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Le shônen manga

Le shônen manga s’est avéré être le fer de lance de la diffusion massive du genre en France. C’est avec l’édition de Dragon Ball, en 1994, que Glénat s’affirme comme l’éditeur français du manga dans l’hexagone, et que le genre va prendre son essor. Rapidement épaulé par Ranma 1/2 chez Glénat, puis par Saint Seiya chez Kana ou encore Fly et autres Ken chez J’ai Lu, le manga devient une BD pas chère, qui se lit vite, palpitante et qui séduit les ados. Mais ce succès ne doit pas occulter les manies du genres, et ses valeurs rabachées qui ont attiré la condescendance d’un certain lectorat, voire le mépris pour ses facilités.


L’essor du shônen en France

(JPEG)Le premier essor du shônen en France est étroitement lié à la diffusion massive d’anime dans les années 80-90. Les Chevaliers du zodiaque, Ranma 1/2, Dragon Ball, ou encore Sailor Moon vont faire les belles heures du club Dorothée. Et celui-ci s’inscrit dans la continuité de plusieurs émissions de jeunesse (Récré A2, ou celles de l’éphémère cinquième) qui proposaient des titres comme Olive et Tom ou Jeanne et Serge.

Les anime diffusés à cette époque là vont constituer le peloton de titres qui va réussir à percer sur le marché français, resté jusque là fermé à une entrée massive du manga. Les tentatives pour promouvoir des titres de qualité, seinen ou shônen, que ce soit par des éditeurs en place, ou de la publication dans des revues, n’avaient jamais rencontré un succès décisif. Cependant, les éditeurs français flairent très tôt la possibilité de décliner à la mode BD les succès du petit écran. Ainsi on vit une bande-dessinée Goldorak publiée en France, sans aucun lien avec le manga de Go Nagaï. Il s’agit simplement des épisodes de l’anime repris et mis en bande-dessinée par des dessinateurs français, produits dérivés pour le moins classiques d’un succès télévisuel. Ulysse 31 connaît le même sort, et se voit même adapté en romans de la bibliothèque rose pour quelques unes de ses aventures [1]

Mais alors que jusqu’au milieu des années 90, les anime cartonnent à la télévision (Dragon Ball Z et Sailor Moon sont alors les leaders qui ont remplacé Les Chevaliers du Zodiaque et consorts), le manga peine à se faire une place au soleil. C’est plutôt discrètement, via les magazins de jeux vidéos ou des magazines papiers qu’il tente plusieurs percées infructueuses sur le marché français. Les choses prennent un tour nouveau lorsque Glénat, le géant greneblois de la BD, fait le pari d’adapter Dragon Ball, et dans la foulée plusieurs titres qui cartonnent alors encore sur le petit écran comme Sailor Moon, ou Ranma 1/2. L’opération marketing qui consiste à offrir le tome 1 de Dragon Ball avec le jeu Dragon Ball Z 2 vendu sur Super Nes favorise alors l’élan que recontre enfin le manga dans l’hexagone.

Les titres plus mûrs (les seinen) jusque là publiés n’avaient jamais rencontré de vif succès, mais c’est avec l’introduction de traductions de shônen (manga pour jeunes adolescents) dont les adaptations animées sont alors diffusées sur TF1 que le manga prend enfin son essor en France.

(JPEG)Devant le succès des licences venues des anime, les éditeurs élargissent alors leur champ d’investigation à de nouveaux titres. On trouve alors, en vrac, des shônen à succès comme Samouraï Deeper Kyo, Shaman King ou Naruto chez Kana, ou Vision of Escaflowne chez Pika (dont la publication n’est pas forcément étrangère à la diffusion de l’anime sur Canal Plus). On peut aussi mentionner Kenshin le vagabond chez Glénat, suivi d’autres titres comme One Piece. Si Fly, Saint seiya, Orange Road (Max et compagnie) avaient connu des diffusions à la télévision, ça n’est pas le cas de Kenshin, Samouraï Deeper Kyo ou encore One Piece, qui sont autant de manga qui participent de la deuxième grande vague qui envahit le marché manga à l’aube des années 2000, consacrant que celui-ci a une vitalité tout à fait indépendante de la petite lucarne, sur laquelle les anime sont alors presque en totalité relégués sur des canaux payants (hors quelques licences comme Pokemon, Sakura, Yu-Gi-Oh ou encore les rediffusions sur France 5).

Le bilan des ventes 2004 établi par l’association des critiques de BD est d’ailleurs éloquent de la domination du shônen manga sur le marché aujourd’hui, alors même que tous ces titres ne sont pas diffusés à la télévision. Les chiffres des dix séries les plus vendus sont les suivants :

Dans les dix séries manga les plus vendues, on trouve 7 séries shônen pour un total de 300 000 exemplaires vendus sur un total de 423 000. [2]

Le shônen manga s’affirme donc comme le grand genre du manga en France. Longtemps le grand public a d’ailleurs assimilé le manga à ce qui se faisait en shônen (et pas toujours de meilleur...) créant une confusion que seule la poussée du manga consécutive à ce premier essor commence à dissiper (avec les efforts des éditeurs et des médias mangas de qualité pour mettre en valeur le shôjo et le seinen.). Si l’on récapitule l’élan du manga dans le paysage BD en France, on constate que la brèche fut ouverte par les shônen avec la complicité de la TV, puis que au moment où les anime quittent la lucarne (fin du Club Dorothée en 1997), c’est de nouveau avec les shônen que l’édition manga poursuit à creuser son trou dans les rayons (Kenshin 1998, One Piece 2000, Samouraï Deeper Kyo 2001).

La double critique du shônen : dans et en dehors du manga

Au milieu des années 1990, alors que les anime japonais continuent de rencontrer un vif succès à la télévision, et que plusieurs films dérivés de ces séries sortent en salles (Dragon Ball Z et Sailor Moon), plusieurs erreurs de programmation, et un traitement par-dessus la jambe de ces produits par les responsables des programmes jeunesse conduisent à une incompréhension durable entre d’une part le public des dessins animés et de l’autre l’opinion publique, et en particulier les parents inquiêts de voir des émissions destinées aux plus jeunes diffuser des anime comme la série TV Hokuto no Ken (Ken le survivant). Or cette série n’était absolument pas destinée à de jeunes enfants. Car si en France l’opinion qui veut que "les dessins-animés c’est pour les gosses" tarde à se déjuger, malgré de notoires progrès, il n’en va pas ainsi partout. Ainsi les anime diffusés pouvaient présenter d’une part du "sexe" (héroïnes sensuelles, moeurs libres mises en scène, etc.) et de l’autre de la violence (morts sanglantes, bagarres, batailles, sang, etc.) qui ne choqueraient guère des adolescents de treize-quatorze ans, mais qui avaient de quoi secouer des chérubins d’une dizaine d’années à peine (voire moins) ! De facto, les manga se voient assimilés aux anime qu’ils ont inspirés, et une confusion entre le genre et le shônen se fait dans l’esprit du public, y compris chez une grande partie des lecteurs. De plus, sans véritablement d’attention à l’objet, ou de recul par rapport à un produit calibré comme le shônen [3], conduisent rapidement à des déclarations lapidaires de l’ordre de : "les manga, c’est de la violence et du sexe".

(JPEG)Cependant, le manga poursuit son essor, et comme on l’a vu, l’arrêt des séries TV n’empêche pas son explosion dans les librairies où il représente aujourd’hui à peu près 30% du total du marché bande-dessinée, dont il constitue en outre la branche la plus dynamique. Il se révèle d’ailleurs rapidement bien plus varié que son premier panel de productions ne pouvait le laisser penser, puisque aux côté des grosses licences dérivées de la TV, on voit d’autres titres se faire une place au soleil, portés par des éditeurs moins mainstream que Glénat : les Katsura [4] débarquent chez Tonkam. D’autre part, jouant sur le succès du manga, Pika s’essaye à proposer des titres distincts du shônen manga d’aventures : ce sont les "hits" GTO, histoire d’un professeur de lycée plutôt spécial, ou encore Love Hina chez Pika. On peut aussi mentionner la publication de titres seinen comme Assate Dance qui ne passe pas inaperçu, ou encore l’édition par Casterman dans la collection écriture des oeuvres de Taniguchi éditées avec la collaboration de Frédéric Boilet, qui réalise un important travail d’adaptation. Le manga, suite à l’arrêt des séries TV, entre dans une ère de diversification entre 1998 et 2001 qui touche de plus en plus le grand public et lui permet d’exposer toutes ses facettes et sa variété.

(JPEG)Dans ce contexte, au sein des amateurs éclairés, fans de la première heure, ou alors lecteurs curieux convertis par l’expérience, un discours qui critique les limites du shônen manga se fait entendre. On lui repproche justement une violence gratuite dans les combats, et une surabondance de culottes. La boucle est bouclée semble-t-il, puisqu’on voit ressurgir, dans la bouche des amateurs de manga, les soucis qui taraudaient hier des parents déboussolés devant les anime de leurs gamins !

Cependant, ce discours est celui de personnes qui connaissent leur sujet, qui se révêlent par ailleurs des zélateurs les plus fervents de manga d’une grande violence, ou qui met en scène un sexe cru car ces moyens sont mis au service d’une ambition artistique élevée. Leur critique porte essentiellement sur la facilité qu’a le shônen manga à flatter son public en s’encombrant d’éléments gratuits du point de vue de la narration et de la cohérence de l’oeuvre. Cette violence spectaculaire et inutile - mais terriblement cool - ou ces culottes et poitrines entrevues au détour des cases sont d’ailleurs caractérisés par l’appellation de fan service, qui se suffit fort bien à elle-même pour tout dire de cette composante du shônen manga. Dès lors, l’accusation, terriblement occidentale - pour ne pas dire française - de "commercialité" du produit est déjà en germe dans toutes les têtes.

Ce discours s’explique aisément de la part de personnes qui ont connu le manga alors qu’il n’était qu’une culture underground, et qui avant d’autres ont su y faire la part des choses entre la facilité de certains shônen et l’ambition d’autres oeuvres, ou voir qu’au-delà du fan-service se développaient parfois des séries de grande qualité. Ils ont donc dû défendre leur passion et leur émerveillement devant les BD du soleil levant avec opiniâtreté, et donc réfuter l’assimilation entre le manga et le fan service. D’où une certaine ostilité de leur part pour les manga qui abondent uniquement dans cette voie et qui encombrent les étagères au détriment de belles oeuvres, tout en contribuant à renforcer les préjugés d’une grande partie de l’opinion contre le manga.

Avec plusieurs réserves sur le détail, et le mûrissement personnel de la démarche de Frédéric Boilet, on ne peut que remarquer que son manifeste de la nouvelle manga abonde dans le sens de cette critique, et fait la promotion d’un manga radicalement différent de celui que les shônen ont contribué à populariser en France.

(JPEG)

Cependant, même dans les médias généralistes, l’approche du manga et des anime a désormais évolué. Le genre a su prouver qu’il dépassait largement les limites du fan-service et des facilités scénaristiques propres à beaucoup de shônen manga. Mais le discours distancié et prudent vis-à-vis du shônen demeure toujours au sein d’une partie des gros lecteurs de manga qui lui reprochent donc ses histoires calibrées, ses scénarios à l’évolution aléatoire, ses séries à quintuple rallonge et naturellement son fan-service. Sans caricaturer ce discours, qui laisse naturellement toute sa place aux plus beaux titres shônen et reconnaît ses perles au genre, de même qu’il reconnaît ses titres pauvres au shôjo et au seinen, in fine, il relègue le shônen dans le mineur. Comme peut d’ailleurs l’être la BD d’heroïc-fantasy produite en masse dans le cadre de la bande-dessiné franco-belge. Et on ne peut s’empêcher de lire dans ce propos la démarche exigeante d’amateurs qui souhaitent s’intéresser à ce que le manga produit de plus riche, au risque de rabaisser sa subdivision qui demeure encore largement le fer de lance de la production manga en France.

(JPEG)Le shônen est donc tout à la fois le pionnier, le plus populaire et le vilain petit canard de la famille manga. Il s’agit donc dans ce dossier de faire la part des choses autour de ce genre, qui est avant tout une catégorie éditoriale, et de tracer des axes à la fois de découverte de ses différentes branches, et d’analyse de ses potentialités. Populaire, le shônen manga l’est, et sa capacité à séduire le public n’est pas le moindre de ses attraits. À elle seule, elle légitimerait ce dossier, qui tentera cependant d’examiner les développements historique, et les grandes catégories du genre. Ainsi on sera conduit à étudier la stratégie de séduction des shônen sentimentaux, ou le mélange entre histoire et action de certains shônen manga d’aventures. Voire même l’impact que peut avoir le jeu vidéo sur la construction et le contenu de certains shônen manga [5].

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 9 février 2005

[1] adaptation sans doute facilitée par le fait qu’Ulysse 31 est une production franco-japonaise.

[2] L’intégralité du classement consulté, les titres de shônen manga vous sont indiqués en gras, afin de vous donner une bonne idée de la puissance du shônen dans le paysage contemporain du manga :

  Naruto  : 60.000 ex.
  Yu-Gi-Oh  : 50.000 ex.
 Gunnm Last Order : 50.000 ex.
 Fruits Basket : 40.000 ex.
  Shaman King  : 40.000 ex.
  Samouraï deeper Kyo  : 40.000 ex.
  Hunter x Hunter  : 40.000 ex.
  Love Hina  : 35.000 ex.
  Saint Seiya : les chevaliers du zodiaque  : 35.000 ex.
 Neon-Genesis Evanlegion : 33.000 ex.
  Captain Tsubasa world youth  : 30.000 ex.
 Angel Heart : 30.000 ex.
  Get Backers  : 25.000 ex.
  Inu-Yasha  : 25.000 ex.
  One Piece  : 25 000 ex.
 Nana : 25 000 ex.
 Say Hello to Black Jack : 20.000 ex.
 Chobits : 20.000 ex.
  Slam Dunk  : 20.000 ex.
 Alice 19th : 20.000 ex.
 Step up Love Story : 20.000 ex.
 Devil Devil : 20.000 ex.
 Bleu Indigo : 20.000 ex.
 Ken : 20.000 ex.
 20th century boys : 18.000 ex.
  Dragon Ball - réédition : 20.000 ex.
 Chonchu - réédition manwahs : 15.000 ex.
 source : étude lue sur BD Paradisio

[3] la désignation de shônen manga signifie que la bande-dessinée a été conçue de manière à séduire le public des jeunes garçons : il s’agit donc d’un produit "sur mesure", extrêmement calibré en fonction de ses nombreuses variantes - sport, aventure, sentiment, etc. - qui peut conduire à donner du manga tout entier une vision très réductrice s’il est abordé par ce prisme. Voir l’article sur La perception du genre

[4] Video Girl Aï, ou I’’S

[5] Le domaine du shônen manga de sport sera cependant tenu à l’écart, puisqu’il en est largement question dans le dossier le sport en manga

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