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Hollywood ending, de Woody Allen

Présenté en ouverture du 55ème festival de Cannes cette année, le nouveau film de Woody Allen, Hollywood ending poursuit la quête du cinéaste qui depuis trois films a décidé de réoccuper le territoire de la comédie. D’une aveuglante légèreté, le film permet au réalisateur de faire le point sur son positionnement en tant qu’auteur à Hollywood.


Toute ressemblance avec un réalisateur New-Yorkais à lunettes ayant existé est purement intentionnelle. Voilà ce que devrait indiquer le générique de son nouveau film, Hollywood ending tant celui-ci renoue avec le veine la plus narcissique de l’oeuvre du cinéaste. Woody Allen poursuit ici encore plus loin le trouble qui naît de la superposition souvent supposée entre ses personnages fictionnels et lui-même. Notre héros interprété par le cinéaste en personne est un vieux "auteur" névrosé, Val Waxman, qui il y a une dizaine d’années a remporté deux oscars et a connu un grand succès avant de sombrer dans l’oubli. Poussé par des difficultés financières chroniques et le soutien de son ex-femme, Ellie (Tea Léoni) il va se voir donner une seconde chance à Hollywood avec un film au budget de 60 millions de dollars, "the city that never sleeps".

On voit rapidement les parallèles qu’on peut tirer entre la vie du cinéaste marginal et indépendant qu’est Woody Allen à Hollywood (il a remporté l’oscar du meilleur film en 1977 avec Annie Hall devançant La guerre des étoiles) et son personnage même s’il a aussi fortement marqué les différences. Hollywood ending est avant tout une fiction, une comédie grand public. On peut donc rapidement noté que Woody Allen n’a jamais eu à négocier avec les studios comme son personnage et qu’il ne cherche pas à réaliser des films à si gros budgets qui en effet lui apporterait de grandes contraintes. Tout ce jeu en tout cas se poursuit jusqu’à la fin du film par une foule de détails qui donnent aussi à Hollywood ending un aspect ludique pour les grands fans du réalisateur (utilisation d’un directeur de photographie chinois comme Woody l’a fait pour ses deux derniers films, amour pour New York, la France etc.)

Toute cette revue de détail n’a rien d’anecdotique car plus que dans ces derniers films, le personnage interprêté par Woody Allen est au centre du récit. La vision des autres est d’ailleurs totalement médiatisé par la sienne. Ceux qui sont sympathiques avec Val apparaissent comme tels à l’écran comme s’il n’y avait aucune distance de prise. Sa petite amie du début, Lori (interprétée par Debra Messing de Will and Grace, tout comme son rival producteur hollywoodien Hal Yeager (Treat Williams)sont clairement définis comme des "losers" qui ne méritent pas la place dans laquelle ils sont placés au début du récit. Cette caractérisation très manichéenne est une des limites du film. Elle révèle aussi l’enjeu principal de cet Hollywood ending à savoir rendre un vibrant hommage aux screwball comedies et autres comédies du remariage qui ont marqué tout un imaginaire hollywoodien tout en les adaptants à l’Amérique contemporaine.

L’humour du film est donc basé sur deux ressorts essentiels, les dialogues virtuoses de Woody qui reprennent ses thèmatiques habituelles comme la satire de Los Angelès, du monde du cinéma ou des charlatans et qui entourent toute son idylle avec Ellie et le gag récurrent du réalisateur aveugle. Hollywood ending réussit donc à jouer à la fois un comique visuel et verbal. Et malgré quelques problèmes de rythme dû au systématisme de certains gags, on rit quand même beaucoup devant les aventures de ce réalisateur déboussolé tournant des pubs au Canada ou préférant virer son directeur photo plutôt que le traducteur de ce dernier.

Si le réalisateur a choisi de faire de son personnage est un aveugle ce n’est pas pour rien. Au-delà de l’aspect purement comique qui est bien réel et sans doute le plus important aux yeux de l’auteur, la cécité est aussi une métaphore du statut de l’artiste pendant la période de création d’une oeuvre car il ne sait jamais exactement quel sera le résultat final. Woody Allen a l’intelligence ici de ne rien montrer du film que Val Waxman est entrain de tourner pour laisser planer le doute sur la qualité de l’oeuvre tournée. Les divers choix de détails faits par le réalisateur ne comptent pas autant que son instinct et un petit peu de chance, de réussite. Cette dernière thématique semble imprégner tous ces derniers films et révèle un Woody moins intellectuel qu’on pouvait le penser.

Ce film qu’on ne voit pas est peut être aussi un constat sur la situation d’Hollywood aujourd’hui. Si Val est aveugle, Woody lui est bien lucide. Il se confronte ici directement à toute cette sous-culture américaine qu’il n’a jamais pu voir, celle des films vite faits, mal faits, machines à faire de l’argent grâce aux ventes vidéos, celle des jeunes comédiens et comédiennes arrivistes venus de la télé (à noter que les trois interprètes feminines principales sont issues de séries télé) et celle de cette musique ultra-bruyante incarnée par le personnage du fils du réalisateur, hard rockeur mangeur de rat. Pour la première fois, on sent une certaine résignation devant la victoire de cette nouvelle culture populaire chez Woody Allen. Le film comme son titre à double sens semble l’indiquer enregistre le fin de l’hollywood que le cinéaste a toujours adoré et l’entrée en résistance de notre réalisateur New-Yorkais prêt à tout pour en rescussiter l’esprit, quitte à n’avoir que du succès en France. A voir la magie qui se dégage des dernières scènes, on se dit que sa mission est en partie accomplie.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 24 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 16 mai 2002

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