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RRRrrrr !!!!

Cinéma vs. télévision : le partage des (grosses) tâches

RRRrrrr !!!! a beau être l’une des plus grosses sorties françaises du moment, on devine que seuls les amateurs d’un certain humour qui tâche (les Nuls + les Robins des Bois) suivront son parcours. C’était à prévoir. La méthode Canal+ a-t-elle engendré un genre monstrueux, croisement entre la pochade télévisuelle, le blockbuster et les bonus du futur DVD ?


Alain Chabat, réalisateur et acteur de RRRrrrr !!!!, trace un drôle de parcours qui doit sa longévité à sa nature touche-à-tout. Après avoir fait les beaux jours de la télé avec ses Nuls de copains, il a enchaîné avec le grand écran (son premier long, Didier), le documentaire musical (sur NTM), les pochades vidéo (Bricol’ Girls, guide de bricolage dispensé par trois beautés en maillot de bain) et les apparitions dans les films des copains. Cet éparpillement n’est pourtant pas le signe d’un je-m’en-foutisme de base : son acharnement à se lancer dans des productions toutes aussi différentes les unes des autres, et ce, avec une égale application, vise à construire un univers créatif qui mêle télévision, cinéma et comique de scène et qui affiche un mépris total pour une hiérarchie officielle entre ces supports.

Chabat n’a jamais dissimulé son admiration pour une certaine forme de comique américain, celui creusé par les rigolos du Saturday Night Live. Aux Etats-Unis, la frontière entre télévision et cinéma n’a jamais été aussi marquée que chez nous. Des chaînes du câble comme HBO ont ainsi développé des séries, films ou téléfilms d’une qualité incroyable (et avec des stars s’il vous plaît) qui leur ont permis d’être nominées lors des remises de prix au même titre que leur frère ennemi des salles obscures.

On sait qu’en France cette frontière reste tenace. Aussi, les films de Chabat représentent-ils une sorte de coup de force contre les limites établies entre les différentes pratiques audiovisuelles. Conscient que la majeure partie du public tisse davantage d’affinités avec les productions télé qu’avec le cinéma, il a détourné, avec Astérix : Mission Cléopâtre, le budget pharaonique d’une grosse production française pour en faire un film de télévision. Si l’on tient compte des blagues supplémentaires contenues dans le générique de fin (scènes anachroniques à la limite du bêtisier, gags dans les crédits), on a également l’impression de tenir dans un même temps les bonus du DVD à venir. Cette façon assez nouvelle (en France) de tenir frontalement ce discours de fusion entre les différents supports avait fait de ce film un succès de curiosité (parions qu’il n’aura qu’une faible durée de vie dans les mémoires du public).

Le film des Robins des Bois réitère ce coup de force, mais semble en revanche désincarné. Comme si l’innovation du précédent film de Chabat, autrefois apte à nous ouvrir les yeux sur l’état du cinéma français (et de la télévision française : Canal+ est partout !), incitait davantage désormais à l’inquiétude. Car la vigueur du cinéma français, sa capacité à résister (la fameuse exception culturelle n’est pas encore morte) aux "assauts-du-cinéma-préfabriqué", qu’il soit américain ou français, dépend aussi de la hiérarchie entre les supports, de cette forme avouée de snobisme à la française qui place le cinéma mille coudées au dessus de la télévision. Car cette dernière a perdu, à quelques exceptions près, sa nature de laboratoire qu’ARTE avait tenté de lui insuffler il y a dix ans, quand de jeunes cinéastes non issus du sérail y faisaient leurs débuts ou que des cinéastes de renom venaient s’y ressourcer. Outre le cinéma ("le vrai"), c’est aussi la télévision que Chabat, bien malgré lui je pense, enfonce, et l’idée que ce qui fait avancer le schmilblick à la télé pourrait appartenir au cinéma.

Drôle de situation, où chaque chose n’est plus à sa place. Car même si, personnellement, j’aime bien ce que font les Robins, je me pose une question : que viennent-ils faire au cinéma ? La bande de comiques ne tient pas la distance face aux prestations de chacun d’eux, séparément, dans différents films (je pense surtout à Marina Foïs et Jean-Paul Rouve). Le désir de cinéma d’un comédien qui a commencé au sein d’une bande de comiques est différent du désir de la bande toute entière, qui ne va pas s’adapter au support cinéma mais l’investir, le tamponner de la marque "Vu à la TV".

Mes reproches ne s’adressent pas pour autant à tous les comiques venus de la télévision : avec Mais qui a tué Pamela Rose ?, Kad et Olivier mettaient en avant une structure bel et bien héritée du cinéma (sans le côté "succession de sketches" du film des Robins), et dont l’américanisation des types (intrigue, décors, personnages, répliques) était poussée à l’extrême, évitant ainsi la facilité du jeu sur le décalage "ça ressemble aux Etats-Unis" / "et pourtant on voit bien qu’on est en France". L’humour des Robins est bien là, et qui apprécie leurs blagues se bidonnera tout autant que moi (vannes qui tombent à l’eau volontairement, différence de caractères appuyée entre chacun des comédiens, scènes hilarantes comme celle où Maurice Barthélémy tombe sur un magasin Carrefour), mais la bande recule au moment crucial : celui où il faut oser sauter à pieds joints dans le Cinéma, couper le cordon de la télé - dans tous les sens du terme - et donner, en lieu et place d’une série de blagues de potaches, le souffle d’une grande comédie.

par Guilhem Cottet
Article mis en ligne le 25 juin 2004 (réédition)
Publication originale 30 janvier 2004

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