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Vies, d’Alain Cavalier

Yves, chirurgien des yeux à l’Hôtel-Dieu, pratique ses dernières opérations avant la retraite ; Jean-Louis, sculpteur, a transformé sa maison en atelier ; Michel, boucher, raconte sa vie, une vie de travail ; Françoise retourne dans la maison d’Orson Welles avec qui elle a travaillé pendant deux ans.


L’oeil dans l’objectif de sa caméra DV, Cavalier est attentif aux moindres détails des morceaux de vie qu’il filme : ce fil microscopique qui répare l’oeil d’une patiente de Yves, ce bout de papier, cloué sur un mur de l’appartement de Jean-Louis, poignant hommage à une bonne morte dans les camps par les " descendants de ses patrons ". Il est à leur écoute. Les images, brutes, donnent une grande place à ce qui leur échappe : la voix, l’imagination. Comme dans le passage final où les objets de la maison d’Orson Welles s’effacent devant son image.

Une remarque entendue immédiatement après la projection de Vies : "C’est bien, mais ce n’est pas un film". C’est bien dans les habitudes du réalisateur de Thérèse et de Libera me de surprendre, voire de déranger. Parce que ses films ne ressemblent à aucun autre.

Ce qui étonne d’abord, dans Vies, c’est sa construction. Les quatre existences sont autant de parties autonomes et sans lien entre elles. Alors pourquoi faire un film de ce qui aurait pu être quatre courts ou moyens métrages ? Plusieurs pièces de musique de chambre mises bout à bout n’ont jamais constitué une symphonie. Cavalier avoue avoir en réserve une vingtaine de "vies" du même type, mais que les quatre dont il est question lui paraissent constituer un ensemble. Un peu comme une "suite" musicale, dont la cohérence est assurée par une "couleur" commune. Et c’est le travail qui représente la tonalité de Vies, le thème central auquel renvoie chacun des personnages : Yves et Jean-Louis qui exercent leur passion, Michel dont la vie est indissociable de sa profession de boucher, et Françoise qui a lutté, en vain, pour redonner à Orson Welles l’envie de créer.

Avec ce dernier volet pourtant, on comprend ce qu’il y a d’artificiel à vouloir donner une unité à un groupe qui n’existe que sur la pellicule. Cet épisode, par l’absence totale de montage et de jeu sur la temporalité, c’est à dire de mise en scène, s’oppose aux précédents qui, eux, utilisent la caméra - même numérique - comme un regard. Dans la maison de Welles, l’image disparaît ; elle n’apporte rien au récit, qui vit grâce à la voix de la narratrice beaucoup plus que par l’évocation visuelle de ces lieux que Cavalier ne révèle pas. On songe à l’émission Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet : beaucoup d’humanité, un contact très vrai avec les gens ; mais c’est de la radio.

Dans les deux premiers volets, ceux du chirurgien et du sculpteur, Cavalier fait du cinéma. On peut penser que dans les années qui viennent, les tournages en DV, très souples, vont se multiplier. Et que l’approche "documentaire" va prendre le pas sur la fiction traditionnelle, parce qu’on pourra parler de sa vie dans ses films. De là une richesse, tant en terme de sujets et de cadres abordés-combien de Michel et de Jean-Louis dans l’entourage de chacun ? - que de façons de faire du cinéma. Dans cette voie, Cavalier trace le chemin à suivre, fait de passion, de rigueur et d’intelligence.

par Stéphane Bonhomme
Article mis en ligne le 12 juin 2005 (réédition)
Publication originale 22 novembre 2000

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