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Requiem for a dream

Après le très remarqué PI, Darren Aronofsky s’attaque au roman culte de Selby. Une adaptation visuelle très fidéle au style moderne de l’écrivain et un film coup de poing.


Sara Goldfarb vit seule à Coney Island. Mère juive veuve et fantasque, elle vit dans l’espoir obsessionnel d’être un jour invité sur le plateau de son émission de télévision préférée. C’est dans cette perspective qu’elle suit un régime draconien, afin d’entrer dans la robe rouge qu’elle portera, lorsque le grand soir sera venu. Son fils Harry passe ses journées à consommer de la dope avec sa copine Marion et son pote Tyrone. En quête d’un business plus sein et d’une vie meilleure, ils commencent à dealer à droite à gauche. A l’automne la galère commence, qui ne fera qu’empirer à mesure que le temps passera.

Requiem for a dream n’est pas seulement un titre de film, c’est aussi le programme d’un nouveau cinéma. Un cinéma où le montage plus que jamais prédomine, un cinéma rêvé par Eisenstein à ses heures les plus folles. Le projet est simple : faire succéder des plans comme des notes le feraient sur une portée. A la fois courts et efficaces ils s’ajustent les uns aux autres, se répondent et poursuivent leur course. Tout cela va très vite. Le spectateur est embarqué presque à son insu, on le bombarde d’images, on le submerge de sons, il ne mène plus la danse, il suit la musique jusqu’à ce que celle-ci explose. Ces plans sont des marches qu’on dévale en grand fracas.

Aronofsky fait aussi un usage fréquent du split-screen. Lors de la première scène, la mère et le fils échangent quelques mots. Sara, effrayée, s’est réfugiée derrière une porte tandis que son fils, Harry, lui subtilise une fois de plus sa télé. Ils se parlent de part et d’autre de la porte, chacun dans son coin, prisonnier dans sa portion d’écran. La mère et le fils seront toujours vus en parallèles, à des années lumière l’un de l’autre. Leur parcours sera le même mais ils le ferontseul. Autre usage du split-screen - le couple. Ce que j’en retiens c’est le prolongement d’une caresse du côté droit vers le coté gauche de l’écran, le glissement d’une main de Marion à Harry. Eux aussi s’avèrent souvent séparés mais ils s’aiment. Il y a entre eux une tendresse qui ne faiblit que dans les grosses galéres. La drogue les sépare mais le malheur finalement les réunis. Le split-screen est chez Aronofsky, une alternative nécessaire au montage.

Filmer la solitude, c’est pour Aronofsky introduire une parenthèse dans son montage ultra-rapide. C’est fixer Sara, longtemps, la regarder parler, comme un voyeur, lire sur son visage la misère pleurer et se déverser enfin. La télé, c’est sa seule chance d’exister. "Tell the world how Seymour and Harry are doing well will make tomorrow all right" : sans cette possibilité de dire au monde, de lui mentir sur son bonheur, elle n’est plus rien. Il faut qu’elle mente sur sa vie ou que, comme au début, elle se persuade que ça n’est pas vrai, pour accepter son malheur et lui survivre ainsi.

La dope sous toutes ses formes. Elles déforment les images et les sons, dilatent l’oeil et agressent les tympans. Elles nous invitent dans un monde intérieur obsessionnel. "You are a winner you are a winner" entend-t-on matraquer à la Télé, Sara se sent gagnante et ça la fait sourire ; son gamin lui aussi s’envoie en l’air, tout le monde s’éclate, le monde est "juicy". Et puis tout part en vrac, le frigo tremble, "everything is all mixed up", tous perdent les pédales, c’est l’heure de la rechute. Nous ça nous agresse, on subit comme eux, c’est le bad trip pour tout le monde, jusqu’a la fin. L’écran crie, on prend l’électricité, c’est la rechute ultime avant le pétage de plomb. Le ton monte, la musique investit les aigus et saigne le silence. La drogue assassine de la réalité.

Les télévangelistes en tout genre ca n’est pas seulement dans Requiem que cela rend fou. Allez plutôt voir Nowhere (de Gregg Araki) et son suicide au micro-onde. La TV dans les deux cas, apparaît comme une hyperbole de la réalité. C’est son excès le plus parlant, le plus frappant. Beaucoup de scènes rappellent par ailleurs Stranger than paradise de Jarmusch. Ce sont tout d’abord les deux mecs à l’affût de la fortune qui se noient dans les embrouilles et cultivent les plans foireux. C’est aussi la vie à New York puis le départ pour la Floride ; le plan du début (lorsqu’ils passent avec la télé devant un grillage / l’héroïne de Stranger lorsqu’elle débarque à l’aéroport) ; et ce monde réel mais si étrange, dopé, prêt a éclater. Jarmusch, grand réalisateur indépendant de la côte Est... comme Aronofsky dans pas longtemps.

par Matthieu Chéreau
Article mis en ligne le 31 janvier 2005 (réédition)
Publication originale 25 janvier 2002

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