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Britannicus, de Jean Racine

Le spectateur de la Comédie-Française peut, jusqu’au 6 mars 2004, profiter du Vieux-Colombier et de son élégante salle en bois en forme de nef renversée pour assister à une des représentations de Britannicus de Jean Racine, mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman.


Le canevas de Britannicus est connu. Néron est "ce monstre naissant", qui sort du sein de sa mère castratrice et manipulatrice pour se vautrer dans le fratricide de son cadet, Britannicus. L’ancienne Directrice du Centre dramatique national d’Aubervilliers rénove la pièce en un drame bourgeois, mais cette nouvelle présentation déçoit, malgré des initiatives intéressantes et d’excellents comédiens. La pièce balance entre innovations convaincantes, hétérogénéité et confusion.

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Junie

En découvrant décors et costumes, le spectateur est frappé par leur modernité. Le décor est froid, dégagé de la symbolique du pouvoir de l’Empereur. L’intrigue se déroule dans l’antichambre donnant sur les appartements de Néron, antichambre où l’on ne fait que passer, sans y apposer sa marque. Les murs sont hauts, gris, impersonnels. Le mobilier est minimaliste, sans passé : deux fauteuils contemporains au cuir marron lisse, deux banquettes lisses de bois dur. Au milieu de cet ensemble froid tombent des lanières de plastique qui rougeoient en fonction de l’intensité affective de la scène, seules marques de vie. Les costumes sont en harmonie avec ce tout glacial. Les personnages évoluent en costumes de ville et robes de soirée, qui connotent modernité et rigidité. Le tout est enveloppé par des jeux de lumière évocateurs. Œuvre d’art à part entière, la succession des lumières ciblées valorise et complète le décor. Le tout est ponctuellement mis en musique grâce à des cordes sinistres qui marquent la transition entre deux actes. On attend un drame, qui se jouera entre amour et sang, implacable, comme l’est Néron. Cependant cette modernité questionne. Racine, brillant latiniste, tenait à inscrire Britannicus dans un fond romain, ajoutant à la tragédie des passions, la dimension historique et politique tirée de l’histoire romaine. Il se posait ainsi en concurrent de Corneille. Racine affirmait aussi que la tonalité antique de ses pièces faisait de ses œuvres des pièces supérieures à celles de ses rivaux.

Oter l’aspect antique d’une pièce de Racine, n’est-ce pas omettre une partie de la pièce ? Brigitte Jaques-Wajeman dit vouloir présenter ce que le texte a d’intemporel. Mais comment s’affranchir des marques du temps ? Le spectateur perçoit un décalage entre ce qu’il attend, ce cadre neuf et cette présentation du texte du XVIIème siècle. Les comédiens, dont la distribution ne révèle pas les personnages, cherchent leur jeu. Chacun évolue dans un style différent, qui concourt à une impression d’hétérogénéité. On perçoit toute la difficulté à maintenir un juste jeu entre ce décor moderne et ce texte ancien.

Néron (Alexandre Pavloff) oscille entre diction moderne et emphatique. Le comédien incarne au sens figuré le personnage de Néron, mais il n’est pas Néron. Agrippine, marâtre castratrice, jouée avec force par Dominique Constanza qui démarre difficilement la pièce, est une Agrippine dans la tradition des personnages raciniens. Elle offre son texte sur un ton déclamatoire et un peu monocorde. Les jeunes amants, Britannicus et Junie, passent sur scène assez discrètement. Britannicus est trop vieux pour le lecteur de Racine, qui s’attend à un jeune homme de 17 ans. De plus, Marc Voisin (Britannicus) n’arrive pas à marquer la scène de sa présence. Junie est, quant à elle, un peu terne. Pourtant Rachida Brakni ne pèche pas par son jeu atone. La fadeur vient plutôt du personnage même crée par Racine, poète qui habituera son lecteur à des héroïnes plus déchirées. Burrhus est en revanche parfait : bon conseiller, d’un certain âge, plein de bon sens, de fidélité et d’honneur. Son accoutrement peut surprendre : il est vêtu tel un chauffeur de maître, puis tel un membre de l’armée soviétique. Pourquoi ? Peut-être pour mettre en avant sa fidélité. Il faut enfin noter le jeu de Claudie Guillot qui incarne avec finesse Albine, suivante d’Agrippine. Le ton est moderne, emphatique et respecte la scansion du vers.

Au-delà de cette hétérogénéité du jeu des acteurs, une certaine confusion règne, peut-être liée à la difficulté à soutenir le sens du texte de Racine durant 2h30. La versatilité de Néron perturbe. Il semble que Brigitte Jaques n’ait pas su de quel trait principal doter Néron. Au fil des scènes, la personnalité de Néron change et ces changements sont tels qu’il est difficile pour le spectateur de percevoir une continuité dans le personnage de l’Empereur. Puisque Néron, pantin qui ne sait à qui se fier dans ses premiers moments d’indépendance morale, est un homme machiavélique, il aurait été judicieux, pour aider le spectateur, de donner une ligne principale plus affirmée au caractère de Néron, ligne qui aurait dû se sentir en arrière-plan de l’ensemble des apparitions du personnage. Ici, Néron est plus proche du schizophrène que de l’empereur machiavélique.

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Néron et Agrippine

Diverses questions se posent. Pourquoi Néron marche-t-il pieds-nus (coquetterie d’empereur ? marginalisation dans la folie du personnage ?), alors que les autres comédiens sont chaussés de chaussures de ville ? Pourquoi Néron et Agrippine s’embrassent-ils à pleine bouche (IV, 2) ? Certes, le baiser vient après une scène où Agrippine, à force de séduction, essaie de reprendre son ascendant sur son fils et le baiser aura un écho dans les premiers mots de Burrhus de la scène 3 qui parle d’"embrassement". Cependant, l’embrassade à pleine bouche est surprenante : le spectateur s’attend à une simple étreinte, conforme au sens étymologique de "l’embrassade", même si les liens qui unissent Néron à sa mère sont très forts. Le sens de "donner des baisers" apparaît cependant au XVIIème et il n’est pas anachronique de faire jouer les personnages conformément à ce sens, évidemment. La question est : Racine a-t-il donné ce sens à ce mot ? Les règles de bienséance de l’époque ne s’opposaient-elles pas à de telles effusions ? Corneille n’hésitait pas à enfreindre les règles de la bienséance (dans Horace, le spectateur du XVIIème siècle assiste au meurtre de Camille sur scène -IV, 5-). Racine enfreignait-il lui aussi ces règles ? Sans doute ce chaste baiser est-il conditionné par le caractère moderne de la pièce. De nos jours, ce baiser entre mère et fils choque. Enfin, est-il utile que Néron d’un geste rageur envoie une coupe de champagne à la figure d’Agrippine ? La versatilité des opinions de Néron ne suffit-elle pas à nous présenter Néron comme un nerveux indécis ? Quel est le sens de ce geste ?

Le spectateur sort de Britannicus tiraillé par un certain nombre d’interrogations. Racine supporte-t-il la contemporanéité ? Comment faire assumer par les comédiens cette contemporanéité, au-delà des conditions matérielles de la pièce qui peuvent s’y plier ? Comment incarner justement les personnages raciniens pour que la catharsis puisse avoir lieu ? Comment suggérer toute la monstruosité de ces antiques êtres de papier ? Tant de questions qui poussent à accumuler les expériences de théâtre racinien pour pouvoir tenter de comprendre la place de Racine dans le théâtre joué d’aujourd’hui.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 11 juin 2004 (réédition)
Publication originale 20 février 2004

Informations pratiques :
- pièce : Britannicus
- auteur : Jean Racine
- metteur en scène : Brigitte Jaques-Wajeman
- dates : jusqu’au 6 mars 2004
- lieu : Paris, Théâtre du Vieux-Colombier

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