Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Cinéma > article

Vanilla sky, l’art du remake

Vanilla Sky, le nouveau film de Cameron Crowe, est bien plus qu’un simple remake d’Ouvre les Yeux d’Alejandro Amenabar. Le réalisateur qui avait l’an dernier tourné le très réussi Presque Célèbre se réapproprie entièrement le matériel original pour en faire une oeuvre pleinement personnelle fidèle à ses obsessions.


Il faut l’avouer, les apparences jouent fortement contre le film de Cameron Crowe. L’ensemble de la critique n’est pas tombé sans raison sur le film. Vanilla Sky reprend toutes les étapes du scénario d’Ouvre les yeux en en simplifiant les tenants et aboutissant. Cameron Crowe manifeste à cet égard une certaine désinvolture dénaturant les aspects les plus sombres et intéressants de l’original sans s’en démarquer complètement. Ainsi, Cameron Diaz est beaucoup moins menaçante à l’égard de Tom Cruise dans les premières scènes que ne pouvait l’être Najwa Numri dans l’original. Dans ce cas précis, cette modification a au moins le mérite de rendre plus crédible le fait que le jeune homme accepte de monter dans la voiture de la jeune fille. Concernant le reste du casting, Penelope Cruz maintient son rôle parfaitement intact. Tom Cruise, quant à lui, reprend son image traditionnelle du jeune homme beau, riche, célère et arrogant qui si elle sied parfaitement au rôle n’apporte pas grand chose de nouveau et d’excitant de la part de l’acteur.

Cameron Crowe parvient néanmoins à personnaliser son film et cela de plusieurs manière. Tout d’abord, les décors jouent un rôle particulièrement important. Pour les extérieurs, il utilise parfaitement la dimension romantique de la ville de New York comme avec Central Park, aspect qui était beaucoup moins appuyé dans le Madrid d’Amenabar. Pour les intérieurs, on retrouve dans l’appartement de Tom Cruise, les affiches d’ A Bout de souffle et Jules et Jim, le tableau de Monet qui donne son titre au film ou une vieille guitare électrique. Ces objets qui peuvent paraître totalement gratuit permettent à Cameron Crowe de donner un peu d’épaisseur et de légèreté à ses personnages. Ils permettent aussi d’orienter les dialogues sur des thèmes non abordés dans l’oeuvre d’Amenabar comme notamment le rock n’roll mentionné par Penelope Cruz lors de sa visite de l’appartement de Cruise ou à un moment plus inattendu entre Cruise et son psychiatre qui évoquent ensemble leur Beatles préféré. Et Cameron Crowe donne du sens à tout ça. Préférer McCartney à John Lennon démontre que le personnage interprété par Kurt Russell est désormais assagi loin de ses rebellions de jeunesse.

L’autre grande force du cinéma de Crowe est d’ailleurs son utilisation particulièrement signifiante de la musique. Le choix des deux morceaux de Radiohead sont par exemple parfaitement signifiants. Everything in its right place en ouverture annonce le fait que le monde que l’on voit est plus détraqué et inquiétant que ce qu’on pense comme le suggère les paroles proprement surréalistes ecrites par Tom Yorke sur ce morceau. I Might be Wrong au contraire révèle les aspirations simples du personnage principal à un moment où il est en plein désarrois. Cameron Crowe réunit ici tous les grands artistes qui ont marqué son enfance de McCartney aux Rolling Stones en passant par Dylan ou les Beach Boys. Il parvient parfaitement avec l’utilisation d’une bande son omniprésente à altérer profondemment la tonalité des éléments purement narratifs du film. Ainsi, l’utilisation du festif Good Vibrations des Beach Boys dans le final à un moment où Amenabar préférait créer une forte tension dramatique fortement angoissante est parfaitement représentatif de ce travail de sape du film original. Il tire le film vers une plus grande légerété non pas pour rendre le contenu plus explicite mais parce que c’est la raison d’être même de son cinéma.

Les deux réalisateurs ont en fait des personnalités très différentes qu’elles arrivent parfaitement à imposer à leur film. Amenabar s’intéresse principalement dans son film aux possibilités et aux limites posés par la complexité du cerveau humain. Il construit un monde ambigu, inquiètant et profondément pervers. Cameron Crowe, de son côté ne s’intéresse qu’aux intéractions qui peuvent exister entre les différents personnages du film, les relations de confiance, fidélité, amitié et amour. Sinon, seul le rapport entre les individus et la culture pop semble trouver grâce à ses yeux (jusqu’à imiter dans un plan de Tom Cruise et Penelope Cruz, la couverture d’un des albums de Bob Dylan). Il y a une certaine naïveté dans le cinéma de Cameron Crowe qui marque sa limite mais fait aussi tout son charme. Le réalisateur n’a pas son pareil pour faire vivre une relation à l’ecran en quelques plans. On retrouve étonnament dans Vanilla Sky cette légèreté naturelle qui est par moment jubilatoire. La référence appuyée à Jules et Jim dans le film trouve là aussi une justification.

Au final, Cameron Crowe dénature complètement le propos de l’original qui pouvait se présenter comme une descente en enfer. Dans Vanilla Sky, il n’y a plus de doutes ou d’inquiètudes mais une simple recherche d’un bonheur simple qui passe aussi bien dans l’amour de Penelope Cruz pour Tom Cruise que dans un album de Dylan, un film de Truffaut ou un tableau de Monet. Cameron Crowe arrive à faire naître un peu d’émotion autour des ses personnages tout en maintenant par moment en arrière plan une sorte de rire un peu inquiétant révélateur d’aspects potientiellement plus sombres. Il réussit donc ici l’impossible : faire du plus noir des cauchemars, un hymne touchant aux petits charmes de la vie ("the sweet and the sour"), à l’amour et au rock n’roll.


On pourra se reporter à une autre vision du film, toujours sur Artelio.

par Boris Bastide
Article mis en ligne le 15 octobre 2004 (réédition)
Publication originale 26 janvier 2002

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site