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Sex is comedy

Présenté à la quinzaine des réalisateurs cette année à cannes, le nouveau film de Catherine Breillat, Sex is comedy est une comédie réjouissante qui vient s’ajouter à la maintenant longue liste des oeuvres cinématographiques montrant l’envers du décor d’un tournage de cinéma. A saluer, la prestation de trois très bons comédiens : Anne Parillaud, Grégoire Colin et Roxanne Mesquida.


A peine un mois après la sortie du dernier film de Woody Allen, Hollywood ending, nous revoilà parti dans une comédie sur le cinéma et ses coulisses. Sauf que là où le cinéaste new-yorkais s’amusait à ne rien montrer du résultat et du processus de création, Catherine Breillat, elle, suit l’option inverse. Elle s’attarde avec application à nous montrer toutes les étapes de tournage d’une scène... d’un film de Catherine Breillat. Sex is comedy est une mise en abyme, un autoportrait. La réalisatrice ne cherche pas à faire seulement une oeuvre sur ce que c’est d’être cinéaste, ou même de faire un film, même s’il y a beaucoup de ça aussi. Elle se montre d’abord au travail, à travers Jeanne (Anne Parillaud), et partage avec nous sa conception du cinéma, son expérience de réalisatrice. Sa présence est si marquée que Sex is comedy tourne entièrement autour du tournage d’une seule scène. Une reprise de la scène du dépucelage d’Elena dans A ma soeur, dont le rôle est repris ici par la même actrice (Roxane Mesquida). Dans Sex is comedy, il est donc question de sexe, des rapports entre les hommes et les femmes mais surtout de cinéma. Breillat ne cherche pas à idéaliser son métier. Le film nous montre parfaitement que le tournage est avant tout une question d’attente, de temps morts. Il faut deux heures pour préparer la lumière d’une scène, se dépêcher d’en tourner une autre avant qu’il pleuve. C’est beaucoup de travail, de discussions, de compromis. Ce rythme, ces impératifs déteignent par moments sur le film.

(JPEG)La réalisatrice a donc pris le parti de faire de ce travail besogneux une vraie comédie légère. Sex is comedy s’offre sous nos yeux avec un ton plaisant qui prête souvent à sourire. L’humour du film tient surtout au décalage entre le produit fini et les conditions même qui ont permis de le faire. Ainsi, on voit les acteurs se geler sur une plage en maillot de bain pour faire croire que c’est l’été alors que le temps dehors est froid. Il faut aussi mentionner l’excellente idée de faire entrer dans la scène finale une énorme prothèse génitale à l’acteur de la scène (Grégoire Colin), ustensile à la base des moments les plus drôles du film. Sex is comedy joue beaucoup sur le scabreux sans jamais tomber dedans. On sent là le sens de l’autodérision de la réalisatrice, qui rend l’oeuvre, par ailleurs assez bavarde et théorique, très agréable à regarder. Le portrait de cette réalisatrice, prête à toutes les manipulations pour arriver à ses fins, est franchement réjouissant. Elle s’amuse avec les egos de ses deux acteurs, qui le lui rendent bien. C’est tout un jeu de pouvoir et de séduction qui se met en place entre les trois personnages. Le cinéma est d’abord affaire de désir. Celui-ci doit exister aussi bien devant que derrière la caméra. Une grande partie du film est ainsi consacrée à la relation conflictuelle qu’il peut exister entre la réalisatrice et ses deux interprètes. L’important pour Jeanne est de savoir tirer le maximum de ses corps. Ce sont eux au final qui seront sur l’écran. Le cinéma n’est pas un art conceptuel. Il s’agit d’abord de chair, d’incarnation.

C’est sans doute à ce niveau là que Sex is comedy est le plus impressionnant. Car toutes les théories que Jeanne récite dans le film, on les a, nous spectateurs, mises en forme à l’écran. Mise en abyme, Sex is comedy n’en reste pas moins aussi un film avec des acteurs, un sujet. Là où les deux interprètes doivent être distants dans le film qu’ils tournent, ils sont distants pour nous à l’écran. Grégoire Colin et Roxane Mesquida savent même nous faire croire qu’ils savent mal jouer quand Breillat (la vraie celle-là) le leur demande. La performance de l’actrice est à ce titre exemplaire. Effacée les trois quarts du film, elle est absolument extraordinaire pour le final. Cette scène de dépucelage que les personnages redoutent pendant tout le tournage est l’occasion pour Breillat de montrer ce qu’elle sait faire ! Elle, comme Jeanne, arrive à y faire naître quelque chose de troublant, d’absolument bouleversant alors que rien auparavant ne nous préparait à un tel résultat. Cette scène finale est le cadeau du film au spectateur. Un grand morceau de cinéma magnifiquement mis en scène et interprété. La justification du film, du film dans le film et de la vocation de Catherine Breillat, qui démontre là encore avec grand talent l’étendue de son savoir-faire.


De Catherine Breillat, on pourra aussi lire les critiques de A ma soeur et d’Anatomie de l’enfer.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 10 octobre 2005 (réédition)
Publication originale 12 juin 2002

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