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Entretien avec Im Kwon-taek

A propos de son film "Ivre de femmes et de peinture"

Rencontre avec Im Kwon-Taek, le réalisateur coréen d’Ivre de femmes et de peinture, Prix de la mise en scène ex-aequo à Cannes en 2002. A 66 ans, il a tourné près de cent films, mais seulement trois d’entre eux ont bénéficié d’une sortie en France. Cette interview a été effectuée à l’aide d’un interprète, Im ne parlant que coréen. L’exercice se révèle très frustrant, la traductrice ne rapportant qu’une partie des propos du cinéaste, et ce, dans un vocabulaire souvent peu précis.


Ivre de femmes et de peinture est la biographie du peintre coréen Ohwon. Qui est-il et qu’est-ce qui vous a attiré dans son histoire ?

J’ai voulu faire un film sur un peintre de la période Chosun, qui a duré 500 ans. J’ai choisi Ohwon parce que c’était un personnage qui m’était familier et parce que je me suis dit que c’était un personnage que je pourrais facilement aborder.

(JPEG)Quel est son statut aujourd’hui en Corée ? C’est une légende, un peintre reconnu, oublié ?

Tous ceux qui s’intéressent un petit peu à la peinture aujourd’hui connaissent Ohwon, mais encore aujourd’hui il y a beaucoup de débats sur la qualité de sa peinture. Il n’en reste pas moins un artiste très important.

Il n’existe que très peu de documents sur sa vie. Comment avez-vous abordé la phase d’écriture ?

J’ai fait des recherches sur les grands peintres qui ont vécu avant Ohwon et puis j’ai aussi interviewé beaucoup de peintre contemporains. Même si la peinture et le cinéma sont deux genres très différents, les deux sont des créations. J’ai donc pu utiliser beaucoup de mes expériences en tant que cinéaste. Même s’il est vrai qu’il existe très peu de documents sur le peintre, on peut quand même apprendre certaines choses. Beaucoup d’histoires sur sa vie ont été transmises oralement.

Le film reflète donc un souci de fidélité aux faits historiques...

J’ai essayé de faire apparaître tout les éléments biographiques avérés que je pouvais trouver. En même temps, ce qui m’importait, c’était cette vie d’un artiste qui a toujours cherché à se renouveler dans son travail.

(JPEG)Faites-vous un parallèle entre votre vie et celle d’Ohwon ?

Ce qui m’attire aussi chez Ohwon, c’est que c’est un peintre professionnel. A son époque, il existait deux types de peintres : les peintres lettrés qui peignaient pour passer le temps et ceux qui appartenait aux écoles royales de peinture, et qui étaient donc des fonctionnaires. Ohwon n’appartenait à aucune de ces deux catégories. Il était obligé de vivre de sa peinture, et était donc forcément sensible aux goûts de l’époque. Il reste beaucoup de ses œuvres aujourd’hui. Certaines sont excellentes, d’autres ratées.

Donc ce parallèle existe bien.

Moi aussi je créais beaucoup. Comme Ohwon, j’ai réalisé des œuvres ratées. Mes premiers films étaient mauvais. Et même aujourd’hui, je ne suis pas constamment satisfait de mon travail.

(JPEG)L’origine populaire d’Ohwon annonce-t-elle selon vous les bouleversements démocratiques à venir ?

A l’époque, la Corée était une société très hiérarchisée. Les statuts de classe ont rendu la vie d’Ohwon assez inconfortable. C’était également une époque où le pouvoir du souverain commençait à vaciller. Il y a avait beaucoup de mécontentement chez le peuple. Ohwon était de classe basse et avait beaucoup de relation avec les mécènes issus de classe moyenne. Avec eux, Ohwon était sensible à l’injustice sociale. Il a été témoin de ce mouvement destiné à combattre cette injustice. Il y avait déjà à l’époque un grand désir de démocratisation. Moi-même, je vis dans un pays divisé entre le régime de gauche au Nord et celui de droite au Sud. Le gouvernement qui s’est installé au Sud avant la guerre a rendu ma vie difficile car ma famille était gauchiste. Que ce soit à l’époque d’Ohwon ou aujourd’hui, il y a toujours ce grand désir de démocratisation.

Quelle est votre conception de l’Histoire au cinéma. Cherchez-vous à éclairer une période passée particulière ou n’est-ce qu’une métaphore destinée à comprendre le présent ?

A l’époque, il y a avait beaucoup de forces étrangères présentes dans le pays, notamment le Japon, qui avait des visées impérialistes à l’encontre de la Corée. Aujourd’hui, l’impérialisme économique existe encore. Peut-être effectivement, y a-t-il là un parallèle. Je savais que la plupart des spectateurs ne comprendraient pas tous les détails historiques mais ce n’est pas important. L’important, c’est de comprendre l’histoire en général et comprendre qu’il s’agit une métaphore.

Le point central du film reste la lutte du personnage avec lui-même...

Tout à fait.

... car il semble traverser une crise spirituelle.

En fait, Ohwon a disparu à l’âge de 54 ans. Certains disent qu’il est devenu un sage ou du moins qu’il est allé vivre comme un sage. Il a atteint un certain niveau suprême quelque part. Mais je ne crois pas à cette hypothèse. C’était un éternel insatisfait qui a toujours voulu faire mieux.

(JPEG)Vous parliez d’un professionnel. C’est quelqu’un qui place une importance capitale sur son travail...

Il y a chez lui cette volonté de faire tout son possible pour faire mieux. Mais ça ne l’empêche pas d’être mécontent quand il a terminé son œuvre. Là, il y a encore un parallèle entre sa vie et la mienne, c’est que moi, par exemple, je ne regarde jamais mes propres films. Je suis aussi mécontent de ce que je fais, alors peut-être ressemblé-je un petit peu à Ohwon...

Cette volonté l’amène à toujours se surpasser et progresser.

Je ne sais pas si on progresse mais on avance vers une perfection. On cherche toujours à atteindre la perfection. C’est quelque chose de très difficile. Cette volonté pour atteindre à la perfection constitue selon moi l’essence de la vie.

Les paysages sont très présents dans le film. Avez-vous chercher à retrouver l’esprit des peintures d’Ohwon ?

Je pense que Ohwon a sûrement fait ça. Il partait sans cesse prendre la route à la recherche d’une beauté. C’est ça que je voulais montrer.

Au-delà de ça, les paysages semblent être un des moteurs de l’histoire. Ils évoluent avec le personnage.

Quand on regarde les paysages dans le film, il y a toute une évolution. Quand Ohwon est jeune, leur beauté est évidente, très voyante. Le personnage est jeune, il ne voit que les apparences. Dans un deuxième temps, quand il évolue en temps que peintre, il cherche déjà à intégrer une réflexion dans son œuvre. Il ne s’agit plus d’une beauté flagrante mais de quelque chose de plus subtil. A la fin, en vieillissant, il accède à un nouveau type de paysage beaucoup plus pur.

Le film tient en grande partie à la performance de Choi Min-Shik. Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec lui ?

C’est un rôle assez difficile parce que le personnage évolue. L’acteur doit jouer sur plusieurs registres. Au début, c’est presque un sauvage. Il est orphelin, c’est un vagabond, il vit chez les autres... Et puis, dans un deuxième temps, il côtoie des mécènes et quitte ce côté sauvage. Ensuite, quand il devient un vrai maître, il fréquente la haute société et est même appelé à la cour. Il devient un peu plus intellectuel. Il fallait trouver quelqu’un capable de jouer tous ses registres. Choi Min-Shik convenait parfaitement. Je le trouve formidable.

(JPEG)Comment avez-vous vécu le prix de la mise en scène à Cannes ?

Pour moi, c’est quelque chose de très important. Depuis plusieurs années, j’avais envie de remporter un prix à Cannes parce que c’est vrai qu’en Corée, de nombreuses personnes m’ont aidé à faire de bons films pour que j’obtienne justement cette récompense internationale. Pour moi, au bout d’un moment, c’était devenu un poids. Donc, quand j’ai eu le prix, je me suis senti un petit peu libéré. Ca y est, j’ai quand même accompli mon obligation ! D’autre part, c’est le premier prix très important attribué à un cinéaste coréen, j’espère donc que ça va encourager les plus jeunes des cinéastes à entreprendre la même voie...

Comment jugez-vous l’intérêt porté depuis quelques années au cinéma coréen, notamment en France ?

On ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de cinéastes. Il y en a quelques-uns qui à l’avenir devraientt faire de très bons films, en tout cas j’espère.

Votre cinéma prend ses racines dans la culture coréenne. C’est quelque chose qui vous tient à cœur ?

Autant les cultures japonaise et chinoise sont connues en Occident à travers la littérature ou le cinéma, autant la culture coréenne reste largement méconnue. J’ai toujours voulu essayer de montrer ce qui n’est pas familier pour les Occidentaux. A travers l’émotion cinématographique, cette culture acquiert une certaine universalité.

Propos recueillis le 27 novembre 2002 avec l’aimable autorisation d’AlloCiné. Traduction : Jeong Eun-Jin

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 29 août 2005 (réédition)
Publication originale 27 novembre 2002

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