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Le mythe retravaillé

...ou l’imaginaire malléable

Depuis la sortie des films adaptés du Seigneur des Anneaux, on voit se multiplier les films à grand spectacle qui s’abreuvent au public séduit par la grandiloquence portée à l’écran. Ainsi, le récent Troy, ou l’énième film dédié à la légende d’Arthur Pendragon, sont les beaux avatars de cette soudaine résurgence du péplum.


Il est moins intéressant de s’attarder sur la mode, que sur la matière adaptée.

Qu’il s’agisse de la Guerre de Troie ou de l’histoire des chevaliers de la Table Ronde, ce n’est plus, comme dans le cas du Seigneur des Anneaux, l’adaptation d’une oeuvre finie et cohérente. La démarche consiste à puiser dans un fond légendaire, ou cohabitent de multiples versions d’histoires qui se seraient déroulées in illo tempore, et dont la cohérence chronologique et narrative est loin d’être toujours évidente. Certes, pour la Guerre de Troie, on dispose des récits d’Homère, ou pour la matière arthurienne, des romans de Chrétien de Troyes, ou de Robert de Boron. Mais ce sont des oeuvres qui n’ont fait que ce que font les films aujourd’hui : donner une version, pour ne pas dire une interprétation, du mythe qu’elle racontent. Cependant, plus proches des origines, et adoubées par le sceau discriminant du passage du temps, elles sont devenues à leur tour des mythes, consubstantiels des mythes qu’elles racontent. Peut-on envisager que la Guerre de Troie soit aussi bien connue, et aussi envoûtante, sans l’Iliade ? Il existe une foule d’autres épisodes de la mythologie grecque (les sept contre Thèbes, les exploits de Persée, l’expédition des Argonautes, ou encore la vie d’Héraclès !) qui sont bien plus trucculents et riches que la Guerre de Troie. Mais celle-ci bénéficie de l’Iliade, dont elle tire son rayonnement.

(JPEG)Cet exemple permet de prendre conscience que le mythe est avant tout un matériau. Et que sans un traitement particulier, il n’existe pas véritablement de lui-même. Ainsi, Tolkien, bien des siècles après Homère, s’est attaqué à la matière des mythes (scandinaves, en premier lieu, mais également grecs dans une certaine mesure, et surtout, il les a unifiés au filtre d’une vision catholique du monde) pour leur donner forme. Comme les aèdes ont donné une forme à la matière de la Guerre de Troie. Evènement historique, conservé dans un coin de la mémoire collective, la Guerre de Troie s’est vue revêtue par Homère de bien des éléments et symboliques qui étaient contemporaines à la période de rédaction. (l’Iliade est rédigée au début de la période archaïque, soit des siècles après la véritable Guerre de Troie, qui eut lieu à la fin de l’âge du bronze, vers 1200 avant Jésus-Christ). Plus près de nous, Racine, par exemple, utilise le matériau mythologique pour écrire Phèdre, ou Andromaque, par exemple. Mais il travaille le mythe à l’aune de la pensée du XVIIe, et contribue de facto, à donner au lecteur des siècles futurs, une vision nouvelle du mythe, déformée par le prisme du XVIIe siècle français. Mais on retrouve toujours, au fondement de ces oeuvres, le mythe, qui demeure identifiable sous ce substrat.

Le mythe n’est donc pas un donné, il est une matière première, brute. L’utilisation de l’expression "matière arthurienne" n’est donc pas anodine. Cependant, force est de reconnaître que ce que nous appelons communément mythes, c’est à dire des éléments de croyances très anciennes, autrefois rattachées à des symboliques essentiellement religieuses, ont déjà été retravaillés de toutes parts.

Le mythe est une histoire symbolique dont le sens à été perdu. Celle-ci, riche d’une sémantique potentielle, devient le matériau des auteurs qui viennent la travailler et la retravailler.

(JPEG)Ces auteurs avaient-ils conscience de l’importance de leur travail pour les générations futures ? Ils ont fixé des légendes et traditions dans les mémoires. Aussi, aujourd’hui, c’est à eux que l’on se réfère dès lors qu’il s’agit d’évoquer ces mythes. On connaît mieux Homère qu’Hésiode, et ce n’est pas un hasard si la Guerre de Troie fut choisie comme sujet de film. On connaît aussi mieux le Phyrrus d’Andromaque que le Néoptolème qui se tenait dans le cheval à Troie. Aujourd’hui, pour l’auteur qui s’attaque à ces matières riches, l’enjeu n’est donc pas tant de travailler le mythe, que de le retravailler. Il ne saurait être fait une oeuvre sur la Guerre de Troie sans se frotter à l’Iliade, quand bien même on voudrait l’éviter.

Ce dossier n’a pas pour but de s’attacher à analyser toutes les incises ou références à des mythes dans des oeuvres contemporaines. Il s’agit de considérer comment de telles oeuvres retravaillent le matériau donné par le mythe, de manière globale. C’est à dire de comprendre comment le mythe, et ses dérivés, peuvent se retravailler pour donner la trame, déjà connue, à une oeuvre entièrement neuve.

L’analyse des mythes incluera donc naturellement les oeuvres qui ont fixé ces mythes, et qui sont devenues consubstancielles de ceux-ci. A l’aune de l’Iliade et de la mythologie grecque, par exemple, on évoquera ici Troy, Ilium, ou encore la bande-dessinée le dernier Troyen, inspirée de l’Enéide de Virgile. Il s’agira de saisir en quoi l’oeuvre emprunte au mythe, et de déterminer s’il s’agit d’un emprunt superficiel, d’ordre décoratif (les jupettes et les grands glaives, c’est hype !) ou si, au contraire, les grandes symboliques du mythe ont été digérées et intégrées dans ce travail, et si l’auteur moderne parvient à manifester ce qui, en elles, est véritablement moderne.


Utile précision : ce dossier débute par un propylée grec, car cette matière est à la mode. Mais il n’exclut en rien d’autres analyses, qu’elles traitent de la matière arthurienne, ou encore du fameux voyage en Occident de Sangoku par exemple. Les pistes sont là, qui veut les explorer est invité à s’en emparer !


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Quelques références

Dictionnaires et ouvrages généraux :

 Dictionnaire de la mythologie grecque et latine, Pierre Grimal, PUF
 Mythologie générale, Larousse
 Mythologies de la Méditerrannée au Gange, Larousse

Du mythe :

 Mythes, rêves et mystères, Mircea Eliade, Folio essais
 Les mythes grecs, Robert Graves, Pluriel

Sur quelques matières précises :

La Grèce :

 La Grèce ancienne, Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, collection d’articles compilés en points essais (3 tomes)
 Hector, Jacqueline de Romilly, éditions de Fallois
 Alcibiade, Jacqueline de Romilly, éditions de Fallois
 Pourquoi la Grèce ?, Jacqueline de Romilly

L’oeuvre de Tolkien :

 L’anneau de Tolkien, David Day, Christian Bourgeois éditeur
 Tolkien, les univers d’un magicien, Nicolas Bonnal, les belles lettres
 jrrvf.com, site francophone de référence dédié à Tolkien, qui comprend une foule d’articles et d’analyses intéressantes.

La matière arthurienne :

 Le Livre du Graal, bibliothèque de la Pléiade
 Chrétien de Troyes, bibliothèque de la Pléiade
 Une histoire de la littérature française au Moyen-Age, du Xe au XVe siècle, longue et documentée.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 23 décembre 2005

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