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Alila, d’Amos Gitaï

Alila tente de décrypter les évolutions récentes de la société israélienne et de proposer un nouveau pacte pour l’avenir qui aurait pour objectif de retrouver la paix. Un film âpre qui aide autant à penser qu’à aimer.


(JPEG) Si une figure de style sied bien aux films d’Amos Gitaï, c’est le plan-séquence. Son utilisation relève pour le cinéaste d’un choix aussi bien esthétique qu’éthique. Le plan-séquence lui permet d’inscrire ses personnages dans l’espace et la durée sans imposer un sens particulier aux différentes scènes par le biais du découpage. Amos Gitaï laisse ses personnages vivre et ses spectateurs penser. Le cinéma est d’abord pour lui un moyen de rendre compte de la complexité du monde et plus particulièrement de la société israélienne. Après deux films historiques questionnant le mouvement sioniste qui déboucha sur la création d’un Etat hébreu en 1948 (Eden et Kedma), le réalisateur se réinvestit aujourd’hui dans des fictions contemporaines. Son segment de 11’09’01 september 11 retranscrivait en un long plan-séquence le chaos suivant un attentat. Alila conserve un même parti pris de mise en scène. Le nouveau film d’Amos Gitaï est composé d’une succession de plan séquences de durées diverses.

(JPEG) Le premier d’entre eux pose une grande partie des enjeux thématiques et esthétiques d’Alila. Ezra y discute avec son fils Eyali dans sa voiture qui les conduit à travers les rues de Tel Aviv. La caméra d’Amos Gitaï passe successivement d’un personnage à l’autre par de fluides mouvements de droite à gauche. Elle s’attarde par moment sur les rues de la ville pour en retranscrire le télescopage de bruits, de musiques et d’atmosphères. L’Israël d’Alila n’a absolument rien à voir avec les images qui en sont habituellement véhiculées. Haïfa est présentée ici comme une ville hétéroclite où cohabitent des entités très diverses. On retrouve, d’abord, les juifs établis depuis de très nombreuses années, probablement 1948, à travers le personnage de M. Schwartz, seul détenteur de la mémoire de la Shoah. Viennent ensuite les enfants de cette première génération, élevée dans l’amour de la patrie d’Israël et la crainte de sa possible disparition. Ezra, Mabi et Gabi sont profondément marqués par les conflits qui agitent leur pays. Les descendants de ces derniers ont une troisième perception différente de ce qu’est l’Etat Hébreu et des enjeux d’une société moderne. Eyali et Illan privilégient leur bien être personnel à l’idée de sûreté de l’Etat. A ces trois premières couches s’ajoutent les derniers immigrants notamment chinois.

(JPEG) La reconnaissance de ce profond bouleversement de la société israélienne est la base même de la fiction d’Alila. Le film alterne trois pistes narratives. La première oppose Eyali à ses parents séparés. Le jeune adulte est recherché pour avoir déserté l’armée. Une deuxième piste narrative s’attarde sur la relation qu’entretiennent Gabi, une jeune femme d’une trentaine d’années, et un homme marié un peu plus âgé. Les amants se retrouvent régulièrement, à la demande de l’époux seulement, dans un studio de la ville où ils font l’amour. Leur relation ne va jamais plus loin. La troisième et dernière piste narrative concerne la vie de l’immeuble où se situe ce studio et où travaille Ezra, le père d’Eyali. On y retrouve une concierge d’origine chinoise, deux vieux habitants du quartier et une inspectrice de police tout juste arrivée à Tel Aviv. Les relations qu’entretiennent entre eux tous les personnages sont d’ordre conflictuel. Ezra est séparé de Mabi, leur fils est en fuite, l’inspectrice de police qui fait faire des travaux dans le petit immeuble est peu aimée de ses voisins. Quant aux deux amants, c’est Gabi qui résume le mieux la situation en comparant leur relation à une guerre. Tous ne semblent pouvoir évoluer que dans le rapport de force. Loin de les rendre heureux, cette situation les mine. Les relations humaines et les vies se précarisent. Erya vit dans sa fourgonnette devant l’appartement de sa femme. Gabi accepte de loger dans un studio qui ne lui appartient pas et qu’elle ne peut investir son amant lui ayant interdit d’adresser la parole aux voisins. La frontière entre espace public et privé s’amenuise. La caméra passe sans problème de l’intérieur à l’extérieur des habitations. Tout le monde peut profiter des conversations téléphoniques d’Illan ou des ébats de Gabi. Un individu pénètre dans l’appartement d’Aviram sans rien y voler. Progressivement, chacun se lasse du conflit qui les pousse à s’autodétruire. Gabi, refuse de se soumettre aux volontés du mari, Mabi demande à son ancien époux de ne plus venir dormir devant chez eux.

(JPEG) Cette lassitude du conflit, c’est aussi en filigrane celui qui oppose Israël à la Palestine. La radio rapporte à plusieurs moments dans le film des nouvelles d’attentats et de représailles. Là aussi, pour trouver la paix, il faut oublier les querelles du passé, s’ouvrir aux autres et penser à l’avenir. Les personnages d’Alila ne sortent pas pour rien de relations sado-masochistes. La société israélienne a changé, sa politique doit donc s’adapter. Quand la concierge chinoise éteint son poste qui annonce de nouvelles explosions dans l’Etat hébreu pour écouter avec nostalgie une mélodie de son pays d’origine, Amos Gitaï élargit le propos de l’existence d’Israël pour parler de la douleur de ceux qui n’ont pas de chez eux ou ont dû en partir.

Alila est un plaidoyer pour un monde plus tolérant. Le film appelle à un renouvellement des liens qui unissent les individus. La haine doit laisser place à l’amour. Ce nouveau lien est symbolisé par les fusibles usés à changer dans l’appartement de Gabi mais aussi dans le générique du film lu par Amos Gitaï dans la première scène. Le cinéaste cherche lui-même à toucher son spectateur d’une nouvelle façon, à établir une relation débarrassée du poids des habitudes et des traditions. Eyali essaie ainsi d’expliquer à ses parents : « Le pays, ce n’est plus ce que c’était. » Alila enregistre cette rupture et propose un nouveau chemin pour Israël, celle d’un pays plus généreux, tourné vers la modernité et l’acceptation de l’autre dans sa différence. Un espace à soi où chacun échapperait à la condition de nomade.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 7 mai 2004 (réédition)
Publication originale 29 octobre 2003

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