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Harvey Danger : King James Version

Where have all the merrymakers gone ? Un titre qui semblait scellé par le destin. Inutile de partir à leur recherche, les magiciens s’offraient à nous. Métamorphosés en étudiants autistes, ils formaient Harvey Danger et leur premier album en avait envoûté plus d’un. Mais la magie a cela de beau qu’elle reste insaisissable et l’on ne pouvait s’empêcher de trembler à l’écoute de ce nouvel album. L’état de grâce saurait-il se prolonger ?


Printemps 98 : "I’m not sick, but I’m not well", le refrain de "Flagpole Sitta", s’impose comme l’hymne pop de l’année outre-Atlantique. Gimmick en puissance pour ados, il assure à ses interprètes une place de choix au panthéon MTV and co. De quoi fleurer à plein nez un atroce parfum de guimauve. La pop US n’a jamais eu meilleure réputation que les blockbusters hollywoodiens : une prétention agaçante à vous montrer que tout ici bas n’est que joie et volupté, des refrains à la limite de la niaiserie qui feront les beaux jours de la B.O de Dawson’s Creek, thèmes éculés, tonalités doucereuses, une barbe à papa aguicheuse qui s’avère souvent immangeable.

Seulement voilà, les Harvey Danger n’habitent pas chez les Bisounours. Pur produit Nord-Ouest, A.O.C Seattle, derrière leur arrivée fracassante sur les radios collège ce sont cinq ans passés à écumer les clubs miteux de la ville, les salles de campus à moitié désertes. Jouer partout, sans ambition particulière sinon celle d’occuper les quelques années d’un cursus universitaire pas très prenant. De son immersion en terre sainte, Harvey Danger sortira un album capharnaüm, où se croisent et s’entremêlent les influences locales (Built to Spill, The Posies) et de lointains appels britons. Une production US débarrassée de ses effluves pop corn, simple au sens noble du terme, érigée au cœur des contradictions : fragile mais pleine de vie, complexe sans être inaccessible. "Problem and bigger ones", "Wrecking Ball", "Radio Silence" : autant de titres qui s’accrochent étrangement à vos murs bien au-delà des 46 minutes de cet album.

Portés par un leader au mutisme charismatique, Sean Nelson, nos apprentis sorciers nous ouvrent à nouveau leur grimoire. Première constatation : les pages effeuillées ne sont plus vraiment les mêmes. Aux formules à l’efficacité immédiate, Harvey Danger préfère aujourd’hui les thaumaturgies plus subtiles. Difficile lors de la première écoute de l’album de replonger instantanément dans l’univers Harvey Danger. Pas de changement de line-up, ou de nouvelles orientations dans la production, mais la démarcation entre les différents titres est beaucoup moins nette que sur le premier album, où l’on pouvait clairement opposer les compos énergiques dans la pure veine rock américain, et les morceaux plus lents aux ambiances feutrées, décolorées pas la grisaille anglaise. Harvey Danger semble avoir si bien digéré ses deux pôles d’influences qu’il devient presque impossible de faire la part des choses. D’autant que les textes ne sont pas d’une limpidité remarquable. Les divinations de Sean Nelson sont bien loin des aphorismes du premiers album et l’on s’y perd souvent.

Mais quelques écoutes plus tard, presque honteux de son piètre sens de l’orientation, on retrouve des mélodies à l’énergie amusée, insouciante et moqueuse. Dans la veine de Carlotta Valdez et Jack the Lion, ce sont "Authenticity", "Sad Sweetheart of the rodeo", "Carjack Fever" et "This is the thrilling conversation You’ve been waiting for". Plus loin, se découvrent les titres hybrides, moins insoucieux, portés par un chant plus aérien et des guitares moins présentes ("Why I’m lonely", "You miss the point completely I get the point exactly" ). Perdu dans ce désordre sonore, Park St./Park Slope et ses arrangements piano/violons ramènent Sean Nelson jusqu’à John Lennon. Mais c’est sur "Underground" et "The same as being in love" qu’Harvey Danger sait le mieux nous replonger dans son univers onirique. Deux plages fleuves, apaisées mais obsédantes, travaillées mais dénuées d’arrangements superflus, tout comme l’étaient un ton au-dessus peut-être "Wrecking Ball" et "Radio Silence".

Au final cette King James Version des "diablotineries" d’Harvey Danger laisse perplexe : on ne saurait trop dire si elle peut prétendre retrouver l’aura de Where have all the merrymakers gone ? . Mais il est au moins un fait acquis : Harvey Danger n’était pas le groupe d’un seul album. Corollaire plaisant de cette nouvelle évidence : bientôt peut-être un nouvel opus.

par Florie
Article mis en ligne le 28 septembre 2005 (réédition)
Publication originale 21 janvier 2002

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