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Yi Yi, d’Edward Yang

C’est une vision apaisée et sereine de la vie qui parcourt Yi Yi. Le contraste est d’autant plus saisissant avec les précédents films d’Edward Yang, heurtés, violents, révoltés. Pourtant, la sensibilité à vif de Mah-Jong ou de A brighter summer day n’a pas disparu dans ce dernier opus. Elle se porte simplement sur d’autres objets, plus quotidiens.


L’intrigue de Yi Yi est bâtie assez classiquement. Après une exposition rapide des membres de la famille lors d’un mariage, se produit la crise : la grand-mère a une attaque et se trouve dans le coma. Cet événement est le catalyseur de changements. Chacun se remet en cause : Min-Min, la mère, perçoit le vide de son existence quotidienne et se réfugie dans un monastère. NJ, le père, navigue entre passé et présent depuis qu’il a revu son premier amour. Ting-Ting, la fille adolescente, se sent coupable (si elle n’avait pas oublié de sortir la poubelle parce qu’elle rêvassait devant le petit ami de sa voisine, sa grand mère ne serait jamais descendue dans la cour) et s’éveille à l’amour. Yang-Yang, le fils de 8 ans, se pose des questions. Cette épreuve va donc bouleverser leur vie d’une façon ou d’une autre, les pousser à essayer de nouveaux chemins. C’est comme le dernier cadeau de cette grand-mère qui se sentait "trop vieille". Yi Yi est un film construit dans la durée et la lenteur. Il faut se laisser porter par ce mouvement pour découvrir la famille, voir se dégager les personnages les plus touchants, les plus sensibles. Ce n’est ni un film de réflexion, ni un film d’action. Plutôt un film de contemplation, un film de sensations.

Etant donné que ce film a obtenu le prix de la mise en scène à Cannes en 2000, on ne peut que se demander dans quelle mesure ce prix est justifié. D’autant plus que nombreux étaient ceux qui le donnaient gagnants pour la Palme d’or. Ce qui est certain, c’est que l’on vient pas ici récompenser un approche nouvelle de la mise en scène. Edward Yang n’est pas un virtuose au sens où d’autres de ses contemporains peuvent l’être (Wong Kar Wai par exemple). On trouve plutôt dans Yi Yi un savoir-faire parfaitement acquis et maîtrisé. Le montage est fluide, très discret. Il y a peu d’effets visuels spectaculaires. En vérité, on ne sent pas la caméra. Et c’est peut être là tout le talent d’Edward Yang, qui sait s’effacer devant ses acteurs, ses personnages. Qui leur laisse toute latitude.

Le seul élément assez frappant de l’image est le jeu constant sur les surfaces réfléchissantes : fenêtres de l’appartement, grande baies vitrées de Taipei, miroirs des chambres d’hôtels, piscines et baignoires. Par exemple, lors de la scène où Min-Min pleure sur le vide de sa vie et où NJ se lève pour aller fermer les stores : intérieur/extérieur. La caméra se promène entre ces deux angles de vue. Ou encore le moment où le profil de "la chouchoute du maître" se dessine en ombre chinoise (taiwanaise ?) sur l’écran vidéo de la salle de classe que Yang-Yang contemple, fasciné. Comme si la vie était un reflet permanent : reflet de soi dans les yeux des autres, morceaux de vie volés grâce aux fenêtres, reflet de destinées sur un écran. "On vit deux fois plus depuis que le cinéma existe" indique si justement Bouboule.

Car, sans être un film sur le cinéma et l’image, Yi Yi met en scène la vocation naissante de Yang-Yang, ce garçonnet qui s’enfuit de l’école pendant l’heure de la sieste pour acheter une pellicule. Yang-Yang est le regard du film, le regard du cinéaste nous interrogeant sur nous même : "de quoi avons-nous peur ?" se demande NJ. "Nous avons toujours peur des premières fois. Et pourtant nous ne craignons pas de nous lever le matin, alors qu’aucun jour ne se ressemble" lui répond Mr Ota. C’est ce que Yang-Yang recherche lui aussi. Il photographie le dos de ses proches : "Comme tu ne vois pas ta nuque, je te la montre." Yang-Yang veut connaître toute la vérité et pas seulement la moitié. Devant le cercueil de sa grand-mère, il raconte que plus tard il voudra "montrer aux gens ce qu’ils ne savent pas, ce qu’ils ne voient pas".

La réussite de Yi Yi est d’être un film de 2h53 qui ne soit pas ennuyant. Un film ni triste, ni hilarant. Un film qui nous dit qu’il faut vivre comme on l’entend parce que "les deuxièmes chances ne servent à rien". Un film à l’image de la vie, doux-amer mais attachant.

par Clémence Parente
Article mis en ligne le 6 décembre 2004 (réédition)
Publication originale 20 septembre 2000

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