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Team America : est-on réellement face à un pamphlet ?

Lorsque la critique de la critique devient apologie...

Annoncé comme la dernière satire des créateurs de South Park, Team America, World Police est à la hauteur du talent de ses auteurs mais se révèle être un film très ambigu sur le fond, et un redoutable outil de propagande. Avec ce film et les dernières saisons de South Park, Trey Parker et Matt Stone ont effectué un revirement acrobatique dans leur vision du monde américain...


Team America, police du monde est le dernier film d’animation en date se voulant petit budget mais grand public. De ce fait, il s’inscrit parfaitement dans l’état d’esprit des créateurs de la série South Park, Trey Parker et Matt Stone. Fort de ce label, le film crée déjà des attentes avant sa sortie. On se doute qu’il va être insolant, drôle, iconoclaste, qu’il va mélanger humour enfantin et humour d’adulte, et, sans doute, qu’il va donner lieu à une critique mordante de la société américaine bien pensante. Si la première partie du contrat est remplie, il semble que Parker et Stone aient réservé, comme nous allons le voir, un tout autre sort à la dernière. Le film peut se découper en trois parties. La présentation de la Team America, l’intrigue, puis le dénouement de l’intrigue.

La Team America

Dans la première demi-heure du film, la Team America est présentée comme une équipe sur le mode de l’Agence Tout Risque, ayant pour objectif de traquer les terroristes où qu’ils soient sur la planète. La caricature de l’Agence Tout Risque est amusante. Nos héros agissent à partir d’une base secrète (située à l’intérieur du Mount Rushmore), sont dirigés par un chef d’un âge avancé aux cheveux blancs, utilisent les dernières trouvailles technologiques pour finalement accomplir leurs missions dans un festival d’explosions et d’actions musclées. Associé à cela, le label "America" vient apporter la touche pamphlétaire. Le sigle de la Team est un drapeau américain, notre équipe combat des terroristes islamistes barbus et enturbannés, et ses missions s’effectuent dans des rafales de dommages (JPEG)collatéraux, détruisant habitations et tuant bon nombre de civils sur les lieux des opérations. Ajoutez à cela la destruction de la Tour Eiffel, des pyramides d’Egypte et des statues de Sphynx, et la première demi-heure du film est un véritable pamphlet de l’action militaire américaine dans le monde. C’est même une satire assez complète, puisqu’elle ne se contente pas de montrer les actions ravageuses de la Team America, mais a le souci également de mettre en scène l’état d’esprit des membres de l’équipe. Ceux-ci semblent bien plus préoccupés par leurs petites affaires de coeur internes au groupe que par l’impact de leurs actions sur les populations locales. Bref, une première demi-heure très réussie et véritablement hilarante, qui a pour fonction, logiquement, d’associer l’Amérique actuelle à la Team America.

L’intrigue

La Team America apprend que des terroristes sont en train de planifier une attaque à l’échelle planétaire. Les renseignements leur indiquent que des terroristes du Caire sont derrière tout cela. La Team échafaude un plan et en finit rapidement avec les terroristes égyptiens. Cependant, les importants dommages collatéraux dans la ville du Caire leur attirent les foudres de la "Guilde des acteurs de cinéma (Film Actors Guild)", qui regroupe des caricatures d’acteurs tels que Alec Baldwin, Matt Damon, Sean Penn, Tim Robbins. Survient alors le véritable attentat, tuant des milliers de (JPEG)personnes. L’auteur de ce crime n’est autre que Kim Jong Il, leader despotique de la Corée du nord. La Guilde des acteurs ne manque pas cette occasion pour imputer cette explosion de violence aux bavures de la Team America au Caire. Il s’ensuit une grande manifestation de protestation contre l’action de notre équipe, manifestation à laquelle participe Micheal Moore. Le héros de l’histoire, un jeune acteur nommé Gary, grand fan d’Alec Baldwin, est bouleversé par ces critiques et quitte l’équipe qui ne se remettra pas de ce départ. A ce stade du film, les réalisateurs en ont fini avec la critique de l’action américaine dans le monde. Ils s’attachent plus à critiquer le mouvement d’opposition qui est apparu lors des préparatifs de la récente guerre en Irak, mouvement comprenant les critiques de certains acteurs d’Hollywood, la prise de position de Michael Moore et les manifestations pacifistes qui ont feuri un peu partout aux États-Unis. Dans le film, les acteurs d’Hollywood sont ridiculisés par le discours manipulateur d’Alec Baldwin, les propos bien trop simplistes et bien pensants de Tim Robbins et la débilité de Matt Damon. Michael Moore y est présenté comme un révolutionnaire violent souhaitant le renversement de ce qu’il appelle, dans le film, tous les systèmes fascistes dans le monde. Le Hotdog qu’il tient à la main et la moutarde qui lui colle à la bouche finissent de grossir la caricature du personnage. Ce dernier se fera même exploser dans l’enceinte du Mount Rushmore, détruisant le quartier général de l’équipe et les portraits des pères fondateurs des États-Unis sculptés sur les pans de la montagne... Les manifestants n’échappent pas à la critique. Leurs pancartes arborent des phrases lapidaires et simplistes, telle que : "La Team America est méchante (Team America is Bad)". Les manifestations ayant lieu après les interventions d’Alec Baldwin, il en ressort l’impression que celles-ci sont moutonnières et manipulées par les acteurs d’Hollywood. Plus généralement, cet épisode montre que le mouvement a sapé le moral et l’enthousiasme de la Team America, et a provoqué sa séparation et sa chute. Le mouvement est également responsable du doute jeté dans l’esprit du héros et de sa souffrance, ce qui s’avère être une tragédie pour le monde car Kim Jong Il a, à ce moment du film, la voie libre pour exécuter son plan machiavélique. Le mouvement met donc l’Amérique et le monde en danger en affaiblissant les forces de l’interventionnisme américain.

Le film va plus loin que la simple caricature. La Guilde des acteurs, forte de la disparition de la Team America, organise une conférence au cours de laquelle Alec Baldwin dévoile son ambition pour les acteurs d’Hollywood : dévenir une puissance politique internationale. Pour cela, les acteurs ont loué les services d’un politicien qui pourra les aider. Celui-ci n’est autre que Kim Jong Il, qui a planifié des explosions sur toute la planète pour la fin de la conférence. Alec Baldwin sera chargé de distraire les invités de marque à la cérémonie pendant que le compte à rebours sera en marche. Les acteurs sont donc les pantins de Kim Jong Il et font le jeu du terroriste nord-coréen.

Le dénouement de l’intrigue

Poussé par son amour pour Lisa, une membre de l’équipe, notre héros Gary retourne au Mount Rushmore dans l’espoir de reintégrer la Team. Après avoir prouvé qu’il était un homme de confiance en effectuant une fellation sur le chef de l’équipe, Gary s’envole pour la Corée du Nord où a lieu la soirée de Kim et de la Guilde des acteurs. Il délivre ses co-équipiers faits prisonniers par le leader terroriste, et l’équipe se fixe comme but d’interrompre le compte à rebours avant la fin de la cérémonie. La Team America parvient à déjouer le plan démoniaque de Kim Jong Il après une tirade de Gary, qui reprend ce qu’un ivrogne lui avait dit dans un bar. Il y a trois sortes de gens sur terre : les "bites (dicks)", les "chattes (pussies)" et les "trous du cul (assholes)" [1]. Les chattes et les trous du cul s’entendent bien. Les deux ont peur des bites car celles-ci les pénètrent. Mais les bites ne doivent pas se laisser impressionner car il est normal pour elles de pénètrer les chattes et si elles ne pénètrent pas les trous du cul, autant les bites que les chattes se retrouvent couvertes d’excréments. C’est la raison pour laquelle les bites doivent "s’occuper" des trous du cul...Gary admet que, parfois, les bites "baisent trop", mais tout ce qu’il sait de ce "monde de dingues", c’est que les bites doivent pénétrer les trous du cul pour le bien de tous. Concrètement, les "bites" symbolisent la Team America, qui elle-même représente l’Amérique, les "chattes" symbolisent la Guilde des acteurs, qui elle-même représente le mouvement d’opposition à la guerre en Irak, et les "trous du cul" symbolisent Kim Jong Il, qui lui-même représente le terrorisme international. A ce stade du film, il ne faut pas être grand sorcier pour comprendre que Team America : World Police est ouvertement en faveur de l’interventionnisme américain dans le monde. Lors de son discours à la cérémonie, la caricature d’Alec Baldwin met fin à toute ambiguité : "La Guilde des acteurs veut un monde sans violence. Gérer les personnes les plus dangereuses du monde par le dialogue et la négociation, c’est la façon de faire de la Guilde." Il est à noter que les initiales de la Film actors Guild sont FAG, ce qui veut dire "tapettes" en argot anglo/américain. Le dialogue et la négociation sont donc la "voie des tapettes". Après la tirade de Gary, Alec Baldwin ne peut que balbutier des bouts de phrase sur le réchauffement planétaire et les grandes corporations. Kim Jong Il meurt et le film se termine en Happy End, lorsque la communauté internationale, constituant les spectateurs de la cérémonie, acclame dans un tonnerre d’applaudissements la Team America pour les avoir sauver du mal. Les dernières tirades du film sont dignes d’un épisode de l’Agence Tout (JPEG)Risque ou d’un Superman-like quelconque : "Dépêchons-nous, il y a encore plein de méchants à attraper dehors", ou encore, après que l’esprit de Kim se soit échappé sous la forme d’un cafard en criant qu’il reviendrait : "Nous t’attendons de pied ferme (We’ll be there waiting for you) !"

Le film est une réussite du point de vue de l’animation, mais ce n’est pas cela qui retiendra l’attention du spectateur un tant soit peu au fait du contexte politique international dans lequel nous évoluons. Ce qui nous pousse à qualifier la propagande du film de "réussite", c’est la relative subtilité avec laquelle elle est menée. Le monde n’est pas présenté de façon manichéenne. La première demi-heure est consacrée à la critique de l’action américaine dans le monde, les terroristes ne sont pas ceux que l’on croit. Mais il demeure que le film fait l’apologie de la ligne instaurée par les néo-conservateurs de la Maison Blanche avec des moyens propre à la propagande. Il n’apporte pas d’éléments à la réflexion et se contente de parodier puis d’affirmer. Nous dirons, pour cette raison que ce film n’est pas citoyen du tout et que l’affirmation sans démonstration l’amène aux limites du film de propagande. Ajoutez à cela qu’il traite d’un sujet aussi grave qu’une déclaration de guerre (qui a bien lieu dans notre monde réel) sur le ton de l’humour enfantin à la "pipi caca" et cette absence totale d’éléments pour la réflexion devient insupportable, intolérable, voire impardonnable. La fin du film donne l’impression que l’action militaire dans le monde est un jeu, ou un film d’animation qui se finit toujours bien. La Team Amrica retrouve ses armes et ses véhicules ultra-sophistiqués un peu à la manière d’une publicité pour des jouets Bandai issus d’une série américaine des années 80. Le film est donc en pleine confusion de la réalité et d’une fiction de super-héros à la G.I. Joe. Les raccourcis sont trop nombreux et les affirmations trop fortes pour que le mot de "propagande" ne soit prononcé. Même si le film n’a sans doute pas été commandité, ce sont les méthodes employées pour atteindre le but (apologie de l’interventionnisme militaire) qui y ressemblent. Les réalisateurs se sont mis dans une position irresponsable et peu digne de personnes ayant la chance de pouvoir véhiculer un message sur la plupart des écrans de la planète.

Pour finir, nous dirons que l’on peut ne pas être d’accord avec le point de vue que nous venons de développer, mais qu’une chose est sûre cependant : Trey Parker et Matt Stone ne peuvent plus, et ne doivent plus, se réclamer de l’étiquette "rebel" après avoir fait un film dont le message est similaire à celui du président des États-Unis et qui est soutenu par une grande partie de la société américaine. Les États-Unis sont bien plus timides avec Kim Jong-Il qu’avec Sadam Hussein. Si Parker et Stone avaient été de véritables "rebelles", c’est cela qu’ils auraient dû dénoncer au lieu de faire croire que la Team America lutte efficacement contre le leader nord-coréen.

par Jérôme Bonnin
Article mis en ligne le 11 avril 2005

[1] Les termes sont employés tels quels dans le film

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