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Yann Tiersen : Good Bye Lenin !

Deux ans à peine après le succès de la bande originale du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, composé en grande partie de morceaux issus de ses disques précédents, Yann Tiersen vient de signer la musique de Good Bye Lenin !, le dernier film du réalisateur allemand Wolfgang Becker.


Il a dit et redit que composer pour le cinéma ne l’intéressait pas, et surtout qu’il ne voulait pas écrire pour illustrer des images. De Good Bye Lenin ! - prix du meilleur film européen aux 53èmes Berlinales début février - pour l’instant, nous n’avons que le son ; pour les images, il faudra attendre la sortie du film sur les écrans français en septembre prochain. D’ici là, chacun est libre d’accrocher à ces 23 nouveaux morceaux les sentiments qu’ils lui inspirent, sans coller à l’atmosphère du film. Comme pour ceux qui, avant la sortie d’Amélie, connaissaient déjà les douces mélodies du multi-instrumentiste.

Pas si simple, cependant. Car si les morceaux de Yann Tiersen sont empreints de mélancolie ou de tristesse, leurs titres y sont souvent pour beaucoup. "La Dispute", "Sur le fil", "La Rupture" ou "L’Echec" disent tout bas ce qu’expriment leur mélodies. Cette fois, les titres correspondent aux scènes du film ("Summer 78", "Childhood", "First Rendez-Vous"...). Des images que nous ne sommes donc pas près de voir. Faut-il le regretter ? Il suffit de ne pas se référer à la pochette du disque pour laisser opérer la magie des mélodies. C’est à leur numéro qu’on les repère, à leur ordre, aux instruments qui les font vibrer, plus qu’à des titres qui finalement ne nous parlent pas.

Pour Amélie, Jean-Pierre Jeunet avait pu puiser abondamment dans le répertoire déjà vaste du Breton qui achevait en même temps son nouveau disque, L’Absente. Pour La Vie rêvée des anges, Tiersen avait composé trois morceaux en restant persuadé qu’il s’agissait d’un film qui n’avait pas besoin de musique. Au final, "Rue des Cascades", version retravaillée du titre qui figurait sur son deuxième album, n’accompagnait que le générique de fin du film d’Erick Zonca. André Téchiné a utilisé "La Rupture" pour Alice et Martin, Christine Carrière quelques titres pour Qui Plume la Lune ?, Philippe Le Guay a fait de même pour Trois Huit. Avec Good Bye Lenin !, Yann Tiersen signe sa première vraie bande originale de film, entièrement faite de morceaux spécialement écrits pour l’occasion. Mais il n’est guère étonnant que son univers musical ait rencontré celui du cinéma. Avant ces contributions au septième art, Tiersen avait composé "La Valse des monstres" et "Le Tambourin de soie" comme fond musical pour deux pièces de théâtre représentées sur Rennes il y a une dizaine d’années. Et récidivé avec "L’Homme aux bras ballants", présent sur Le Phare, pour un court métrage du même nom réalisé en 1997 par Laurent Gorgiard.

Good Bye Lenin ! n’est pas une bande originale comme les autres. Pas un disque de Yann Tiersen comme les autres non plus. A mi-chemin entre l’univers tendrement nostalgique de ses disques et l’évocation musicale d’une ex-Allemagne de l’Est qui se réveille après quarante années d’influence soviétique. Le disque s’ouvre sur quelques notes de piano, bientôt accompagnées par l’ensemble orchestral Synaxis, une nouvelle fois présent aux côtés du compositeur (sur "Summer 78"). Pour créer une atmosphère aussi légère que tourmentée. Et décrire des états d’âme presque insaisissables - pour ne pas dire ineffables. Le même morceau vient clore le disque, avec la voix fragile et pure de Claire Pichet (déjà présente sur "Rue des Cascades" et "La Rupture").

Le reste du disque ne décevra pas les amoureux de la musique de Tiersen. Souvent seul au piano, puis secondé par les cordes de l’orchestre (violons, altos, violoncelles, contrebasses), il ne s’éloigne guère de ce qui lui ressemble. Sans pour autant faire du déjà vu/déjà entendu. Son univers instrumental s’agrandit au passage, avec des vents de plus en plus nombreux. Après le mélodica ("Le Moulin", "La Dispute") ou les tuba, trompette et autre clarinette des Têtes Raides ("La Noyée", "Le Jour d’avant"), il accueille aujourd’hui flûte, hautbois, trombone, cor, etc. Les morceaux y gagnent en légèreté, mais il reste comme un serrement de cœur dont le disque ne peut se défaire. L’intensité monte dans les derniers morceaux, à l’image de "Father is late" (qui suit "Mother will die", tout un programme), où piano et orchestre semblent plonger en un même mouvement dans la tristesse. Bref, un disque joliment douloureux, ou douloureusement joli, peut-être un peu les deux à la fois. Un disque que le morceau "Good Bye Lenin !" résume à lui tout seul. Les premiers accords rappellent la partie piano de "Sur le Fil", présente sur la B.O. d’Amélie. Puis l’ensemble Synaxis relaye ces quelques notes. L’ineffable est peut-être là...

Peut-être un regret, un seul : les précédents disques de Yann Tiersen exprimaient toute une palette de sentiments. Mélancolie, regret, nostalgie, doute, gaieté aussi, et espoir. Good Bye Lenin ! est plus uniforme. Plus ancré certainement dans l’atmosphère pesante du film. Avant, pendant, et après la chute.

par Marion Legay
Article mis en ligne le 3 mai 2003

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