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La chute du faucon noir

La chute du faucon noir se présente au public comme un film de guerre traditionnel, amplifié par l’atmosphère martiale de ces derniers mois et la mise à contribution du septième art dans la lutte antiterroriste. L’affiche, d’abord, met en avant Josh Hartnett, héros américain parfait : beau, jeune, et tout droit sorti de Pearl Harbor. Que semble-nous dire ensuite la bande-annonce ? Qu’il n’y a rien de bien original sous les cieux hollywoodiens. Après la deuxième guerre mondiale, particulièrement « gâtée » ces dernières années, les producteurs semblent juste avoir trouvé un nouveau terrain de jeu : un épisode de l’intervention onusienne en Somalie. Comme chacun sait, le contexte historico-politique n’est bien souvent qu’un prétexte. Ici, la morale mise en exergue par la promotion est qu’on ne choisit pas de devenir un héros. « Le destin s’en charge ». Mais ce qui se produit au cours du film est autrement plus intéressant qu’il n’y paraît d’abord.


La première demi-heure semble confirmer toutes nos craintes. Une exposition terriblement classique. Classique parce qu’elle nous présente quelques personnages clichés : le jeune sergent idéaliste, l’officier bavard qui en a marre d’être préposé à la machine à café, la jeune recrue prête à en découdre, le général un peu sévère... En résumé, une galerie de caricatures sans profondeur aucune, des scènes plutôt inutiles de vie quotidienne, une rencontre bâclée entre le général et un vieux chef de clan pour avoir l’air de préciser le contexte. Et terrible parce que Ridley Scott y disperse les signes de la fatalité. Avec une cruauté toute hollywoodienne et peu subtile, le scénario désigne d’avance les morts. Comme saisi d’un pressentiment avant la bataille, untel appelle sa femme (qui rentre chez elle au moment où il raccroche). Tel autre s’entend dire qu’il est inutile de prendre sa gourde puisqu’ils ne partent que pour deux heures. Le spectateur est en terrain connu, tellement connu qu’il en vient à rire de l’ironie tragique de l’affaire.

Dans cette opération « Restore Hope », les Somaliens sont bien absents. Silhouettes anonymes, combattants dont les motivations ne sont pas expliquées, la caméra ne leur accorde aucun droit. Ils n’ont ni visages, ni voix. Le chef de clan Mohamed Farrah Aidid, ennemi n°1 et objectif de l’opération, n’a lui-même droit qu’à quelques scènes très courtes. A la limite, cette négligence extrême dans le traitement de l’adversaire peut aussi apparaître comme une tradition, même si la volonté d’objectivité affichée par Ridley Scott s’en trouve alors malmenée. Après tout, se dit-on, les héros se sont bien les américains ? Mais non. C’est là le plus étrange. Car le processus de non-personnalisation est poussé à l’extrême. Le réalisateur refuse au spectateur le droit de s’identifier à un soldat plus qu’à un autre. A la sortie, on a bien du mal à citer un nom de personnage. Si certains émergent, c’est surtout parce que les acteurs les interprétant sont un peu plus connus.

La force du coeur du film, c’est de tendre vers un réalisme à la limite de l’écoeurant sans accorder en échange au public ce qu’il attend, à savoir la satisfaction de son goût inavoué pour la violence, le frisson des batailles épiques, bref tout ce qui fait le plaisir pervers du film de guerre. Rien de tout ça ici. Impitoyablement, Ridley Scott expose les corps déchiquetés, les membres éparpillés, jusque dans cette scène interminable où un officier essaye d’opérer dans le noir et la poussière l’un de ses camarades. Alors même que la durée du film et la concentration de l’action en une dizaine d’heures devraient favoriser un rythme haletant en « temps réel », la mise en scène s’inscrit dans une lenteur étrange, presque hypnotisante, favorisée par l’interchangeabilité des lieux de combats. La guérilla urbaine c’est toujours la même chose. Il n’y pas de front, pas d’adversaire défini. Les rues, les immeubles se ressemblent. On est perdus. Cette atmosphère culmine dans l’instant où la nuit tombe sur la ville, moment de calme relatif où retentit l’appel à la prière.

Bizarrement, c’est donc bien à l’instant même où l’on commence à se dire que ce faucon noir n’est peut être pas si traditionnel, que Ridley Scott retombe dans les clichés du genre. Comme si les pistes qu’il avait commencé à explorer, pistes classiques mais un peu détournées, étaient soudain trop difficiles à suivre. Après cette scène d’opération chez les rangers retranchés, on bascule de nouveau dans les lieux communs de la camaraderie virile, de la solidarité et du pathos larmoyant. De l’autre côté, les renforts arrivent. L’héroïsme et la « bravoure » reprennent le dessus. La séquence finale fait l’effet d’une régression incompréhensible (car incohérente) sinon par un sacrifice au politiquement correct, certes présent dans le film, à aucun moment les soldats américains ne prennent pour cible un somalien non armé, mais jamais encore accompagné d’un tel discours. L’aveu de l’échec de Ridley Scott est flagrant.

Tandis qu’il a refusé deux heures durant de mettre en avant un véritable héros, il laisse son film se terminer sur la voix-off de Josh Harnett. Or, en mise en scène, un héros c’est aussi un point de vue, et donc, un jugement. Avec cette scène où les soldats sont acclamés par la foule à leur retour au QG (un stade, réminiscence étrange d’un film précédent ?!), le réalisateur effectue une réhabilitation troublante. Il va même jusqu’à retomber dans un sentimentalisme efficace mais navrant, en clôturant son récit sur la lettre d’un soldat mort : « Chérie, tu borderas bien notre fille pour moi et tu lui diras que son père l’aime ». A la fois choqué et perplexe, on ne sait plus trop à quoi s’en tenir. Reste la vague impression que Ridley Scott a pointé sa caméra sur quelque chose sans parvenir à se dépêtrer totalement des codes établis. La chute du faucon noir est loin d’être une réussite mais sa nature hybride et son questionnement face au genre ne le rendent toutefois pas complètement gratuit.


Vous pouvez lire une autre critique de La chute du Faucon Noir, par Guilhem Cottet, ici-même.

par Clémence Parente
Article mis en ligne le 6 août 2004 (réédition)
Publication originale 19 février 2002

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