Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Cinéma > article

Artistes

Le sourire de ma mère

Très loin du Ciel, Bellocchio cherche la foi en l’image

Marco Bellocchio mène d’une main de maître une réflexion sur les méfaits de la bigoterie et le profond mensonge que cache le prosélytisme catholique italien. Il peint ainsi une grande fresque en hommage à sa foi personnelle en l’image.


De quoi ont peur la plupart des enfants de dix lorsqu’ils rentrent pour la première fois à l’école élémentaire ? Souvent, de beaucoup de petites superstitions, mais pour ce qui est du fils d’Ernesto Picchiafuoco, l’effroi suprême est la présence permanente de Dieu, qui lui est affirmée par son institutrice de religion : si Dieu est là partout avec chaque homme, il comprend qu’il n’est plus libre de penser. Est-ce là la stricte influence de son père, un renommé peintre agnostique, qui refuse de le voir suivre les cours de religion auxquels l’a inscrit sa mère ? Pas seulement, pour Bellocchio, puisque cette erreur pédagogique n’est pas la seule à mettre en cause le rôle de l’Eglise, dans ce film. L’Ora di religione, titre original de l’œuvre, fait référence à cette classe de catéchisme proposée aux enfants à l’entrée de l’école primaire et laissée à la discrétion des parents.

Mais alors que le fils se tourmente sur l’existence de Dieu, le père se trouve confronté à l’affirmation de cette même existence lorsqu’il découvre que sa famille tente depuis trois ans de faire canoniser sa mère. Celle-ci, tuée par l’un de ses fils il y a plusieurs années, sera consacrée sainte s’il est prouvé qu’elle est morte en martyr, pardonnant son fils et le suppliant de ne plus blasphémer. La tentative se révèle être une immense supercherie des frères d’Ernesto (dont l’un est dans les ordres) et de sa tante, tous obnubilés par le pouvoir que donne encore l’aval de l’Eglise en Italie. Ernesto fait alors l’expérience des limites de ses certitudes lorsqu’il se décide à rencontrer l’enseignante de religion de son fils, une merveilleuse jeune blonde éprise de ses travaux picturaux. Se mêle alors à une fine réflexion sur le pouvoir des dogmes sur les esprits un éblouissant parcours visuel.

Cette mise en image tourne autour de la peinture d’abord (celle du protagoniste et celle de la jeune femme), puis de la mise en scène orchestrée par la tante autour de la sanctification de sa sœur (elle organise dès à présent un film retraçant pathétiquement la fiction d’une mort en martyr) et de prises de vue d’une Rome à la fois mystérieuse et effrayante. Lorsqu’apparaît à l’écran le Monument à Victor Emmanuel II ; la controverse atteint son comble : alors que l’un des frères suggérait de détruire le monument comme il en a été question pendant longtemps en Italie pour son incarnation d’un pouvoir antidémocratique, la famille se retrouve à poser devant l’énorme édifice la veille de l’audience pontifical sur la sanctification de la fameuse mère.

Ernesto se souvient que sa mère tyrannisait son jeune frère depuis l’enfance et que lui-même était au bord de la haïr pour sa légendaire froideur et son sourire inexpressif. De plus, pour lui la folie de son frère est une certitude depuis des années et la foi n’a aucune influence sur la fin tragique de cette situation familial déplorable. Pourtant il ne parvient pas à trouver en lui le besoin de sa battre contre la volonté de ses proches, si éloignés de lui désormais. Sa réflexion se situe ailleurs, dans la recherche d’un sentiment existentiel basé sur l’amour gratuit de l’autre et sur la création. Tout le film, à cet égard, est bien sûr un double plaidoyer de Bellocchio pour démystifier la famille comme dans ses précédents films et pour « faire voir » au spectateur, au sens propre du terme, que dernière la manipulation des histoires et des images subsiste une réelle possibilité de montrer. De montrer des sentiments, des sensations et des interrogations, au lieu de chercher à cacher le manque de sens derrière des vérités de façade indétrônables.

Ce film, très remarqué à Cannes au printemps dernier, prouve une fois de plus que le cinéma italien est loin d’être inexistant. Mais il repose entre les mains de cinéastes qui ne se laissent pas dissuader de montrer l’Italie telle qu’ils la vivent et qu’ils la voient et évoluer, à l’instar de Bellocchio qui depuis son premier film Les Poings dans les poches en 1965, mêle la poésie et le blasphème avec parcimonie pour mieux orchestrer une dénonciation non sans énonciation de sens nouveau.

par Mélissa Chemam
Article mis en ligne le 28 février 2005 (réédition)
Publication originale 28 novembre 2002

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site