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Le statut de l’intermittence existe-t-il à l’étranger ?

Le Théâtre 71 de Malakoff proposait le samedi 31 janvier 2004 une recontre-débat modestement internationale, fortement politique.


Étaient ici représentés le Portugal, l’Allemagne, le Québec, la Belgique et l’Italie, au travers d’artistes du spectacle vivant, modéré par Bernard Faivre d’Arcier, responsable, entre autres, du festival d’Avignon au ministère de la Culture. Le but avoué de cette réunion était de montrer l’exception culturelle que constitue le régime des intermittents français, en comparant la situation d’artistes étrangers connaissant à la fois les pratiques hexagonales et celles de leur second pays. Sans articuler l’exposé de ces différences de façon trop détaillée, chacun a pu prendre la parole à son tour pour raconter son aventure professionnel, résumées ci-dessous.

Richard Thériault est québécois et fortement engagé dans ce qui touche aux droits sociaux des artistes de sa province. Sa responsabilité au sein de l’Union des Artistes (UA), association créée en 1939, en fait un interlocuteur particulièrement au fait des enjeux professionnels actuels pour lui et ses collègues. Schématiquement, le système québecois est équivalent à l’anglo-saxon, avec un État plutôt en retrait dans tout ce qui touche au droit du travail. Depuis 1990, le gouvernement a voté un statut de l’artiste lui ouvrant droit à un statut fiscal d’autonomie, similaire à celui des professions libérales, et reconnait l’UA comme association représentative concernant les négociations salariales et les conventions professionnelles. Cependant, l’UA ne regroupe en son sein qu’une part bien délimitée des artistes, à savoir comédiens, danseurs, chanteurs et animateurs. Les peintres, sculpteurs, et autres musiciens ont d’autres structures pour les fédérer, totalement indépendantes et moins reconnues publiquement que l’UA. Quoi qu’il en soit, le seul soutien financier des artistes québecois est fourni par les quelques rares bourses données par l’État (concernant environ 5% des artistes), et les subventions aux scènes nationales. À cela s’ajoute le fait que les répétitions ne sont jamais rémunérées, qu’un spectacle n’est jamais joué plus de six semaines, et que les charges sont toutes assurées par l’employeur. L’UA intervient pour vérifier que les contrats de travail sont en accord avec ses recommandations, mais simplement pour les artistes qui en sont membres. Pour devenir membre de l’UA, il faut avoir réuni 30 contrats de travail. Sinon il faut payer une cotisation, de même pour tout étranger venant travailler au Québec.

L’Italie était représentée par Corrado Invernizzi et Sylvie Lévesque, l’un et l’autre ayant travaillé en Italie avant l’arrivée de Berlusconi au pouvoir, c’est-à-dire avant que la situation ne se dégrade complètement pour les artistes italiens. Ici, l’écart entre la loi et la pratique est important. En théorie, seuls les techniciens ont droit au chômage, d’un maximum de 78 jours par an à 65€ par jour ou 80% du salaire moyen, ce qui équivaut en général à une allocation annuelle de 3000 à 5000 €. Toujours en théorie, c’est au producteur de payer les répétitions et les inter-contrats. En pratique, beaucoup d’artistes se déclarent techniciens, les répétitions et inter-contrats sont rarement payés, ce qui poussent beaucoup à sélectionner les projets par les conditions de rémunération et non les choix artistiques. De plus, la grande majorité des spectacles se font en tournée, et un comédien de théâtre n’a pas la possibilité d’alterner la scène avec d’autres cachets provenant de la radio ou du cinéma.

Le statut d’artiste défini par l’UE n’est toujours pas respecté : Sylvie Lévesque, n’ayant pas la nationalité italienne, avait l’obligation de refaire son permis de séjour à la fin de chacun de ses contrats. Le fait que les producteurs ne paient pas les inter-contrats l’a fait refaire son permis 40 fois en 6 ans, soit au moins une fois tous les deux mois. Beaucoup d’artistes ne sont pas couverts par la sécurité sociale, les conséquences pour les femmes peuvent être dramatiques : très souvent, elles ont à choisir entre leur carrière et des enfants, le principe de crèche ou de garde étant quasiment inexistant en Italie.

Jutta Vielhaber est danseuse, plus spécifiquement en danse contemporaine, secteur dont l’institution allemande ignore encore l’existence : il n’existe pas de formation prévue pour ce métier dans ce pays. Il traverse de plus une grave crise de financement des théâtres régionaux, qui ferment les uns après les autres. Les comédiens salariés qui préfèrent travailler pour des compagnies indépendantes n’ont souvent pas de contrat, sont souvent payés "au black", voire pas du tout. Leur régime de protection sociale n’est accessible qu’à partir d’un certain nombre d’heure qui est rarement atteignable. De par ce fait, Jutta a, durant les 6 ans de son expérience professionnelle allemande, découvert la vente d’huîtres, l’aide cuisine, l’assistanat pour personnes âgées, les études de marché et enquêtes par téléphone, le travail à la chaîne, la sécurité, les cours particuliers et autres vacations diverses de l’enseignement, les chantiers... La tendance forte de toute la production artistique est le sponsoring à outrance, qui appauvrit considérablement l’aspect créatif.

Jutta a également donné des informations sur le statut des artistes grecs, représentatif d’un nombre important de pays aux conditions sociales dégradées. On constate en Grèce que très peu de contrats pour les artistes sont écrits, malgré l’obligation faite par le gouvernement de toujours les engager en tant que salariés. Les non-salariés ne peuvent être syndiqués, la législation est bloquée.

Après avoir été formé au TNS, Olivier Constant est retourné en belgique pour monter sur les planches. Le régime de chômage des comédiens (mais pas celui des peintres et sculpteurs) est classé dans la même catégorie que certains saisonniers comme les pêcheurs ou les bûcherons. Situation cocasse et kafkaïenne : après avoir justifié d’une activité professionnelle de 12 mois sur une période de 18 mois, la "règle du bûcheron" indique que les droits sont acquis, et il suffit de prouver ensuite un minimum de deux jours de contrat par an pour que les droits soient reconduits ! Malgré les arrangements avec les employeurs pour que le quota de 12 mois soit atteint, seuls 10% des artistes belges touchent effectivement les allocations chômage... jusqu’à ce que la réforme prévue en 2005 réduisent davantage encore ce pourcentage. Malgré le fait que les subventions aux compagnies soient difficiles et très longues à obtenir, la vitalité de la scène underground en Flandre est importante, et le déséquilibre est fort avec la région wallone moribonde culturellement.

Le Portugal a Porto pour capitale culturelle, c’est là que Marcia Lima a commencé sa formation de comédienne... avant de la poursuivre bon an mal an à l’étranger, comme un quart des jeunes artistes portugais. L’appauvrissement culturel du Portugal est très problématique. La majorité des enseignants du spectacle vivant, lorsqu’ils sont artistes eux-mêmes, ce qui n’est pas toujours le cas, viennent de l’étranger, ignorant la culture locale. Le copinage, le piston, la corruption, sont très répandus. Certaines compagnies sont subventionnées à vie malgré l’obligation d’alternance de l’attribution des crédits tous les 3 ans, les castings sont souvent décidés avant les auditions. En moins de 10 ans, la moitié des jeunes compagnies de Porto ont disparu. Seul créneau pour s’en sortir : les téléfilms.

Pour se faire l’avocat du diable, Bernard Faivre d’Arcier s’est ensuite demandé si compte-tenu du panorama dramatique dressé par tous les intervenants, il ne fallait pas considérer le système français, malgré la réforme engagée, comme le moins pire des systèmes. À quoi Jutta Vielhaber a répondu, suivi par les autres, que ce qui peut sembler être une réforme transparente ne fait que sauver les apparences du statut des intermittents, en chamboulant de fond en comble les règles d’attribution des allocations, rejoignant de ce fait le délitement général des avancées sociales des autres pays concernant le statut des professions artistiques. La concordance de cette réforme avec celle du gouvernement belge montre de plus que cette action gouvernementale, sous couvert d’une mauvaise équation comptable, ne constitue que le dernier avatar du vaste remaniement économique souhaité par l’OMC via l’Accord Général sur le Commerce des Services, dont l’application pour le secteur de la culture doit être abordé en 2005. A ce niveau, la France a en effet fort à faire pour ne pas apparaître, avec sa fameuse exception culturelle que tentent de supprimer depuis de nombreuses années les tenants de l’ultra-libéralisme comme J.-M. Messier et E.-A. Seillière, comme le mauvais élève de l’économie globale...

par Maxime David
Article mis en ligne le 7 février 2004

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