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Soderbergh, émergence d’un auteur

A une époque ou tous les grands réalisateurs américains ont développé un style et un contenu personnel et facilement identifiable (De Palma, Burton, Jarmusch, Scorsese etc.), Steven Soderbergh a réussi à s’imposer auprès du public et des critiques en se réinventant à chaque film. De l’intimisme de Sexe, mensonge et video à l’épique Traffic, il y a un gouffre à tout point de vue. Si Soderbergh n’a pas toujours réussi à se montrer parfaitement à l’aise avec toutes ses expérimentations, sa méthode commence véritablement à porter ses fruits a la fin des années 90 : une décennie qui a vu l’émergence d’un nouvel auteur.


1989-1993 : Soderbergh, l’independant

Sexe, mensonge et video (1989)

Un film, voilà ce qu’il aura fallu à Steven Soderbergh pour accéder à la reconnaissance publique et critique. Trois ans après un premier documentaire sur le groupe Yes (9012 LIVE), le réalisateur entre dans le monde du cinéma par la grande porte. Succès commercial international, nominé à Sundance et aux Oscars et surtout Palme d’or a Cannes, Sexe, mensonge et video est un des évènements majeurs de l’année 1989. Si un tel palmarès peut sembler aujourd’hui assez excessif, le film a tout de même conservé une certaine fraîcheur. Ce récit intimiste sur la vie sexuelle d’un trio amoureux perturbé par l’arrive d’un ancien ami, lui impuissant, est parfaitement représentatif du cinéma de Soderbergh.

Au coeur de ses films se trouvent des personnages aliénés qui vont tenter de se réconcilier avec eux-mêmes avant de se confronter aux autres. La question de la communication y est donc centrale. Les liens établis entre le trio amoureux (la femme, le mari, la maîtresse) sont très fragilisés au début du film, le couple adultère n’étant pas plus heureux que le couple marié. L’arrivée du personnage interprèté par James Spader va tout remettre en question. En enregistrant les confessions de femmes, il leur permet de renouer un dialogue avec elles-mêmes sur leur sexualité et de s’ouvrir a autrui. Cependant, comme le fait remarquer le personnage interprèté par Andie MacDowell, lui de son cote reste fermer et court a l’échec.

En terme formel, Soderbergh s’autorise ici très peu d’effets. Il reste très près de ses personnages comme à l’écoute de ce qu’ils ont a faire passer. Cette attitude qu’il conserve au cours de sa carrière permet aux acteurs de donner de très brillantes performances et donne a Soderbergh une solide réputation de réalisateur sachant s’y faire avec les acteurs.

Kafka (1991)

Alors que Soderbergh est perçu par tout Hollywood comme un des réalisateurs les plus prometteurs de sa génération, il se tourne vers la réalisation d’un film en noir et blanc sur l’Europe de l’Est des années 20. Le réalisateur décide, donc, de rester à la marge et de commencer à expérimenter de nouveaux univers. Cette méthode va rapidement lui permettre de saisir ses limites.

Kafka, à la très belle photographie expressionniste, plonge l’écrivain dans un monde très semblable à celui de ses livres. Si le film fait de multiples références à l’oeuvre de Kafka notamment Le chateau, Le procès et La metamorphose, ceux-ci sont mis au service d’un thriller politique dans lequel le personnage principal interprèté par Jeremy Irons va devoir déjouer un complot. Kafka est ici l’individu a la marge qui va devoir remettre en cause tout son système de valeur à la suite de ses découvertes. De l’avis même du réalisateur, le film est beaucoup trop froid et formel.

King of the hill (1993)

Malgré l’échec commercial de Kafka, Soderbergh continue sa carrière du côté des indépendants. King of the hill s’attache à raconter la vie d’un jeune américain (interprèté par Jesse Bradford) pendant les années trente. La reconstitution de la vie lors de la Grande Dépression est ici très précise. C’est d’ailleurs un des atout majeurs du film. Au coeur de l’intrigue se trouve le passage à l’age adulte de ce jeune personnage. Celui-ci s’effectue en rompant momentanément tout lien avec sa mère qui se trouve à l’hôpital et son père parti travailler dans un autre Etat. Le jeune garçon va alors opérer un retour sur soi et tenter de survivre ce moment difficile par ses propres moyens. Cette étape lui permet de mûrir et de réintégrer la normalité grandi par cette expérience. Le film s’intéresse à la question de ce regard sur soi, des autres et du monde.

Lui aussi passe inaperçu a sa sortie, King of the hill reste une réussite mineure de Soderbergh, à la hauteur du projet. La même année, le cinéaste dirige un épisode de la série télévisée américaine Fallen angels.

1995-1996 : l’émergence d’un style

A fleur de peau (1995)

Même si le film ne fonctionne pas parfaitement (il faut notamment du temps pour entrer dans l’histoire), A fleur de peau est sans aucun doute l’oeuvre la plus importante de la filmographie de Soderbergh. C’est en effet la base à partir de laquelle le réalisateur va s’affirmer film après film. Pour la première fois (si on exclue la cinématographie de Kafka totalement dépendante du sujet), le cinéaste va poursuivre ses expérimentations sur le plan formel : montage ultra-sophistique, usage de filtres de couleurs etc. Le style que Soderbergh a largement repris par la suite est ici développé pour la première fois.

En réalisant son premier remake, celui du célèbre criss-cross de Siodmack, le réalisateur retrouve le genre du thriller. Ici, il s’intéresse moins à l’action en elle-même qu’aux motivations des personnages, d’ou l’usage constant de flashbacks. Le film est construit comme un puzzle autour de l’histoire d’un ancien parieur (interprèté par Peter Gallagher déjà présent dans Sexe, Mensonge et video) qui retourne dans la ville qu’il avait du quitter précipitamment quelques années plus tôt. Il décide alors de re-affronter son passé.

Cependant la réconciliation est ici impossible car le personnage principal n’a rien retenu de ses expériences précédentes. Le film s’attache sur son absence aussi bien passée auprès d’Alison Elliot que presente avec Elisabeth Shue. Ce choix est d’autant plus important qu’il est en complète opposition avec celui opéré par Robert Siodmack en 1949 qui racontait l’histoire de personnages emportés par leur passion. A fleur de peau est en définitive un film noir plutôt réussi sur un personnage enfermé dans ses erreurs.

Gray’s anatomy (1996)

Malgré la présence d’acteurs renommés, A fleur de peau passe largement inapercu. Soderbergh part donc se ressourcer en 1996 avec deux projets très différents. Il se tourne d’abord vers le documentaire en mettant en scène le monologue de l’acteur et écrivain Spalding Gray. Celui-ci raconte son expérience avec la médecine non traditionnelle à la suite d’un problème aux yeux. Ici la mise en scène de Soderbergh met parfaitement en valeur le monologue de l’acteur. Par de simples effets sonores ou d’éclairages, le cinéaste nous donne quasiment à voir ce qui est dit. Soderbergh démontre à nouveau ses énormes qualités d’écoute malgré les limites du film imposées par le genre.

Schizopolis (1996)

La même année il tourne son film le plus étonnant, perle rare à redécouvrir au plus vite. Schizopolis est une comédie où règne l’absurde et des situations les plus loufoques qu’il nous ait été donne de voir ces dernières années. Le film s’attache à décrire la vie de quelques membres d’une communauté à la limite de la normalité : un employé de bureau dépressif qui bénéficie d’une promotion à la suite de la mort d’un de ses collègues (interprèté par Soderbergh lui-même), sa femme qui le trompe avec un dentiste (aussi interprèté par Soderbergh) et un malade qui court les femmes à travers la ville suivi par une équipe de télévision. Derrière la façade absurde du film se cache un constat très noir sur un monde gouverné par des valeurs de réussite sociale et économique qui ont perdu toute leur saveur. Soderbergh, qui a aussi écrit le scénario, nous plonge dans un monde où règne l’individu. Il n’y a plus aucune relation ou communication entre les différents personnages.

Malgré la brillance du scénario et de la réalisation, le film passe quasiment inaperçu auprès du public.

1998-2001 : la reconnaissance

Hors d’atteinte (1998)

En 1998, alors que jusqu’ici il s’était efforcé de mener une carrière indépendante, Soderbergh retourne vers le film de studio en tournant cette adaptation d’Elmore Leonard, auteur à succès de l’année après la sortie de Jackie Brown. Il retrouve un casting très prometteur principalement compose de George Clooney, Jennifer Lopez, Don Cheadle , Ving Rhames ou Luis Guzman. Il suffira d’une scène pour relancer la carrière de Soderbergh : George Clooney et Jennifer Lopez enfermé dans un coffre de voiture discutant cinéma. Le film est a la fois un succès publique et critique.

Le réalisateur revient ici à une approche visuelle semblable à celle de The Underneath. Dans cette histoire de romance entre l’US Marshall Karen Sisco et l’évadé Jack Foley, il est beaucoup question de seconde chance et de choix a faire en tant qu’individus. Soderbergh reste fidèle à ses thèmes. Les individus ne restent pas totalement impunis. George Clooney et Jennifer Lopez voient tous les deux leurs vies remises en question par leur rencontre et vont donc redéfinir leur comportements en fonction de cela.

L’Anglais (1999)

Peut-être le chef d’oeuvre du cinéaste à ce jour. Film noir réunissant les deux acteurs mythiques Terence Stamp et Peter Fonda qui donnent ici de très belles performances. The Limey permet à Soderbergh de poursuivre ses expérimentations sur le montage (il inclut notamment quelques extraits d’un ancien film de Terence Stamp Poor cow).

Le film suit Terence Stamp ancien détenu britannique qui vient a Los Angeles venger la mort de sa fille. Il bénéficie aux Etats-Unis de l’aide de Luis Guizman lui aussi sorti de prison. Cette histoire de vengeance est aussi l’occasion pour le personnage principal de remettre en question son attitude en tant que père. Il a donc l’opportunité de faire la paix avec son passé avant de rentrer en Grande-Bretagne.

Il devient ici évident que le cinéma de Sodergbergh, fait de multiples confrontations, est aussi celui d’une réconciliation entre époques, genres, auteurisme et film de studios. Il n’est pas étonnant de noter que le cinéaste est un immense fan a la fois de Lester (notamment réalisateur des comédies des Beatles) et de Jean-Luc Godard.

Erin Brokovich (2000)

Immense succès commercial et critique de l’année 2000, 11 ans après Sexe, mensonge et video, Soderbergh revient au sommet qu’il avait quitté et rejoue les têtes d’affiches. Evitant les écueils traditionnels des films de procès, le réalisateur lui insuffle un vent nouveau en restant comme d’habitude au plus près de ses personnages. Ce sont eux qui comptent ici plus que l’affaire, comme le montre le développement en parallèle de la vie publique et privée d’Erin. Le personnage interprété par Julia Roberts réduit à l’état d’impuissance au début du film va devoir se battre pour se réimposer au sein de la société. Elle a pour elle ses capacités d’écoute, mises en valeur par Soderbergh dès son premier film. Le personnage, comme pour Traffic, est à l’image du réalisateur qui met parfaitement en valeur ses interprètes. L’important ici c’est de faire briller les autres. Le style visuel du réalisateur est maintenant parfaitement affirmé. Erin Brokovich est un premier hommage réussi à ces héros du quotidien.

Traffic (2000)

Sorti aux Etats-Unis la même année qu’Erin Brokovich, le film vaut à Soderbergh une double nomination aux oscars à la fois pour meilleur réalisateur et meilleur film. Traffic confirme donc le nouveau statut du cinéaste comme une des nouvelles valeurs sûres du cinéma américain.

Le film suit avec lucidité les différents acteurs de la filière du trafic de drogue (dealers, producteurs, consommateurs, policiers), rend hommage aux combattants du quotidien mais donne sa chance à chacun (étonnante Catherine Zeta-Jones). Les évènements du film poussent tous les individus à se remettre en cause et à faire des choix. Cette remise en question est de nouveau au centre du film. Certains se feront plus modestes et écouteront, d’autres poursuivront cette absurde lutte. Traffic est une nouvelle fois l’occasion pour le cinéaste de mettre en valeur ses interprètes dont le très impressionnant Benicio del Toro.

Ocean’s eleven (2001)

Après le très sérieux Traffic, Soderbergh prend une nouvelle fois le contrepied de ce qu’il avait fait jusqu’ici et s’attaque un film beaucoup plus léger remake du film eponyme réalisé par Lewis Milestone en 1960. Ocean’s eleven est un film qui élève le plaisir comme principe de base. Aussi bien les 13 interprètes principaux (super casting allant de George Clooney, Brad Pitt,Julia Roberts ou Matt Damon à Elliot Gould,Don cheadle ou Andy Garcia) que le réalisateur semble s’amuser à la plus grande joie de nous spectateur. Il soigne une nouvelle fois ces personnges qui vont devoir démontrer une parfaite maitrise de soi pour réussir leur braquage des trois casinos. George Clooney est prêt à tout pour obtenir sa seconde chance avec Julia Roberts.

2002-2003 : Nouvelles expérimentations

Full Frontal (2002)

Avec Full Frontal, Steven Soderbergh met un terme au cycle entamé en 1998 qui l’ont amené à faire des films plus commerciaux. Expérience cinématographique sur la fiction à travers plusieurs mises en abymes ou films dans le films. Pour le tournage de Full Frontal, les comédiens ont dû se soumettre à dix commandements plus étranges les uns que les autres parmis lesquels on citera : " Il n’y a pas de cantine ou de service de restauration. Vous devrez donc arriver sur le plateau rassasié, et avec vos repas. Les plats varieront en qualité", "Vous serez interviewé à propos de votre personnage. Ce document pourra être inclus dans le film" ou "Vous vous amuserez, que vous le vouliez ou non".

Full frontal représente pour Steven Soderbergh, l’occasion de s’attaquer à un projet léger et frais après des films plutôt lourds à mettre en oeuvre. Si ce nouveau long métrage est réjouissant et intéressant à certains égards (réflexions sur le rapport fiction/ réél, la place des noirs à Hollywood), l’entreprise tourne rapidement en rond et montre trop vite ses limites. Il faut accepter Full frontal comme une sorte de récréation pour le cinéaste qui tourne pour la première fois une partie en caméra numérique.

Solaris (2003)

Bien plus ambitieux est son projet suivant Solaris, nouvelle adaptation après celle de Tarkovski du roman de Stanislaw Lem. Steven Soderbergh y aborde la première fois la science-fiction. Fidèle à l’univers qu’il a su construire en quinze années, le genre lui permet d’abord d’explorer l’humain plus que l’action et les effets spéciaux. L’histoire suit un psychologue, Chris Kelvin (George Clooney) amené en mission de sauvetage sur une station spatiale proche de Solaris. Ce voyage dans l’espace est l’occasion pour le médecin de faire face à ses démons et notamment au suicide de sa femme.

Le cinéaste y revient sur un de ses thèmes favoris : la deuxième chance. Solaris explore une relation d’amour entre séduction et destruction. Soderbergh revient ici à ses premiers amours puisque les personnages font preuve d’une psychologie très travaillée. Toute l’histoire repose tout simplement sur leurs névroses respectives. Ses deux derniers films ayant été des échecs au box-office américains, Steven Soderbergh devrait revenir ensuite à un projet plus commercial. Il planche en ce moment sur une suite à Ocean’s eleven. Ce projet serait le premier de la sorte pour le cinéaste. Voilà sans doute de quoi lui plaire.

En définitive, la force du cinéma de Soderbergh est sans doute dans cet attachement aux individus qui sont toujours un peu plus que de simples rouages d’une fiction. Même en travaillant sur des genres hyper codés il cherche toujours à apporter un regard un peu neuf ou décalé. Soderbergh s’impose a la fin des années 90 comme un des plus grands réalisateurs américains et s’annonce comme un des plus prometteurs pour ce nouveau début de siècle.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 7 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 10 mars 2001

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