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[Le mécénat] en France

Comment comprendre le mécénat culturel ? Autour de quelles pratiques s’organise-t-il aujourd’hui ? Le mécénat est "l’ensemble des concours consentis par une initiative privée, en faveur de domaines d’intérêt général s’étendant aux champs de la culture, de la solidarité et de l’environnement" (selon la définition donnée par l’Admical sur le site de l’organisation).


Un constat semble évident, la France accuse un retard dans le développement du mécénat par rapport aux Etats-Unis et dans une moindre mesure à ses voisins européens, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. En effet, selon les données des associations membres du CEREC, le montant du mécénat culturel de ces pays est estimé à 183 millions d’€ pour la France, 255 millions d’€ pour l’Allemagne, 205,7 millions d’€ pour l’Italie et 226,08 millions d’€ pour le Royaume-Uni. On peut se demander quelles sont les raisons de cette différence. La cause de ce retard français semble profonde, liée à la tradition d’intervention de l’Etat dans le domaine culturel et à une méfiance forte des acteurs de la culture envers le secteur privé et sa logique a fortiori commerciale. Le terme de mécénat lui-même est fortement marqué du sceau de l’"exception culturelle française". Il s’oppose de manière idéologique au terme anglo-saxon de "sponsoring" puisque contrairement à ce dernier, le terme "mécénat" incarne une pratique ancienne de soutien à une action d’intérêt général, acte fondamentalement humaniste et altruiste, refusant l’idée d’un intérêt économique pour l’entreprise mécène.

Peut-on dire pour autant que le mécénat ne fonctionne pas en France ?

Le mécénat culturel en France s’élève à 1,298 milliards de francs (198 millions d’€, les chiffres diffèrent d’une source à l’autre en fonction de la prise en compte du mécénat seul ou de l’ensemble mécénat et parrainage), il concerne 1200 entreprises et 2800 actions (selon les données de l’Admical). Le mécénat culturel est en augmentation en France mais il croît moins vite à présent que d’autres mécénats tels que celui pour la solidarité et l’environnement. Malgré les obstacles que le mécénat d’entreprise connaît dans notre pays, on observe une grande diversité d’initiatives et en particulier le développement d’un mécénat de proximité mené par des PME.

Quels sont les obstacles au développement en France du mécénat d’entreprise ? Comment ces obstacles sont-ils en partie surmontés ?

Le cadre général, juridique et fiscal du mécénat est constitué par la loi "sur le développement du mécénat" promulguée le 23 juillet 1987. Ce cadre a évolué avec la loi du 4 juillet 1990 sur les fondations d’entreprises et l’instruction fiscale du 26 avril 2000 venant préciser la distinction entre les régimes de "mécénat" et de "parrainage".

Le cadre fiscal du mécénat en France semble de plus en plus souple. En effet, depuis le 4 janvier 2002, une nouvelle instruction fiscale relative aux musées de France améliore les déductions fiscales pour les entreprises et les particuliers qui acquièrent pour l’Etat ou en leur nom des "trésors nationaux" définis comme "des biens appartenant aux collections publiques, les biens classées, ainsi que ceux qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie" (in "Mécénat : nouveaux avantages fiscaux pour les entreprises et les particuliers", Les Nouvelles Fiscales, n°863, 1er février 2002). En outre, l’instruction fiscale du 26 avril 2000 a assoupli le régime du "mécénat" en redéfinissant la notion de contrepartie. Le régime de "mécénat" se distingue du régime de "parrainage" par l’existence dans le second de contreparties directes (en termes de publicité par exemple) pour l’entreprise en échange de son soutien financier. Cependant, la gratuité associée au "mécénat" était tout à fait pénalisante pour les entreprises menacées de ne pas bénéficier des déductions fiscales d’un côté, ou d’être accusés d’"abus de biens sociaux", de l’autre. Mais "l’administration fiscale reconnaît désormais l’existence de contreparties dans une opération de mécénat, à condition qu’il existe une disproportion marquée entre les sommes données et la valorisation de la prestation rendue" (cf. le site de l’Admical, partie "Droit et fiscalité").

"Entreprise, association ou particulier : il faut une vertu à tout mécène pour affronter les complexités de la réglementation et les réticences de l’administration", écrivent Jean-Jacques Aillagon et Pierre Bergé (in "Eloge du mécénat", par Le Figaro du 4 avril 2002). Si les choses évoluent, comme on vient de le voir, une certaine rigidité persiste. L’incitation fiscale reste faible et encourage plus le parrainage que le mécénat qui bénéficient des même avantages fiscaux mais pas du même intérêt économique pour l’entreprise. La complexité du dispositif se décline selon plusieurs points. D’une part, et malgré l’assouplissement de la non-contrepartie liée à une opération de mécénat, la menace de l’accusation d’"abus de biens sociaux" à l’encontre du PDG de l’entreprise existe et décourage. D’autre part, le dispositif de création d’une fondation d’entreprise est complexe et très réglementé, il décourage en particulier les petites entreprises qui n’ont pas les moyens nécessaires à une telle création. La fondation assure pourtant un mécénat mieux défini, inscrit dans une durée plus longue. "La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif." L’entreprise a le choix entre trois types de fondations : la fondation reconnue d’utilité publique, la fondation d’entreprise ou la fondation sous égide de la Fondation de France ou de l’Institut de France. L’assouplissement des règles juridiques qui régissent la création de fondations a été un des objectifs des récentes réformes du mécénat d’entreprise (loi sur les Musées de France 4 janvier 2002) et du nouveau projet de réforme du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il faut ajouter à ces difficultés la forte suspicion de la part de l’administration fiscale qui laisse planer un risque élevé et décourageant pour les mécènes comme pour les bénéficiaires susceptibles d’être taxés si l’on juge leur activité comme lucrative. La suspicion de l’administration fiscale, le manque de collaboration de certaines grandes institutions publiques avec les entreprises qui apportent leur soutien, les obstacles qui se présentent aux personnes désirant créer des fondations (problèmes rencontrés au cours de la création de la fondation Giacometti) ou faire des dons à l’Etat (Donation Honegger) soulignent les problèmes que pose l’"exception culturelle française" donnant traditionnellement la priorité à l’intervention publique dans le domaine culturel.

Jacques Rigaud (in "Les paradoxes du mécénat à la française", Le Figaro économie) constate que "l’intérêt général peut recouvrir l’intérêt de l’entreprise", cependant nombre d’acteurs publics de la culture, et les Français en général, semblent ne pas vouloir le comprendre. Malgré une déclaration de Jacques Chirac en faveur du mécénat où il affirme que "nous sommes bien sûr très attachés à l’affirmation éminente du rôle des pouvoirs publics, Etat et collectivités locales réunis, dans l’exercice de la responsabilité culturelle. C’est une spécificité française dont nous pouvons être fiers. Mais le corps social lui-même (individus, associations, fondations, entreprises) doit prendre une place croissante". Les pouvoirs publics semblent profondément méfiants à l’égard du mécénat. Alors que l’Etat semble encourager une participation citoyenne des entreprises à la vie culturelle, la tradition de politique culturelle étatique et centralisée véhicule l’idée que seul l’Etat est impartial dans les actions qu’il mène. Rappelons que la totalité des dépenses culturelles publiques s’élèvent à environ 16 milliards de francs (1,2 milliard de francs pour le mécénat).

La méfiance des acteurs traditionnels de la culture est principalement liée à la crainte d’une dérive commerciale des actions de mécénat qui représenteraient seulement pour les entreprises une vaste opération de publicité et de relations publiques. En outre, l’exemple américain fait peser la menace d’une pression des entreprises sur le contenu culturel des expositions et de la programmation des manifestations. Pourtant, jusqu’à présent peu de mécènes semblent assez investis pour exercer un tel contrôle, en outre lorsqu’ils le sont, il semble que s’instaure un dialogue et une collaboration enrichissante comme le montre l’exemple du Festival d’automne, dont l’apport privé s’élève à 17%, avec un de ses principaux mécènes, Pierre Bergé, patron d’Yves Saint-Laurent, qui s’investit dans les projets qu’il soutient sans pour autant faire pression sur l’équipe artistique. C’est plus généralement le cas des mécènes en art contemporain qui par la création de fondations, de lieux d’exposition, par leur soutien à la production d’œuvres de jeunes artistes mènent une politique de mécénat engagée. Cet engagement ambitieux ne semble pas nuire à la production artistique française mais donne un point de vue alternatif à celui de l’Etat dont on ne voit pas pourquoi il serait forcément plus clairvoyant concernant la création contemporaine. Le mécénat français se développe malgré les obstacles qui tendent par ailleurs à s’assouplir. La France a la chance d’avoir un Etat généreux dans le domaine culturel, ce qui laisse aux entreprises la possibilité de mener une action complémentaire et non rivale de celle de l’Etat. Cette action apparaît comme riche d’initiatives nouvelles et diverses dont les bénéficiaires sont à la fois les institutions culturelles et les entreprises, qui trouvent dans le mécénat une nouvelle stratégie de communication et des moyens nouveaux pour renforcer leur culture d’entreprise.

"Rencontre entre deux mondes qui souvent s’ignorent, le mécénat est un véritable partenariat qui permet à l’entreprise et à son partenaire de s’enrichir l’un l’autre de leurs différences mutuelles."

L’Etat reconnaît la nécessité du mécénat d’entreprise compte-tenu de la demande croissante de financement de la part d’institutions culturelles et de nombreuses manifestations. Ces besoins passent par le soutien du secteur privé. Beaucoup d’institutions culturelles françaises et en particulier les plus prestigieuses (Musée du Louvre, Château de Versailles) sont financées en partie par des investissements étrangers. Les entreprises françaises aussi ont compris leur intérêt à s’investir dans la culture. Le mécénat est devenu pour les grandes, moyennes et petites entreprises un moyen de communication, élément essentiel de leur stratégie. Le mécénat permet de valoriser l’image de l’entreprise face à des consommateurs et des marchés financiers de plus en plus exigeant quant au rapport d’une entreprise à son environnement. En menant des actions d’intérêt général, l’entreprise met en valeur un engagement citoyen qui véhicule une image positive autre que celle d’une recherche de profit à tout prix. Une politique de mécénat peut se construire en rapport avec le métier de l’entreprise, ainsi la Fondation France Telecom finance des projets liés à la communication, la Fondation EDF a soutenu des projets de mise en lumière de monuments ainsi que des artistes travaillant avec les nouvelles technologies. Le mécénat peut aussi s’inscrire dans un choix artistique particulier, par exemple la Fondation Gan défend le septième art, et la Fondation Cartier est célèbre pour l’engagement de longue date du patron de Cartier, Alain-Dominique Perrin, envers l’art contemporain.

Les entreprises ont également trouvé à travers le mécénat un outil de cimentation de la culture d’entreprise. La participation des salariés n’est pas toujours évidente mais la politique de mécénat permet de donner aux salariés une image positive de leur entreprise et de les rendre fiers d’y travailler. Cela permet aussi de rassembler tous les salariés autour de quelque chose d’autre que leur travail et de chercher ainsi une cohésion de groupe dans les entreprises de taille plus modeste. On peut citer l’exemple de la Cave vinicole de Ribeauvillé qui s’est engager depuis 1995 dans des opérations de mécénat culturel en faisant participer les vignerons et les salariés de l’entreprise à l’organisation d’expositions, de concerts, transformant la coopérative en véritable centre culturel. Par ailleurs, il est intéressant de voir que le Crédit agricole persévère dans un engagement de longue date de mise en valeur et de rénovation du patrimoine agricole et rural, engagement efficace et inscrit dans une continuité qui permet à l’entreprise de mettre en valeur sa spécificité tant à l’égard de ses clients que de ses propres salariés en leur conférant une image renouvelée et dynamique de leur entreprise.

Depuis la création de l’Admical en 1979, Jacques Rigaud, son président, peut sans crainte affirmer que le mécénat d’entreprise n’a cessé d’augmenter, que le nombre des acteurs s’est diversifié, que les opérations de mécénat se sont dirigées vers les régions et les collectivités locales, que le mécénat s’est professionnalisé.

Depuis les années 70, le mécénat d’entreprise a fait du chemin en France. L’idée d’une "responsabilité sociale" de l’entreprise a donné au mécénat un rôle clé. Il permet de combler des besoins de financement que l’Etat ne peut plus assurer en raison de leur croissance et de permettre à l’entreprise de mener une stratégie de communication plus originale et mieux adaptée à son identité. La responsabilité du mécénat dans une entreprise est devenue la charge de professionnels de la communication et de la gestion culturelle qui mènent une réflexion en profondeur sur quelles actions, quels publics, pour quels objectifs. Le mécénat culturel, premier historiquement, laisse cependant la place à d’autres formes de mécénats parfois plus en accord avec des besoins sociaux. Sa croissance est moins rapide que celle des mécénats de solidarité et d’environnement mais reste réelle.

"C’est une conviction commune : la vocation de l’entreprise à participer au bien commun en s’intéressant aux activités de création, de diffusion, voire de formation en matière de culture, ainsi qu’à la sauvegarde, à la restauration et à la vie du patrimoine sous toutes ses formes" (site de l’Admical)

La croissance du mécénat culturel s’est traduit également par un engagement plus marqué et plus ambitieux des entreprises. Jacques Rigaud parle d’un "mécénat de contribution" ou "passif" qui a évolué vers un "mécénat d’initiative" ou "actif". Ce mécénat est perçu comme porteur d’initiatives originales et d’innovations dans les domaines qu’il soutient. En outre, le développement d’un mécénat de proximité qui est le fait de plus petites entreprises défend l’idée que le mécénat améliore le rôle de l’entreprise dans son environnement social et participe à l’intégration de l’entreprise dans la vie d’une collectivité locale. Les entreprises deviennent ainsi complémentaires de l’Etat en concourrant de manière très démocratique à l’action publique dans des domaines où la demande est de plus en plus importante.

En outre, les formes d’actions sont de plus en plus nombreuses, pour l’art contemporain par exemple, on observe des constitutions de collections, des créations de lieux d’exposition, des aides à la réalisation de projets, des distributions de prix, l’édition de publications. Mais le mécénat peut aussi prendre la forme d’une aide technologique ou d’un prêt de matériel coûteux. Une entreprise comme Rhône-Poulenc met sa technologie de pointe au service du programme de sauvetage des manuscrits anciens de Mauritanie ou la réhabilitation d’un temple vietnamien à Hué. Le mécénat s’internationalise.

par Vanessa Desclaux
Article mis en ligne le 2 janvier 2005

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