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Entretien avec un vampire, d’Anne Rice

Devenu culte, et popularisé par son adaptation au cinéma, le best-seller de Anne Rice entretien avec un vampire n’est pas seulement un roman jouant sur le mythe des vampires, qui fascine nos imaginaires, pour vendre. C’est une oeuvre cohérente, esquissée par une plume élégante et composée d’une prose envoûtante comme le regard luisant d’un prédateur nocturne qui hypnotise sa proie pour mieux l’absorber.


Louis, vampire né à son existence immortelle en 1791 à la Nouvelle Orléans, éprouve le besoin deux-cent ans après de se confier à un journaliste. Talking cure d’un immortel désabusé, dont l’envie de vivre s’est évanouie avec ce qui lui restait d’humanité dans sa vampirité. Remontant à travers les époques de son existence, à la Nouvelle Orléans, en Europe de l’est à la recherche des origines de sa race, à Paris puis de retour chez lui, Louis évoque des personnalités vampiriques riches.

Galerie de portraits

Lestat : sans doute le personnage le plus ambigu, le moins révélé, car dès que Louis l’a décrit comme un monstre sans conscience, un détail, une attitude équivoque révèle la complexité de sa psychologie que Louis ne fait qu’effleurer superficiellement tout au long de son réçit. Lestat est flamboyant, cruel et raffiné, fou sans doute, malheureux encore plus. Le volume suivant des oeuvres d’Anne Rice lui est d’ailleurs dévolu. C’est lui le père de Louis dans l’immortalité, haï et aimé à la fois, avec le sentiment d’un fils très différent pour un géniteur différent et incompréhensible.

Claudia : la femme-enfant, scellée à jamais dans le corps d’une fillette de quelques années, elle a vécu près d’une centaine d’années au terme du récit. Fascinée par les origines de sa race et les secrets de sa nature, elle pousse Louis à la rébellion contre l’ascendant de Lestat. Son esprit trop vieux enfermé dans un corps à jamais incapable de devenir autonome, elle est rongée par ses frustrations, ce qui fait d’elle le vampire mû par le plus de cruauté de tous les individus de sa race.

Armand : le plus vieux des vampires, âgé de 400 ans, demeurant à Paris et régnant sur la communauté des vampires du théâtre des vampires. Redoutant d’être gagné par la peur d’un monde en perpétuelle évolution alors que lui reste insensible à la prise du temps, il s’éprend de l’humanité encore vivace dans Louis.

Celui dont on apprend le moins, finalement, c’est le narrateur qui donne de lui l’image qu’il veut bien. Or il ne faut pas oublier qu’il s’agit du discours d’un vampire, être raffiné ayant développé une perception et une compréhension du monde et de ses secrets au-delà de celle des mortels. Son ultime testament, ces phrases confiées à un journaliste (étrangement un jeune homme émotif et influençable, trop fasciné par son interlocuteur pour porter le moindre jugement ou esprit critique sur son discours) sont-elles le testament d’un immortel lassé de son existence maintenant que les sentiments humains qui vivaient en lui sont morts ? Ou alors les premiers pas d’une manipulation qui, par le truchement du journaliste, doit toucher l’ensemble des mortels ?

Itinéraire d’un vampire gâté

L’histoire commence par la mort de Louis. Et pourtant, une vie surnaturelle, le souffle vampirique l’investit dans le même temps, ouvrant ses sens à une perception étendue. Le livre se referme par l’aveu de Louis de sa lassitude pour cette existence, car il a progressivement perdu tout ce qui faisait son humanité et ses sentiments. Si la vie physique le quitte tout de suite, Louis mets deux-cents ans ou presque pour que le fuient sa sensibilité, ses émotions, affections et aspirations moralisatrices. La durée de son existence de vampire, c’est l’histoire d’une mort parfaite et totalement accomplie étalée sur deux cents longues années. D’ailleurs, la perception élargie qui s’ouvre à Louis renforce cette impression ; ne prétendons-nous point qu’une fois morts, tout sera enfin révélé et compréhensible ? Ultime illusion que dissipent les angoisses de Louis, qui bien qu’amplifiées restent celles d’un mortel. C’est la recherche d’une réconciliation avec lui-même qui guide Louis. Hanté par l’idée qu’il a tué son frère, il accepté l’immortalité que lui fait miroiter Lestat. Plongé dans cet état, il doit impérativement tuer pour survivre, et le désir de sang humain se fait de plus en plus puissant au fil des ans. Afin de se sentir repu, il doit tuer et encore tuer, s’enfonçant dans le péché toujours plus alors qu’il cherche la rédemption. Pris dans ce cercle vicieux, Louis n’en sort jamais vraiment, et alors qu’il aime à se décrire comme ayant finalement rejoint l’indifférence qui caractérise Armand, la question semble implicitement rester ouverte quant à sa réelle découverte de l’ataraxie.

Le vampire n’est plus le sujet, il n’est que le prétexte, le moyen de développer une vision riche et variée d’une existence fantastique qui parle de choses humaines, trop humaines.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 11 mai 2004 (réédition)
Publication originale 20 mars 2002

Ce livre est le premier d’une trilogie consacrée à Lestat, dont la suite est commentée par Artelio

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