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La Reine de beauté de Leenane, de Martin McDonagh

Les poissons combattants

Un huis-clos tragi-comique dans une bicoque de la campagne irlandaise, de nos jours. Des prises de bec à répétition entre une jeune femme hystérique et sa mère tyrannique. Une torture morale qui vire à la torture physique. La Reine de beauté de Leenane ne fait pas dans la dentelle. Et la tendresse dans tout ça ?


Le décor, unique, ressemble à un aquarium. Mais un aquarium inversé, où l’eau remplirait non pas le bocal mais envahirait tout ce qui lui est extérieur. Par la fenêtre la pluie tombe et rend l’atmosphère moite et poisseuse. Dans cette baraque suintante comme une éponge s’affrontent Maureen, une Irlandaise de quarante berges, et sa mère Maggie, une vieille femme impotente et despotique. Ces deux femmes sont comme des poissons qui viennent, après des années d’interdépendance et de haine commune, à manquer singulièrement d’air. Difficile pour le spectateur d’éprouver la moindre compassion pour un univers aussi étriqué et des personnages aussi aigres.

Serrées comme des sardines dans leur boîte, les deux femmes se pourrissent la vie mutuellement. Etouffés par leur quotidien misérable, elles s’y attachent pourtant avec complaisance. Impossible d’envisager une alternative. L’agressivité monte, à l’image d’un langage de plus en plus vulgaire, mélange de folklore campagnard et de violence verbale. L’auteur de la pièce, Martin McDonagh, fonde la logique de son texte sur la haine, en fait le moteur de l’histoire. La haine motive non seulement la confrontation (entre les deux femmes) mais aussi le désir (lorsque Maureen s’amourache d’un homme, c’est aussi pour provoquer la jalousie de sa mère). Face à un tel manque d’oxygène, une seule solution s’impose : se débarrasser de l’autre, lui arracher sa part d’air. Pour se l’approprier. Ce monde est trop petit pour deux.

La question qui nous vient très vite à l’esprit est la suivante : peut-on construire une histoire sur la haine ? Est-il possible de susciter la compassion, l’enthousiasme, l’identification sur un spectacle aussi motivé par la méchanceté crasse ? La réponse appartient à chacun mais il faut reconnaître que ce traité de la haine, finalement assez superficiel, paralyse la mise en scène ingénieuse de Gildas Bourdet. Le dispositif scénique introduit l’idée d’inondation progressive : fenêtre, porte, escalier déterminent les failles par lesquelles la pluie (qui finit même par envahir la baraque !), les personnages annexes, en bref la vie, peuvent entrer. Or le texte se refuse à cette ouverture, se focalisant sur une volontaire régression spatiale et langagière.

L’action, dès lors, fait du surplace, alternant les apparitions hilarantes mais un peu faciles du jeune Lorànt Deutsch (plus habitué d’ordinaire des écrans de cinéma) et les crises de larmes de Marianne Epin (dans le rôle de Maureen), le comique de boulevard et le drame psychologique, sans vraiment savoir sur quel pied danser. La pièce n’abandonne qu’assez tard le folklore naturaliste (le langage cru ou "terroir", les invectives de l’impitoyable mémé - interprétée par Isabelle Sadoyan) pour enfin s’engager sur la voie du drame criminel teinté d’irréel, voire de fantastique. Les dernières scènes, à ce titre, sont surprenantes.

Mais cela ne suffit pas à créer l’adhésion du spectateur. La prestation des comédiens, en dépit de leur énergie et de leur évident plaisir à jouer "premier degré", n’efface pas l’inconsistance du texte de McDonagh. La haine fait échouer les actions de la jeune fille, entraîne sa propre déchéance en même temps que celle de la pièce. Elle enferme cette dernière dans un processus négatif de reproduction du même. La nature a horreur du vide et, la mort laissant la place vide, cette dernière doit être immédiatement comblée : la fille succède à la mère, condamnée désormais à subir la même existence aigrie, faite de gestes répétitifs et d’une permanente frustration face aux potentialités du monde qu’elle aura laissées filer.

par Guilhem Cottet
Article mis en ligne le 4 septembre 2004 (réédition)
Publication originale 8 mai 2003

Informations pratiques :
- pièce : La Reine de beauté de Leenane
- auteur : Martin McDonagh
- metteur en scène : Gildas Bourdet

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