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Catalogne romane, sculptures du Val de Boi

Exposition au Musée National du Moyen Âge (Cluny) à Paris du 15 septembre 2004 au 3 janvier 2005

Le musée de Cluny n’est pas adepte des expositions qui s’étalent sur des kilomètres, sans doute à cause de l’étroitesse de ses locaux et de la richesse de ses collections, très intelligemment exploitée. Avec cette mini-exposition sur la Catalogne romane et ses sculptures, c’est un microcosme de créateurs catalans de la première moitié du XIIème siècle qui est mis en avant. Le sujet est donc très ciblé et l’exposition tient aisément dans le frigidarium des thermes de Cluny, renommé aujourd’hui salle 9 du musée. Après leur séjour au musée de Cluny, les sculptures s’achemineront vers le Musée National d’Art de la Catalogne, pour être exposées du 18 janvier au 20 mars 2005.


Carte des églises romanes du Val de Boi-Taüll - 79 ko
Carte des églises romanes du Val de Boi-Taüll

Pour le guider dans sa visite, le visiteur a à sa disposition un feuillet explicatif, succinct et clair, écrit, il faut le faire remarquer, avec une taille de caractère assez grosse pour que le visiteur ne perde pas le fil de sa lecture en laissant son regard aller et venir du feuillet à l’oeuvre. Le Val de Boi, classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et situé sur le versant sud des Pyrénées, a connu un formidable essor artistique dans la première moitié du XIIème siècle. La présence humaine à l’origine de cet essor artistique se manifeste par un ensemble d’églises romanes, datées de 11ème et 12ème siècle qui se caractérisent par leur unité de style. Ici l’accent n’est pas mis sur les fresques qui ornaient les églises de ce val, aujourd’hui exposées dans deux musées de la Catalogne (Vic et Barcelone). Quelques reproductions de ces fresques sont bien accrochées dans le frigidarium, mais elles ne constituent pas l’objet central de l’exposition. Ce sont en réalité les oeuvres sculptées sur bois des artistes de cette région qui constituent le coeur de la présentation. Pour l’occasion, le frigidarium est plongé dans une intense pénombre, rappelant les conditions d’exposition de ces statues dans les églises aux fenêtres étroites, statues reléguées après le Concile de Trente derrière les autels ou dans les clochers. La monumentalité de ces figures de bois, le choix des sujets, la pénombre qui entoure les oeuvres, autant de facteurs constitutifs d’une ambiance solennelle, appelant réflexion et silence de la part du visiteur.

Saintes Femmes - 23.7 ko
Saintes Femmes

À la fin du XIXème siècle, l’existence de ces sculptures monumentales sur bois n’était pas connue. Il faut attendre 1907 pour qu’une expédition d’historiens de l’art dirigée par l’Institut d’Études Catalanes découvre enfin les oeuvres sculptées d’un atelier du Val de Boi, et plus largement du Val d’Aran et du Pallars, sculptures datées du XIIème siècle et cachées dans la pénombre des églises. Au début des années vingt, ces sculptures sont mises en vente sur le marché de l’art : la grande majorité des statues va agrémenter les collections du musée national de la Catalogne, tandis qu’une statue est acquise par le musée de l’université de Harvard, le Fogg Art Museum. En 2001 entre dans les collections du musée français de Cluny la dernière sculpture connue seulement d’après une photo de 1930 et l’exposition actuellement présentée au musée de Cluny trouve son origine directe dans l’arrivée de cette oeuvre, donnée au musée par l’ARMMA (Association pour le Rayonnement du Musée du Moyen Âge). Il s’agit de présenter au public l’ensemble des sculptures connues de cet atelier spécialisé dans les Descentes de Croix. Par le groupement de ces sculptures monumentales, il s’agit pour les spécialistes "d’affiner les datations, de confirmer des rapprochements, d’étayer des hypothèses iconographiques". L’acquisition de 2001 représente une sainte femme, penchée en avant et rappelle le statue acquise par le Fogg Art Museum, elle-aussi penchée en avant. Cette inclinaison des femmes, qui ne se rencontre pas dans une scène de Descente de Croix, semble révéler, selon les historiens de l’art, la visite des Saintes Femmes au sépulcre, Marie et Marie-Madeleine, dont un des deux mains semble avoir tenu un pot d’aromates. Cela témoignerait d’une compétence de l’atelier au-delà des scènes de Descente de Croix et d’une iconographie insistant sur la nature divine du Christ. La position penchée des Saintes Femmes se retrouve aussi dans les scènes de Mise au Tombeau, mais ces scènes se rencontrent essentiellement dans les derniers siècles du Moyen Âge.

Descente de croix d’Erill-la-Vall, XIIème siècle, musée épiscopal de Vic (Esp.) - 26.5 ko
Descente de croix d’Erill-la-Vall, XIIème siècle, musée épiscopal de Vic (Esp.)

Les sculptures exposées datent donc de l’époque romane et sont originaires de Catalogne : la splendeur catalane, des premières années du XIème siècle à la fin du Moyen Âge, n’est plus à démontrer. Après avoir conquis son indépendance face aux royaumes carolingiens et capétiens, et après avoir écarté définitivement la menace musulmane à la fin du Xème siècle, la future Catalogne connaît trois siècles de prospérité économique et d’essor culturel. Les sculptures du val de Boi sont l’un des témoignages de cet essor culturel. Elles représentent la Descente de Croix. Le Christ y tient une position centrale, jambes croisées ou non, pieds maintenus par deux clous ou un clou (selon une tradition plus récente). À côté de lui se tient Joseph d’Arimathie, homme pieux qui avait obtenu l’autorisation d’ensevelir le Christ (Mt 27, 57-61) qui soutient le Christ et dont la main est visible sur le flanc gauche du Christ. De l’autre côté du Christ peut se tenir Nicomède, qui décroche la main gauche du Christ et qui aide Joseph d’Arimathie selon Jean (19, 39). Selon une tradition catalane, peuvent figurer les deux larrons crucifiés, Dimas et Gestas. Deux autres personnages se retrouvent parfois au pied de la croix, ce sont Marie et saint Jean. Les visages des personnages reflètent une réelle souffrance et les plaies du Christ sont fortement marquées. La Passion est ici exprimée dans toute sa grandeur et l’on imagine aisément l’effet de ces statues sur les fidèles de l’époque. Au XIIème, la réforme grégorienne restaure le cycle pascal, en mettant en avant la réalité de la mort du Christ, dont les Descentes de Croix sont un témoignage puissant. Certaines hétérodoxies du XIIème siècle contestent précisément cette réalité de la mort du Christ et l’Eglise y répond par ces imposantes sculptures, traitant avec force la déposition du Christ. Ces sculptures nous arrivent aujourd’hui couleur bois, mais il faut les imaginer polychromes pour avoir une véritable idée de leur force et de leur monumentalité.

Si l’exposition sur la Catalogne romane est une exposition de faible envergure sur le plan quantitatif, elle est cependant très riche qualitativement parlant. Ces sculptures qui sont des oeuvres majeures de l’histoire de l’art roman sont pour la première fois réunies. Les explications fournies par le musée du Moyen Âge, la scénographie appropriée sont autant de facteurs qui rendent la visite agréable et enrichissante. Par ailleurs, le musée de Cluny, toujours soucieux de donner accès à ses collections, laisse à la libre disposition du public des doubles feuillets qui permettent au visiteur de parcourir l’ensemble du musée à la recherche de la Passion et des oeuvres catalanes, chaque oeuvre du parcours faisant l’objet d’un commentaire individuel.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 16 décembre 2004

Informations pratiques :
 artiste : collectif
 dates : du 15 septembre au 3 janvier 2005
 lieu : Musée National du Moyen-Age Thermes de Cluny, 6 place Paul Painlevé, 75 005 PARIS (accès : Métro Cluny-La Sorbonne / Saint-Michel / Odéon. RER ligne C Saint Michel.)
 horaires : Tous les jours sauf le mardi, de 9 h 15 à 17 h 45 Fermeture de la caisse à 17 h 15. Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
 tarifs : Plein tarif : 5,5 € et 6,7 € du 15 septembre 2004 au 3 janvier 2005 (musée et exposition). Tarif réduit (moins de 25 ans et pour tous le dimanche) : 4 € et 5,2 € du 15 septembre 2004 au 3 janvier 2005 (musée et exposition)
 informations : site Internet du muséeet renseignements au 33 (0)1 53 73 78 00 (standard et serveur vocal) et au 33 (0)1 53 73 78 16 (accueil)
 catalogue : Paris, éditions RMN, 2004, 128p., 18 euros

Pour aller plus loin sur Internet :
 dossier de l’exposition sur le site de la RMN d’où sont tirées les images et qui recoupe celui du site internet de Cluny
 pour en savoir plus sur les églises du Val de Boi-Taüll et sur l’art roman dans le Val de Boi
 article de Philippe Conrad, Historien, sur Les Origines de la Catalogne, de la marche d’Espagne carolingienne au comté de Barcelone

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