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Une Médée mystique et magnifique

Philippe Calvario reprend au Théâtre du Ranelagh la Médée syncrétique de Laurent Gaudé. Un texte magnifique, dans une mise en scène envoûtante, servie par une Myriam Boyer parfaite.


Médée semble avoir le vent en poupe cet automne. Alors que se termine la Médée africaine de Jean-Louis Martinelli écrite par Max Rouquette et jouée au Théâtre des Amandiers, Philippe Calvario reprend Médée Kali, présentée en septembre au Théâtre du Rond-Point, et la porte au Théâtre du Ranelagh.

Laurent Gaudé écrit une Médée syncrétique, venue des profondeurs de l’Asie, qui migre jusqu’en Grèce, une Médée protéiforme d’héritage grec mais d’ascendance indienne. Elle reste pour nous Médée, la fille qui trahit son père et les siens par amour pour Jason, avec qui elle a deux enfants, qu’elle tue lorsqu’il l’abandonne mais elle se drape ici en une incarnation de la déesse Kali, la forme destructrice, violente, négative de la déesse mère de l’hindouisme, Shakti, l’énergie primordiale, le souffle commun à chaque être. Kali, la déesse qui est empoisonnée lors de son combat pour sauver les dieux, celle dont la danse frénétique provoquée par la douleur du poison menace l’équilibre du monde. Kali, devenu le symbole de cet équilibre. Kali la permanence de l’équilibre création-destruction. Kali l’ambivalence du monde. Kali a une main qui donne et une qui détruit, disent les Hindous. Médée aussi. A Jason, à ses enfants, à elle-même.

Mais Laurent Gaudé ne s’arrête pas là, Médée devient la Gorgone poursuivie par Persée qui pétrifie les hommes du regard. Et l’imagination fait le reste : Médée devient la sorcière de toutes les mythologies, la mère universelle, le désir incarné. Alors que Max Rouquette présentait une Médée humaine, porteuse de la souffrance et du néant, Laurent Gaudé invente une Médée mystique, pleine du monde, chargée de toutes les croyances.

Sur une scène nue, où cordes et projecteurs sont apparents, qui nous rappelle constamment que nous sommes au théâtre, Philippe Calvario monte ce texte avec des échos de cérémonie hindoue. La salle tout en longueur, fendue d’une allée centrale rappelle un temple, avec la scène comme autel. La fumée qui s’en déverse, les odeurs du safran lâché par Médée, et les comédiens qui circulent entre les sièges nous projettent au centre de la cérémonie. L’utilisation de la vidéo offre encore une autre dimension et rajoute du sacré à cette mise en scène envoûtante qui apparaît comme un manifeste pour un théâtre total. Un théâtre qui ne prétend pas montrer le réel, un théâtre qui refuse l’illusion de la réalité, et qui aspire à plus, dont le dépouillement contient la promesse du monde dans sa globalité.

La force de cette mise en scène est assurée par Myriam Boyer, qui interprète Médée Kali, pratiquement seule sur scène du début à la fin. La scène comme la salle s’emplissent de sa présence. Tour à tour femme désirée, louve désirante, douce folle, mère caressante, déesse carnassière, épouse vengeresse, ou sorcière ambitieuse, elle porte le texte par sa voix et son corps. Erotisée par l’énergie et la beauté du spectacle, elle apparaît magnifique et resplendissante et fait de Médée Kali une expérience théâtrale marquante.

par Nathanaël Marandin
Article mis en ligne le 9 septembre 2005 (réédition)
Publication originale 16 novembre 2003

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