’est pas un saint.

(JPEG)C’est là le thème central de Guet-apens : Doc et Carol sont d’abord menacés par la corruption du monde qui les entoure. Obligés de faire appel à Jack Benyon pour sortir, ils mettent doublement en péril leur couple. D’une part, celui-ci obtient de Carol qu’elle couche avec lui pour faire sortir son époux, état de fait que Doc n’arrive pas à accepter. L’opération terminée, ce dernier s’empressera d’essayer d’éliminer Doc. Obligés de fuir avec l’argent, Carter et Carol McCoy découvrent qu’ils sont les victimes d’une machination organisée par le directeur de la banque volée pour détourner des fonds sans attirer l’attention. Cette corruption, c’est d’abord celle d’une Amérique obnubilée par l’argent représentée par son pouvoir véreux et un pickpocket solitaire rencontré dans une gare. Doc et Carol se laissent eux-même griser à un moment par la somme qu’ils transportent. Cette corruption omniprésente se reflète également dans le paysage.

Road-movie, Guet-apens présente intelligemment l’Amérique comme un immense dépotoir. Dans une des plus belles scènes du film, nos deux héros sont obligés de se cacher dans un camion-benne. L’amoncellement de déchets les salit, les enferme dans un coin très restreint et menace de les étouffer. Pour Peckinpah, c’est sans doute un peu ça, l’Amérique. Ce n’est qu’une fois arrivé au Mexique que Doc et Carol retrouveront le sens des vrais valeurs. Que sert d’être riche si l’on doit perdre sa liberté de penser, de se déplacer, de donner et d’aimer ? Dernier contre-pied d’un film passant l’Amérique au vitriol, c’est à la générosité d’un conservateur pourfendeur du mouvement hippie et de la libéralisation des mœurs que nous devrons la survie des deux héros. Preuve qu’au-delà du nihilisme Peckinpah savait également manier avec élégance l’ironie.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 31 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 30 juin 2003

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