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L’orphelin d’Anyang

A Anyang, au nord-est de la Chine, Feng Yanli, une prostituée originaire de Mandchourie, ne peut pas élever son enfant. Elle le confie à Yu Dagang, un ouvrier quadragénaire au chômage. C’est avec cette sombre histoire que Wang Chao fait sa grande entrée dans le monde du cinéma. Sans concession, Wang Chao prend le parti-pris de suivre le chemin inauguré par Jian Zhang Ke il y a trois ans avec son Xiao Wu, artisan pickpocket, et de filmer l’envers du décor chinois en toute illégalité.


Que filmer quand il n’y a plus d’histoire, quand les individus d’une société n’ont plus rien à vivre ou à raconter ? Voilà le grand défi que s’est lancé Wang Chao en réalisant L’orphelin d’Anyang. Le film, composé de longs plans fixes interminables, est d’une parfaite austérité. Pourtant, avec des moyens extrêmement réduits, Wang Chao nous offre ici un beau geste de cinéma.

Ses plans ascétiques nous en montrent beaucoup sur la Chine d’aujourd’hui. Cette région du Nord-Est est encore largement sous-développée. La pauvreté y est apparente, partout. Feng Yanli se prostitue pour survivre. De son côté, Yu Dagang vient de perdre son emploi et propose ses services de réparateur de vélos dans la rue. Il accepte de prendre en charge le jeune bébé trouvé, uniquement à cause des 200 yuans par mois promis par la mère. Les habitations n’ont pas de chauffage. On entend le souffle de Yu Dagang, la nuit, lorsqu’il regarde son plafond.

Toutefois, ce n’est pas tant ce qu’on nous montre qui compte, que la manière dont cela est fait. Les lents plans silencieux révèlent le vide qui entoure deux individus n’ayant absolument rien à se dire. Le réalisateur nous fait partager ces longues attentes sans but, qui vont se perdre dans le noir de fondus venant dissoudre et les personnages et la scène. Feng Yanli et Yu Dagang font littéralement partie du décor. Par moments, ils peuvent disparaître du plan sans que la caméra n’y fasse attention. Les personnages mutiques sont perdus dans les bruits de la ville envahissante, constamment là, au premier plan. La bande-son est composée quasiment uniquement de bruits de voitures et camions, qui ne donnent pas la possibilité aux personnages de s’exprimer. Ils rongent le film de l’intérieur.

Il ne reste plus aux personnages qu’à déambuler calmement dans la rue, à survivre au quotidien. Ce que filme Wang Chao, ce sont deux individus qui ont perdu toute capacité d’émotion. La mère abandonne son fils. Même si elle est toujours attachée à lui, il n’y a aucune marque d’affection, si ce n’est dans la très belle scène où elle le nourrit au sein. Yu Dagang n’a pas de femme, et ne semble pas développer de sentiments particuliers pour celle à qui il propose de partager son toit. L’amour est sans doute ce qui manque le plus à ces deux personnages aliénés par leur environnement. Le réalisateur, d’ailleurs, ne nous permet pas non plus de nous attacher à eux. Ils sont filmés de manière très froide. La longueur des scènes entraîne le spectateur dans un rythme étrange, qui annihile toute identification ou jouissance. Il ne nous reste plus qu’à les regarder et à espérer leur révolte contre cette mort de tous les instants. C’est un peu ce qui se passe à la fin, quand les trois personnages réalisent tous leur attachement à l’enfant. Reconnaître l’orphelin, c’est faire un premier pas vers l’avenir, se projeter, construire.

Mais de quoi celui-ci sera fait ? Voilà qui reste un mystère, que le film ne saurait résoudre. La prostituée a-t-elle réellement remis le bébé à Yu Dangang comme elle semble le souhaiter ? C’est sur cette note d’indécision que L’orphelin d’Anyang nous abandonne douloureusement à nos doutes.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 20 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 19 mars 2002

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