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Kat Onoma : "quand le silence entre les sons se remplira de cris"

Histoire et discographie des hérauts du rock nocturne "made in France"...

Kat Onoma : "comme son nom l’indique", en grec. Et comme son nom l’indique, ce quintette strasbourgeois fut pendant presque vingt ans le groupe rock le plus original de l’Hexagone, probablement le meilleur avec les plus médiatisés Noir Désir. Personne n’a su allier ainsi tension électrique, élégance aristocratique, chaleur glacée et intimisme distant. Avec une rare intégrité artistique et commerciale par-dessus le marché... Après que la "Dernière Bande" nous a fait ses adieux en publiant comme somptueux testament une rétrospective CD/DVD, All the best from Kat Onoma, il semble bienvenu de se pencher sur l’oeuvre de ce groupe-culte. Pour lui rendre hommage. Pour lui adresser un grand "merci". Plus concrètement, pour se souvenir que Rodolphe Burger et ses acolytes ont osé sculpter le son et les mots, osé réaliser des disques semblables à des films somnambules, bref, osé revendiquer une approche esthétisante dans un pays où le rock se doit d’être naïf (ou anglo-saxon) pour être massivement accepté...


L’aventure de Kat Onoma débute à Strasbourg au milieu des années 80, en pleine période MTV et pop synthétique. D’emblée le quintette (Rodolphe Burger au chant et à la guitare, Philippe "Lamiral" Poirier au saxophone et bientôt également à la guitare, Guy "Bix" Bickel à la trompette, Pierre Keyline à la basse et Pascal Benoit à la batterie) décide de ne rien faire comme tout le monde, ou du moins de ne pas se fondre dans la masse. Et pour cause... Burger et Benoit jouent du rock ensemble depuis leur pré-adolescence : tous les deux ont baigné dans un monde électrique où se mêlent Cochran, les Stones, Hendrix et tous les Anglo-Saxons qui ont pour apanage une expression rageuse du blues. Sans oublier pour autant toutes les formes de jazz, ce qui les conduit à croiser le chemin de Poirier et Bickel : ces deux-là ont déjà officié au sein d’un collectif adepte d’expérimental et de free, Musik Aufhebung. Les quatre mousquetaires décident alors de se réunir sous le nom de La Dernière Bande (d’après une pièce de Beckett) ; cela ne les empêche pas, en parallèle, de tâter du jazz libre sous la bannière d’Œuvre Complète, menée par Poirier lui-même et le saxophoniste Yves Dormoy. C’est en 1986 donc, avec l’arrivée de Pierre Keyline, qu’ils mettent fin à leur douce schizophrénie musicale en adoptant le nom définitif de Kat Onoma.

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De gauche à droite : Pascal Benoit, Pierre Keyline, Rodolphe Burger, Philippe Poirier, Guy Bickel.

Dès les débuts, le groupe se taille une belle réputation scénique : tendus, retenus, plus sombres qu’ensoleillés, ses morceaux reflètent à merveille les multiples influences qui l’ont nourri. En outre, et c’est là sans doute son plus grand mérite, le son (et le ton) Kat Onoma s’avère profondément original, très personnel. A la débauche d’énergie et de décibels, les Strasbourgeois privilégient une forme d’hypnose : pas de solos virtuoses et de grands gestes, mais un jeu trouble et lancinant, une électricité ambiante, des silences aussi éloquents que des notes ; bref, la bande-son idéale d’une nuit d’été lorsque couve l’orage. Et, surplombant ce flot de haute-tension, la voix de Rodolphe Burger, au timbre chaud mais à la diction distante. Toute la magie de Kat Onoma peut être résumée par cette voix : chaleur organique et raideur expressive. C’est ainsi que, dès les premiers concerts, cette musique est surtout considérée par les critiques comme cérébrale, ce qui n’est ni faux ni juste, ces derniers ayant tendance à laisser dans l’ombre la puissante sensualité émanant des guitares et des cuivres.

Pendant toute sa carrière donc, Kat Onoma apparaîtra comme le parangon du "rock intellectuel", ce qui lui attirera à la fois les faveurs des amateurs de musique underground et l’ignorance du public populaire. Pouvait-il en être autrement dans un pays où le rock mainstream demeure une expression relativement primaire ? Traditionnellement, le rock français se doit d’être plutôt simpliste, voire décérébré, comme s’il n’était qu’une frange électrifiée de la variété ; l’intelligence et la poésie sont l’apanage de la Grande Chanson Française, ou à la rigueur des petits frères américains de Dylan... Or les exigences de Kat Onoma se conforment mal à l’esthétique dominante des années 80-90. Jeune professeur de philo avant de se lancer définitivement dans la musique, ayant assisté avec passion aux cours de Derrida, Deleuze, Foucault ou Lacan, Rodolphe Burger cultive un goût légitime pour les mots : il se montre soucieux des jeux d’interaction subtils qu’ils peuvent avoir avec la musique rock. L’idée n’est certes pas nouvelle, mais venant d’un groupe français, elle suscite la méfiance. D’autant plus que (enfer et damnation !) le groupe, surtout à ses débuts, privilégie la langue anglaise, la langue du rock. Amoureux des mots mais s’estimant meilleur compositeur qu’auteur, Burger n’hésitera pas à mettre en musique des textes de Shakespeare ou du poète beat Jack Spicer, pour ne citer qu’eux. Mais surtout, il confiera progressivement la rédaction de la majeure partie des paroles à deux écrivains contemporains, deux amis proches avec lesquels il ne cessera de collaborer même dans le cadre de ses projets solo : Pierre Alferi (parfois sous le pseudo de Thomas Lago) puis Olivier Cadiot, tous deux fondateurs de la Revue de littérature générale.

(JPEG) Des textes épurés à l’extrême, presque décharnés, obsédants (pour ne pas dire obsessionnels), posés par une voix tant solennelle que nonchalante sur une musique nerveusement élégante, au bord de l’électrocution : voilà les ingrédients fondamentaux de la recette Kat Onoma, mise en place dès les premiers concerts. Pendant quinze ans, le groupe multiplie les tournées (même à l’étranger, notamment en Suède ou en Grèce, ce qui est rare pour un groupe français), sort des albums malgré l’indifférence du grand public. Cependant son succès critique est unanime, ce qui lui permet de faire face à la faillite ou à la désertion de ses labels successifs. Ce parcours du combattant, déterminé par une farouche intégrité artistique, n’est certes pas de tout repos. Spécialement pour Rodolphe Burger, obligé de se battre comme un chef d’entreprise pour faire vivre son groupe ; tant de mésaventures le conduiront, fin 2002, à monter son propre label, le désormais prolifique Dernière Bande. La consécration finit par arriver en 1995, lorsque Kat Onoma participe aux Francofolies de La Rochelle et investit l’Olympia. L’année suivante, il se voit décerner le Bus d’Acier, récompense attribuée par un jury issu de la presse spécialisée dans le rock et couronnant le meilleur groupe français de l’année...

Parallèlement, les deux leaders du groupe cultivent une carrière solo notamment basée sur des collaborations très variées. Philippe Poirier réalise Les Echardes dès 1993, avec son vieux complice Yves Dormoy, un disque de cuivres dans l’esprit d’Ornette Coleman. Suivront, entre autres, Qui donne les coups (1998) et le récent Qu’est-ce qui m’a pris, paru en novembre 2004 (au même moment que le best of scellant la fin de Kat Onoma). Quant aux innombrables projets de Rodolphe Burger, artiste hyperactif sous ses allures de sage, ils mériteraient à eux seuls un long article. Signalons cependant qu’il a participé à l’album de Françoise Hardy intitulé Le Danger (1996), afin de la remercier de son soutien sans faille pendant la jeunesse du groupe, tout comme au Fantaisie Militaire de Bashung (1998) en cosignant avec Cadiot le fameux "Samuel Hall". La même année, son Meteor Show, étrange album où il plonge son rock torturé dans des sonorités électroniques et des rythmes jungle avec l’aide de Doctor L., lui vaut de recevoir le Prix Charles-Cros, ce qui n’est pas rien pour un musicien. En 1998 toujours, il produit un duo très classieux entre la même dame Françoise et... Mr Iggy Pop, tout de même, destiné à la compilation Jazz à Saint-Germain. Entre ciné-concerts au musée, sonorisation du tramway de Strasbourg, réalisation du premier album de l’actrice Jeanne Balibar (Paramour, 2003), jusqu’à sa très récente collaboration avec le chanteur traditionnel breton Erik Marchand (Before Bach, mars 2005), Rodolphe Burger se tient constamment sur la brèche. Si l’ultime album de Kat Onoma a pu bénéficier d’une telle soif d’aventures, celle-ci a fini par être fatale au collectif : la fin de l’année 2004 a malheureusement vu la dissolution du groupe. Tout le monde s’y attendait, à vrai dire...

Maintenant, s’agissant de musique, une grande question se pose : à quel public est vraiment destiné Kat Onoma ?

(JPEG) Ceux qui aiment, peuvent aimer, aimeront ou essaieront d’écouter Kat Onoma sont, en définitive, tous ceux qui n’ont pas d’idée prédéfinie sur ce que doit être le rock, qui voient ce dernier comme une expression musicale des plus ouvertes, des plus mouvantes, une expression qui brasse toutes les autres, les englobe, les dépasse, se nourrissant aux fleurs du passé pour distiller un suc nouveau. Par chance, ce public éclairé (à ne pas confondre avec "élitiste" : être "éclairé", c’est être attiré par toutes les sources de lumière et s’y réchauffer) est encore vaste, peut-être même l’est-il de plus en plus. En somme, Kat Onoma trouve ses amateurs parmi ceux qui chérissent les artistes dont l’approche du rock, aussi variée qu’elle soit, s’avère plutôt oblique, biaisée, trouble (donc troublante), élégante, autant cérébrale que sensuelle : le Velvet Underground (immense influence, totalement assumée par la bande à Burger), Brian Eno, Robert Wyatt, Nick Cave, Tindersticks, Sonic Youth, Bashung... la liste est longue. Tous ces noms sont aujourd’hui mythiques, et musicalement Kat Onoma n’a pas à rougir de la comparaison. Espérons qu’à la faveur de plusieurs événements (la dissolution du groupe, la parution d’All the best from, le succès d’estime obtenu par Burger comme mentor de Jeanne Balibar ainsi que son ubiquité sur la scène artistique française, et pourquoi pas le culte sans cesse revivifié du Velvet Underground), son importance sera reconnue avec justesse et la beauté de sa musique partagée par davantage de personnes. Puisse cette modeste rétrospective y contribuer !

Et maintenant, allons nous plonger dans la discographie du groupe (entièrement et généreusement rééditée ces dernières années par le label Dernière Bande). Précisons que sont mentionnés uniquement les albums, et non les maxis ou autres disques...

N.B. Sauf mention contraire, les citations entre guillemets sont extraites d’un entretien entre Jérôme Soligny, Rodolphe Burger et Philippe Poirier pour Rock & Folk (mars 2001).


Cupid (1988)

(JPEG) Cupid / The Ditty of the drowned father / Take a message to Mary / From Pompei / Wild Thing / Aphrodite’s Lizard / Electric Cant / Full Moon, full jail / Liar / Cupid / bonus : Beggar’s Law / Mary P / A Nice Mess / Sam song / Cupid (remix)

Tons bleu nuit, flash spectral : la pochette du premier album de Kat Onoma annonce la couleur d’une musique hantée, à vingt mille lieues de la pop inoffensive qui régente alors le paysage musical français. Et ce n’est pas le morceau d’ouverture (éponyme) qui apportera un démenti à cette guerre déclarée contre le rose bonbon... Titre emblématique, inlassablement rejoué sur scène jusqu’en 2001, "Cupid" lance les hostilités en dépeignant la divinité de l’amour sous les traits d’un authentique vampire. Portée par une mélodie haletante qui n’est pas sans évoquer du Joy Division habitable, cette chanson aussi oppressante qu’énergique doit beaucoup de son magnétisme à la voix de Rodolphe Burger qui, brandie comme une lame de rasoir, ne sera jamais aussi froidement menaçante. Morceau-phare de l’album, "Cupid" enfonce le clou dans une seconde version conclusive, dépouillée à l’extrême (et en français s’il vous plaît !) : seul à la guitare acoustique, le chanteur pétrifie le temps, fait neiger les mots, laissant place à un paysage désolé.

Entre ces deux glaciations, que se passe-t-il ? Eh bien, l’auditeur assiste à un véritable manifeste stylistique via des compositions qui témoignent d’une identité déjà forte : langueur, tension, éclats de cuivres, électricité rampante, musicalité des mots... Et pas n’importe quels mots : "The Ditty of the drowned father", par exemple, mêle sans affectation un texte de Shakespeare à un curieux cocktail de new wave et de swing, à la surface duquel émerge la trompette soyeuse de Guy Bickel. Celle-ci, très influencée par Miles Davis, déploiera régulièrement ses fastes sur les fresques nocturnes peintes par Kat Onoma, tandis que le saxophone de Philippe Poirier y décochera ses flèches mordorées. Mais ce qui frappe à l’écoute de ce premier album en particulier, c’est "l’inquiétante étrangeté" dont parlait Freud. "Take a message to Mary" et "From Pompei" ont certes un fond bluesy, mais il s’agit de blues faussement sereins, leur douceur ne rassure pas. Marque de fabrique de Kat Onoma, une nervosité contenue imprègne ce disque, nervosité qui atteint ici des pics de fièvre inégalés : le groupe s’amuse à ralentir et à accélérer le tempo ("Full Moon, full jail"), tandis que des silences perturbants luttent contre des coups de boutoir électriques maîtrisés à grand peine ("Aphrodite’s Lizard"). Voilà pourquoi l’écoute de Cupid s’avère assez éprouvante ; la plupart des chansons semblent se débattre, suspendues dans un équilibre précaire, alternant phases de coma et convulsions. "Il est vrai qu’on escamote souvent. On n’aime pas les bascules évidentes. (...) On ne prône pas l’efficacité immédiate, on essaye d’élaborer des textures un peu distendues." (R. Burger) En effet, rarement un disque de rock aura joué à ce point de la dilatation, de l’expressivité des silences.

Néanmoins Kat Onoma parvient à ménager quelques îlots accueillants, allant du faux Lou Reed atmosphérique ("Electric Cant", très joli morceau avec de superbes lignes de guitare "burgeriennes") à une mélodie plus chaude ("Liar" et sa flamboyante intervention de saxophone). Il n’hésite pas non plus à se livrer à un morceau de bravoure en s’attaquant au "Wild Thing" des Troggs : après 3mn de tension fantomatique que n’aurait pas reniées le Nick Cave des débuts, la digue cède sous une cascade de cuivres. Ceci pour rappeler que Kat Onoma, groupe inclassable, ne cessera de revendiquer l’héritage du rock des sixties, s’imposant également comme l’un des combos les plus doués et les plus reconnus dans l’art de la reprise...

Si cet album inaugural n’est pas le plus accessible du quintette et n’offre pas forcément ses compositions les plus marquantes, sa sombre prestance, sa tonalité quelque peu maladive, son alliage de glace et de feu en font l’indispensable B.O. des nuits sans sommeil. Un disque lancinant qui augure de futures noires pépites...

N.B. Lors de sa réédition par Dernière Bande en 2003, Cupid a été augmenté de cinq bonus : un remix du morceau-titre et les quatre morceaux du premier maxi paru en 1986. Ces dernières chansons sont de véritables curiosités, assez éloignées de ce que le groupe produira par la suite : mélodies pop new wave très accrocheuses ("Beggars Law", "Mary P") ou délirante parodie de heavy metal synthétique ("A Nice Mess"). Seule "Sam song", émouvante complainte inspirée de Samuel Beckett, où le saxophone de Poirier réalise encore des miracles, pose brillamment les bases du style Kat Onoma.

Stock Phrases (1990)

(JPEG) The Animals / Private Eye / Lady M. / Lifeguard’s ditty / A Wind that hungers / The Landscape / Four color game / Ashbox / Worst Friend / Come on everybody / Be Bop a lula / bonus : Don Juan

L’influence du Velvet Underground était très perceptible tout au long de Cupid, notamment dans le phrasé "reedien" de Rodolphe Burger et dans le choix perpétuel de l’oblique au détriment de la ligne droite. Mais s’il fallait élire l’album de Kat Onoma le plus proche du rock new-yorkais, Stock Phrases emporterait probablement tous les suffrages. Les raisons à cela ? Sa tonalité plus urbaine que jamais, et son élégance en clair-obscur qui n’exclut pas une certaine énergie. Ce deuxième opus s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur tout en esquissant une évolution par rapport à celui-ci : la production est plus claire, les ambiances un peu moins épileptiques, les mélodies un peu plus franches et parfois même... entraînantes ! Dès les premières mesures, la musique du groupe gagne en fluidité et en densité avec l’arrivée d’une seconde guitare, tenue par le toujours excellent Philippe Poirier : les deux instruments jumeaux tissent des entrelacs serpentins, légers comme la soie et néanmoins résistants comme le cuir. Quant aux choeurs plein d’allant du sympathique batteur, Pascal Benoit, ils accentuent le relief des titres les plus rythmés, offrant un parfait contrepoint à la voix grave et distante de Burger. Mais attention, il ne faut pas s’y méprendre, Kat Onoma n’est pas prêt à céder à la facilité, et avec ce genre de disque on est toujours loin de Téléphone ; plus proche de Television sans doute : "Notre passé underground prévalait encore durant l’enregistrement de Stock Phrases." (Ph. Poirier)

Underground ou non, Kat Onoma commence à acquérir une petite notoriété grâce au clip de "The Animals", diffusé notamment sur M6 qui en 1990 ose encore (à des heures certes tardives) promouvoir un tel groupe. Pourtant cette chanson à la mélodie torve et entêtante, cousine faussement nonchalante de "Cupid", n’a rien d’un tube. Car Kat Onoma est ici au faîte de son ambiguïté : chant matois, guitares coulantes et trompette en détresse, rythmique obsessionnelle... S’il existe une chanson assez fourbe pour jouer avec l’auditeur et le poignarder dans le dos, c’est bien celle-ci. Et c’est ce qui fait tout le charme de "The Animals"... Dans la même catégorie petit bijou louche, "Private Eye" mérite une mention spéciale : sur un texte à la Selby narrant un espionnage mafioso-amoureux, digne d’un film noir, le groupe tisse un canevas musical diamantin, jouant intelligemment de la syncope comme s’il avait dilué un peu de funk dans de l’eau froide pour en teindre son blues urbain. Ce joyau d’équilibre constitue peut-être le plus beau titre de l’album... Un album qui, comme son prédécesseur et les futures oeuvres du groupe, cultive un goût certain pour la tension ravalée, pour la menace d’éruption. Il suffit d’écouter "Lady M.", languissante à souhait, avec en prime des paroles glaçantes telles un écho moderne du meurtre d’Agamemnon ("He’s sleeping like a dog/He’s sleeping like a rat/Tonight he’ll be shrouded/In his own fat/Bloody ending, bloody ending/Blood to begin, my friend"). Ou encore "A Wind that hungers", sévère méditation sur la vanité de la vie inspirée de l’Ecclésiaste, où la musique gronde comme jamais, zébrée d’éclairs muets. On reste tendu, aux aguets, attendant l’orage imminent. Mais le miracle avec Stock Phrases, c’est que si le tonnerre n’éclate toujours pas, la tourmente menace sans répit, de morceau en morceau.

Autre miracle typiquement "katonomien" : le groupe ne sombre à aucun moment dans la noirceur totale et fuit le pathos comme la peste. Les détracteurs du quintette, ceux qui le décrivent comme un gang affreusement crispé, seront sûrement étonnés de découvrir des morceaux trouvant un équilibre unique entre la décontraction et la densité : "The Landscape", "Four color game" (écho sautillant de "Private Eye") et le printanier "Ashbox" arborent de vrais sourires entre les nuages. Les mêmes détracteurs ne pourront nier l’humour joueur, et pas du tout irrévérencieux, de Rodolphe Burger se réincarnant en Gene Vincent sur la reprise de "Be Bop a lula". Ils seront également surpris de voir Kat Onoma rivaliser joyeusement avec les Blues Brothers sur des titres aussi fringants que "Lifeguard’s ditty" et "Worst Friend". Pour finir, ils devront avouer que le "Come on everybody" de Cochran est traité avec un inégalable brio : au bord de l’évanouissement, le classique des fifties explose en une épiphanie de cuivres. Kat Onoma, groupe funèbre ? C’est vite dit, et évidemment faux comme le prouve ce disque tout en nuances...

Plus qu’une oeuvre underground, Stock Phrases apparaît comme un bel album de rock moderne, au sens cinématographique du terme. Car Kat Onoma affirme ici son style basé sur l’hypnose sonore, contrepoint de l’hypnose optique promue par les grands réalisateurs de l’après-guerre : miroitement, fulgurance, alternance opacité/lumière et répétition de la trame mélodique confèrent à cette musique une grande plasticité, plasticité qui évoque encore les meilleurs moments du Velvet. Mais à la différence de simples épigones, les Strasbourgeois sont rapidement parvenus à cultiver une esthétique tout à fait personnelle. Le talent littéraire de Pierre Alferi, écrivant désormais la majorité des textes (entre prose lancinante et énigmes poétiques confinant à l’abstraction), superbement incarnés par la voix obsédante de Burger, n’est pas pour rien dans cette réussite artistique que constituent cet album et les suivants...

Billy the Kid (1992)

(JPEG) The Radio / Le Désert / The Gun / Will you dance ? / Riverrun / The Trap / Lady of Guadalupe / Memo / B. the K. / Night way / The Poplars / bonus : The Heart / The Pain / The Radio (remix)

Groupe fasciné par l’image en général et le cinéma en particulier (Pierre Alferi est un cinéphile boulimique et Philippe Poirier, parmi une quantité d’activités liées à sa formation en arts plastiques, réalise des films en Super 8), Kat Onoma a souvent conçu ses oeuvres comme une suite de séquences pour l’oreille. Logiquement, l’exercice du concept album devait s’imposer tôt ou tard... A première vue, Billy the Kid semble y répondre : le disque s’articule autour des textes de Jack Spicer (1925-1965), écrivain américain demeuré peu connu, textes eux-mêmes tirés de son livre homonyme paru en 1958. Tout est clair : Kat Onoma va nous conter une histoire du début à la fin, une histoire sombre à travers des chansons sombres ; affaire classée. Eh bien non, raté ! Rien n’est aussi simple chez ce groupe singulier, et c’est ce qui rend son troisième album passionnant.

"L’idée de départ n’était pas du tout de créer tout un album à partir de l’œuvre de Jack Spicer, c’était plutôt un déclencheur. On a commencé par faire "Will You Dance ?", et les choses auraient pu en rester là. Mais Pierre [Alferi] s’est mis à dériver et d’autres textes comme "Le Désert" sont arrivés. Une fois encore, rien n’était prémédité. Le concept est venu après coup." (R. Burger) Cette approche spontanée se ressent effectivement à l’écoute : il ne s’agit pas d’une mise en musique linéaire de l’histoire du hors-la-loi, mais plutôt de convocations de son fantôme, voire d’interventions post-mortem éminemment plus sensitives que narratives. Le style poétique de Spicer, proche du cut-up des écrivains beat, imposait au groupe de composer une série de fragments émotionnels, assez déconnectés les uns des autres et essentiellement reliés par la présence-absence du Kid. Cette déconnection se manifeste par un éclectisme radical qui contraste avec l’unité de ton d’un album comme Cupid. Mais le plus étonnant et le plus paradoxal, c’est que les écrits de Spicer (auxquels il faut ajouter les trois contributions d’Alferi : "Le Désert", "Riverrun" et "Memo"), hantés par les ombres, peuplés de coups de feu, de rivières tortueuses, de vieux journaux découpés, d’étendues sauvages, de peupliers caressés par la lune, ces textes plombés par la solitude, l’errance et la mort, sont portés par une musique souvent lumineuse, bourrée d’énergie et de grâce, expansive comme rarement chez Kat Onoma.

L’album s’ouvre par un échantillon de voix : "C’est la radio qui m’a appris la mort de Billy the Kid..." La mélodie couve, puis retentit glorieusement comme si le groupe avait mis de l’emphase dans le refrain de "The Animals", l’avait samplé et mis en boucle. Les cuivres et la batterie claquent tels des oriflammes au vent, la voix de Burger s’envole. Si Kat Onoma avait poursuivi la notoriété, il aurait pu tenir un hit avec "The Radio". A ceci près que, même triomphale sous ses dehors presque stadium rock, la musique se veut avant tout hypnotique, d’où cette répétition forcenée de la trame : toujours la volonté d’obséder plutôt que de faire danser... "The Radio" est la première composition de Poirier pour le groupe, ce n’est pas rien. La seconde s’intitule "The Poplars" et figure aux antipodes de la première, d’abord parce qu’elle clôt l’album, mais surtout par son style : complainte acoustique quasi parlée, aride, décharnée jusqu’à l’os avec sa poussière de jazz, elle laisse dans la bouche un goût amer et nous plante au beau milieu d’une nuit inquiète. Album éclectique : on l’a bien dit... Entre ces deux extrêmes sur la carte du disque, Kat Onoma prend la peine de nous bombarder de rock ferraillant dur : des riffs stoniens qui tonnent tels de joyeux coups de revolver ("The Gun"), sans oublier une cavalcade électrique qui n’aurait pas déparé le Loaded du Velvet ("Night way", traduite d’un chant traditionnel navajo exaltant l’immanence de la beauté).

Mais Kat Onoma ne vend pas son âme au diable, fût-il celui du rock transpirant : plusieurs titres creusent le sillon ouvert par l’équivoque Stock Phrases, car même rayonnante, la musique ne cesse de comploter... La belle mélodie de "Will you dance" s’écartèle entre émulsion de tendresse et menace sadique ("Billy wants you to dance/Billy/Will shot the heals off your shoes if you don’t dance"). "The Trap" et sa rivière sans méchanceté nous désaltèrent, mais ce morceau florissant, proche du "Ashbox" de Stock Phrases, porte des paroles où la mort joue à cache-cache avec la réalité. "Memo" et son collage de bouts de papier jouent, eux, à la surimpression, français sur anglais, velours sur allumettes, le tout glissant avec malice tel un chat matois. Dans le même registre mi-soyeux mi-granuleux mais franchement laid-back, "B. the K." lorgne du côté de J.J. Cale, du J.J. Cale mâtiné de soul et assaisonné d’une guitare bluesy cuite à point. On savait Kat Onoma inscrit dans la filiation des fifties et des sixties, mais jamais il ne se sera autant imprégné de la musique américaine afin de concocter ce road movie dans le Far West, sans pour autant se l’approprier avec violence, persistant dans sa démarche de stylisation, privilégiant la ligne pure au coloriage folklorique. Avouons que seule cette esthétique (cette éthique, aussi) peut donner naissance à d’étranges joyaux comme "Riverrun", rejeton spasmodique et mutant de la country fécondée par le free jazz, ou "Lady of Guadalupe", lente dérive de la musique mexicaine en pleurs vers les rivages glacés de l’Europe. Le puzzle ne serait pas complet sans "Le Désert", pièce cruciale qui annonce à elle seule les futures embardées de Rodolphe Burger et de son groupe : le goût pour les boucles sonores se matérialise enfin avec une boîte à rythmes que surplombe la batterie, et le chant en français acquiert sa liberté, un vrai style, Burger se risquant à scander les mots avec une distance froide qui n’est pas sans rappeler Gainsbourg. "Dans le désert/On parle sans parler/Les frontières sont floues/A cette distance qui peut nous reconnaître Billy ?". Le flou, l’étendue, le dérèglement des sens : ce titre pourrait faire songer à du Antonioni version rock...

Vrai-faux album concept, peut-être le plus direct et le plus accessible de Kat Onoma, Billy the Kid est l’oeuvre d’un groupe qui a gagné en assurance et en maîtrise, au point d’avoir créé cette musique en studio sans la nécessité de la roder préalablement sur scène. Au point également de réaliser un disque aux atours limpides mais qui laisse sa complexité poétique éclore doucement, ses paradoxes germer, sa part d’ombre s’étendre, et qui se bonifie d’écoute en écoute... comme tout grand millésime.

N.B. La réédition de l’album offre un remix de "The Radio" suivi, en ghost track (c’est le cas de le dire), d’une version acoustique aussi ombreuse que l’originale est solaire. Deux inédits viennent garnir la corbeille : "The Heart" est à "Private Eye" ce que "The Radio" est à "The Animals", c’est donc du tout bon ; "The Pain", quant à lui, dans la tradition de Cupid, délivre l’un des crescendos les plus dramatiques et les plus majestueux produits par le groupe. A vous donner des frissons...

Far from the pictures (1995)

(JPEG) Artificial Life / Idiotic / Video Chuck / La Chambre / Bingo / A Sad Tale / Reality Show / No Poem / Love Loop / Le Déluge (d’après moi) / Blue Velvet / John and Mary / Missing Shadow Blues / A Birthday

Trois ans après les éruptions flamboyantes de Billy the Kid, c’est cette fois dans les tréfonds du volcan que nous invite Kat Onoma. Le luminisme a cédé la place au ténébrisme, mais attention, un ténébrisme incandescent : Far from the pictures est un disque tellurique, gorgé à ras bord de lave en fusion, une caverne crépitant de mille lueurs. Ce cinquième album serait-il donc encore plus sombre que Cupid ? Peut-être, toujours est-il que la maturité du groupe, la fluidité et la cohésion de son jeu agissent comme un raz-de-marée et emportent l’adhésion immédiate. Car cet opus est surtout le plus ouvertement rock de la discographie "katonomienne", les guitares sales et plaintives s’y taillant la part du lion au détriment des cuivres, notamment de la trompette de Guy "Bix" Bickel qui se fait plutôt discrète. Plomb et plume à la fois, on pourrait qualifier un tel album de "zeppelinien", même s’il s’agirait de Led Zeppelin ambiant, hanté, embrumé. Toute surprenante qu’elle puisse paraître, la référence au Dirigeable de Jimmy Page n’est pas fortuite, car par trois fois le quintette alsacien fait allusion à "When the Levee breaks" (le dernier titre du quatrième album) : sa batterie est mise en loop pour la rythmique de "Reality Show", sa tonalité épique détournée au profit du "Déluge", enfin sa mélodie citée dans "Missing Shadow Blues". Les morceaux se contamineraient-ils entre eux ? Sans doute, car en plus d’une époustouflante cohérence malgré la coexistence de chansons dures et de ballades plombées, c’est cette impression de contiguïté, de tassement des chairs, de pression, qui saisit l’auditeur et fait la grandeur du disque. On y étouffe, mais avec jouissance...

"Artificial Life" ouvre le bal, et dès les premières secondes, on comprend que Kat Onoma n’est pas d’humeur à rire : cette ouverture martiale, plus qu’à l’épiphanie de "The Radio", fait écho aux sombres menaces de "Cupid". L’auditeur est prévenu : voilà un disque à très haut voltage. Même si Philippe Poirier a, par la suite, estimé que ce titre avait perdu toute sa puissance au mixage, sa force saute aux oreilles et n’est pas sans faire songer à Noir Désir, mais du Noir Désir assourdi, chanté par un Bertrand Cantat aristocratique. "Idiotic", dont le refrain a donné son nom à l’album, sonne lui presque grunge, avec ses rugissements de guitares crades émergeant d’un marécage de tension que brasse le roulement de la basse. "Far from the pictures..." On l’aura deviné, l’image et son pouvoir d’hypnose (souvent dangereux) sont au coeur du discours de Kat Onoma sur ce quatrième album. En témoignent brillamment "Video Chuck", où Pascal Benoit déroule un scintillant tapis de percussions, absolument sidérant de densité, ou encore "Reality Show", une chanson mécanique à la rythmique quasiment rap, qui dans sa volonté de décrire les perversions d’une société régie par l’image télévisuelle, acquiert une résonnance troublante à l’heure actuelle : "Prenez donc une petite coupe de ciguë/Dites-moi tout de vous/Est-ce qu’on ne se serait pas rencontré vous et moi, déjà, quelque part ?/Par hasard ?/Ça ne vous dit rien/Ça ne vous rappelle rien ?"En tout cas, ce genre de chanson nous rappelle que Kat Onoma préfère l’ironie hautaine et une forme d’allégorisme à la confrontation directe. "No Poem", d’une certaine manière, le confirme : "Do you hear the whistling breeze in your hear ?/(...)It is not a poem/It is just my voice." Sauf que là, l’ironie prend un tour carrément funèbre, la musique s’embourbant dans une noirceur plombée d’angoisse. Totalement à l’opposé, "Bingo" (première contribution littéraire d’Olivier Cadiot pour Kat Onoma) joue la carte de l’ironie fantaisiste : une des rares chansons vraiment déjantées du groupe, la plus humoristique aussi, voix trafiquée et rythmique country-funk déglinguée, elle préfigure les futures hallucinations soniques de "Family Dingo" sur le dernier album.

Disque à la tonalité sombre comme on l’a dit, Far from the pictures ne s’enlise cependant jamais dans les sables mouvants de la neurasthénie. Les seuls morceaux suffisamment lents pour engendrer un climat dépressif apparaissent plutôt comme de brefs intermèdes entre les combats : "A Sad Tale" et la reprise de "Blue Velvet", embellie par Burger à l’harmonium, s’éteignent au bout d’1mn30. Au contraire, un souffle épique anime certaines chansons ("Le Déluge", "John and Mary", "Missing Shadow Blues"). L’épique selon Kat Onoma ? Une emphase réfrénée, une ardeur belliqueuse dérivée, une raideur qui s’assouplit, bref, un cheval fougueux sévèrement maintenu en bride. En ce sens, "Le Déluge (d’après moi)" est épique, petit frère apocalyptique de "The Radio" au texte magistral : "Je partirai à l’heure/Où blêmit ma compagne/En larmes on s’appelle/Pourvu qu’on dessale/A l’eau mon amante tu ondules/Tu souris jaune, ma souris blanche/J’ai vu qu’il t’a plu des ions des yeux/Voilà que la science dépasse l’affliction." Epique, "John and Mary" l’est tout autant. Epique et... ironique, comme il se doit : sur un groove froid rehaussé par son piano wurlitzer, Rodolphe Burger se livre à un duo avec la troublante Rebecca Pauly, tous les deux commentant avec une distance affectée la passion de deux amants qui s’entretuent suite à une méprise. Quand romantisme tragique rime avec absurdité, on obtient un cocktail détonnant d’adrénaline, et l’un des morceaux les plus efficaces de la discographie des Strasbourgeois. Leur propre "Bonnie and Clyde", en quelque sorte...

Mais cet album ne serait pas aussi somptueux sans deux superbes ballades, les deux perles rayonnant au cœur du volcan. "La Chambre", d’abord. Comme s’il réalisait une peinture chinoise, le groupe trace la mélodie d’un trait aussi plein que léger, sans oublier de dessiner le vide et le silence tout autour. Rarement le minimalisme et l’ambiguïté auront fait aussi bon ménage, donnant naissance à un modèle de chanson intimiste, chanson d’automne en apesanteur entre la douceur et un érotisme voilé, abstrait. Le phrasé mi-parlé mi-chanté de Rodolphe Burger magnifie cette déambulation intérieure qui s’achève avec les soupirs mélancoliques de la trompette... "A Birthday", ensuite, sur un texte du poète Robert Creeley. Tout est parfait dans ce morceau à la magie ultime : la densité des entrelacs entre la guitare blessée de Burger (parfois cousine de celle de Neil Young) et les arpèges aquatiques de Poirier, la finesse des cymbales, la basse plus profonde que jamais, mais aussi les accents de tendresse perçant dans la voix du chanteur, qui a rarement été aussi chaude et émouvante. "A Birthday", c’est Kat Onoma au sommet de son art d’orfèvrerie, capable comme personne de mêler tristesse plombante et douceur céleste, de brasser désespoir et réconfort pour dérouler une tenture musicale qui envoûte l’auditeur. Un scintillement de beauté pure, un morceau indescriptible pour conclure un disque très très impressionnant...

Happy Birthday Public (1997)

(JPEG) CD1 : The Shape on the ground / Meow meow / Et cetera / Ashbox / Passe/donne / A Birthday / Missing Shadow Blues / Song / CD2 : Cupid / Cheval-Mouvement / Lady of Guadalupe / The Landscape / Riverrun / Le Désert / A Wind that hungers / No Poem / Radioactivity / Over you

Au cours de l’hiver 1996-1997, pour célébrer ses dix ans d’existence, le groupe donne une série de concerts dans deux petites salles parisiennes : le méconnu Garage, puis le Pigall’s. Concerts destinés à être enregistrés... "A la différence de beaucoup de disques live, celui-là est un réel désir du groupe et pas du label. Par exemple, on aurait pu faire paraître les bandes de l’Olympia mais on a préféré remettre tout à zéro et appréhender les chansons non pas en public mais avec le public : en clair, on joue différemment en présence des gens." (R. Burger) Kat Onoma n’est pas un groupe de jazz, mais ses membres en écoutent passionnément, Poirier et Bickel ont pratiqué le free, et l’élasticité propre à ce type de musique imprègne les prestations du quintette sur scène. Car si une bonne partie des musiciens de rock se contentent de polycopier leurs morceaux sans grande imagination pour ne pas dérouter leurs fans, les cinq Strasbourgeois n’hésitent guère à revisiter leur répertoire soir après soir, laissant leurs propres chansons respirer, courir au vent, se gonfler de sève au contact de l’assistance et de son souffle. Contrairement à tous ces albums live superflus, dont la seule raison d’exister est de faire sonner le tiroir-caisse, Happy Birthday Public atteste ce miracle qui se produit lorsque des artistes, des vrais, viennent à la rencontre de leur audience dans un lieu à dimension humaine : la musique vit, l’émotion ravit les sens de ceux qui écoutent et (cela se sent) de ceux qui jouent. En somme, voilà un disque généreux, sensible, totalement renversant, dont on ne ressort pas tout à fait indemne. La qualité des performances est en outre magnifiquement servie par une prise de son impeccable : pas besoin d’image, Kat Onoma s’immisce en toute intimité au creux de l’oreille et nous enveloppe pendant 1h30 dans une camisole de magie sonore...

Le premier disque, enregistré au Garage, arbore une tonalité plutôt acoustique et fait la part belle aux compositions de Rodolphe Burger pour son premier album solo, le très sobre Cheval-Mouvement paru en 1993. "The Shape on the ground", "Meow, meow", "Et cetera", "Passe/donne"... Les titres feutrés défilent dans leur nudité, chauds tels le corps d’une femme alanguie ; pour un peu, on confondrait Burger avec un Leonard Cohen apaisé. "Song", "en hommage à Wang-Wei" comme l’indiquent les notes de livret, pousse le dépouillement à l’extrême : une guitare tremblante, un saxo bleu, de la poésie chinoise, quelques syllabes de français, et c’est tout. Jamais on n’était allé aussi loin au bout de la nuit, pourtant la chaleur ne baisse pas d’un pouce. Le déchirement s’invite à table avec "A Birthday", dans une interprétation progressive qui ne souffre pas de la comparaison avec l’originale : après 3mn de recueillement acoustique, la rythmique vient porter la mélodie aux nues, puis une légère distorsion la fait crépiter. Mais le moment d’anthologie est à mettre au compte de "Missing Shadow Blues", "version club" : le groupe transfigure ce morceau sec de Far from the Pictures en le dilatant, en le posant sur la braise ; frissons garantis par cette dérive somnambule que les guitares et la trompette griffent d’éclairs fantasmagoriques...

Issue des concerts donnés au Pigall’s, la seconde galette est bourrée d’électricité en volutes, dans un style à mi-chemin entre la lave brûlante de l’album précédent et le raffinement ambigu de Stock Phrases. A l’image des arpèges de guitare de Philippe Poirier sur "Cupid" et sur le trottinant "Cheval-Mouvement" de Burger, arpèges cristallins au point d’évoquer un piano, Kat Onoma préfère faire rimer densité avec finesse plutôt qu’avec défoulement : "Dès le départ le groupe était dans une certaine retenue, sans surenchère systématique dans l’énergie. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne laisse jamais venir cette énergie, mais qu’on aime aussi la contenir, la dériver, jouer avec, plutôt que de se laisser complètement envahir par elle." (R. Burger, entretien avec le site L’Interdit, mai 2001) Cette maîtrise de la pâte sonore n’a probablement jamais été aussi parfaite que sur ce disque : en revisitant quelques titres de ses quatre albums, le quintette rhabille élégamment des chansons qui, en studio déjà, se distinguaient par une prestance hors du commun. Il se permet aussi le luxe de reprendre le Velvet (son méconnu "Over you") et Kraftwerk ("Radioactivity") avec une audace qui effraierait des groupes d’un moindre talent. Le premier est traité sur le mode badin, Pascal Benoit délaissant ses baguettes pour triturer une guitare et chanter de sa voix enjouée, joliment nasillarde. Quand on vous dit que Kat Onoma a de l’humour... Le second, lui, est LE morceau de bravoure du groupe : pendant près de 10mn, des vagues de radiations électriques affluent et refluent somptueusement, magnétique brassage entre l’abrasivité de Neil Young & Crazy Horse et l’onirisme sombre de Pink Floyd... Que dire de plus ? Happy Birthday Public, idéal résumé de dix ans d’activité artistique, l’un des meilleurs albums live que l’on puisse trouver et peut-être le plus beau disque de Kat Onoma, ne peut se réduire à quelques lignes. Reste à fermer les yeux et à écouter en silence, de préférence après les douze coups de minuit...

Kat Onoma (2001)

(JPEG) Intro / Que sera votre vie ? / Be Bop de beep / Family Dingo / Magic / Parade / Soirs de Sam / Ghosts drip / Old Trouble / Ballade mexicaine / Tragic Muse / La Scie électrique / Change Blues / bonus : Comme un bruit

Après quatre années de sommeil pour le collectif, mais pendant lesquelles chacun s’est livré à diverses activités, Kat Onoma revient dans les bacs avec un disque éponyme. Pour démarrer une nouvelle carrière, peut-être ? Hélas, cet album studio sera le dernier... Comme si Rodolphe Burger et ses amis en avaient la prescience, ils ont décidé de mettre le paquet, tout ce qu’ils ont dans le coeur et dans les tripes. Dans la tête, aussi. Car les expériences solo du leader l’ont enrichi : après la réussite artistique de Meteor Show, Burger est bien décidé à développer son goût pour l’électronique avec son groupe. Ambitieux, les cinq font appel au producteur anglais Ian Caple, célèbre pour avoir notamment travaillé avec Tricky, les Tindersticks ou Alain Bashung sur Fantaisie Militaire (auquel Burger et Cadiot ont contribué via "Samuel Hall"). Audacieux, le quintette accepte également la participation d’un quatuor à cordes (sous la direction de l’efficace Marie-Jeanne Serero) pour étoffer sa musique, et même celle du London Community Gospel Choir sur une poignée de titres. Toujours assoiffé de mots, il réunit plus de plumes que jamais : Alferi et Cadiot bien entendu, mais également Oscarine Bosquet, Laura Riding, John Estes et même le fantôme de Jack Spicer, de retour sur quatre titres. Une telle faim d’expérimentations aurait pu accoucher d’une mixture sonore indigeste, mais Kat Onoma possède un talent hors norme et Ian Caple est un producteur de génie. Résultat : un nouveau chef-d’oeuvre, extrêmement varié qui plus est. Entre la tristesse abyssale de "Magic", le délire névrotique de "Family Dingo", la libération euphorique de "Old Trouble" et la nonchalance lumineuse de "Change Blues", peu de points communs, si ce n’est la magie d’un groupe résolu à faire éclater les carcans...

"Que sera votre vie quand l’air sera liquide, l’eau solide, la terre feu ?" Bonne question. Si Kat Onoma ne peut y répondre, il peut en revanche nous envoyer en pleine figure un morceau dont la raideur mécanique, le grincement des guitares plaintives, le flux tragique des cordes et la gravité de l’incantation nous font devenir tout petits. Mais si l’on ploie sous ces promesses d’apocalypse, c’est surtout en raison du poids de la beauté, comme s’il s’agissait d’une puissante symphonie. Rien à voir avec la douceur de "Be Bop de beep" qui suit : le groupe reprend les ingrédients de "La Chambre", mais ici la mélancolie revêt des atours sereins. Si le soleil couchant savait sourire, il aurait probablement le visage de cette chanson... Le minimalisme nocturne de "La Chambre" fait encore des petits en la personne de "Magic" et de "Soirs de Sam". Toutefois, le spleen de la première se creuse d’angoisse : convié à ce dîner de mots et d’ossements, on y trouve Kat Onoma au fin fond du désespoir, ruminant de noires pensées ; voilà sans doute le morceau le plus triste de tout son répertoire, donc l’un des plus beaux. "Soirs de Sam" ne rallume pas le feu de la gaieté, loin s’en faut : on a beau errer dans les rues et les bars, esquisser des pas de danse avec un inconnu, il ne subsiste que des illusions et des fantômes. De fantômes il est encore question dans le sublime "Ghosts drip", une marche rock construite comme un boléro funèbre se déployant en une spirale majestueuse de guitares et de cordes, guidée par la trompette "davisienne" de Bicquel. Vous avez dit noirceur ? Vous n’avez encore rien vu : "La Scie électrique", qui porte si bien son nom, nous enferme dans une atmosphère viciée, suffocante, où les éclats de machines industrielles nous mettent à rude épreuve. "C’est une vrille pour percer tes tympans/Une mélodie pour charmer tes serpents/(...)Un tic-tac pour brouiller ton sommeil/C’est une herbe pour t’agacer le nez/Un filet de salive pour te prendre." Claustrophobes s’abstenir...

Mais tout n’est pas obscurité dans ce disque versicolore. Comme l’a expliqué Burger dans les colonnes du magazine publié par la Fnac, "On aime l’idée d’un défilement, d’un album qui s’écoute comme on regarde un film. Mais cette fois-ci, nous avons suivi la logique de chaque titre jusqu’au bout, sans se poser de problème de cohérence générale." Le disque donne donc lieu à de belles poussées de sève. A de magistraux coups de folie aussi... Le réjouissant "Family Dingo" permet au groupe de larguer les amarres vers les délires de l’électronique : les machines s’enrayent, un tourbillon sonique emporte les instruments et les mots fragmentés d’Olivier Cadiot : "Chez suivi de moi home maison de fou/House une famille dont tout le monde/Cerveau zéro cerveau zéro/Entrez coin-coin à table hello/A table hello..." Plus rien n’existe que l’hystérie et une joyeuse schizophrénie ; l’anglais, le français et les onomatopées se livrent à une course-poursuite effrénée. Kat Onoma a souvent maintenu la dérision en bride, mais là, l’humour acquiert une démesure toute baroque. Cet humour est beaucoup plus pondéré, mais pas moins corrosif, avec "Parade" : sur un funk esquinté, robotisé, le chanteur décrit une relation amoureuse comme "un contrat, un constat à l’amiable", comme un jeu de cache-cache vicieux où il faut bien passer par "quelques heures d’horreur" pour profiter d’"années nombreuses et heureuses". Finalement le message n’est pas si sombre... Une joie expansive règne même sur le boogie électro de "Old Trouble", à la fois rétro et futuriste, emporté vers le ciel par les choeurs gospel. Ou bien sur le rhythm’n’blues dansant de "Tragic Muse". Oui, il fait soleil ! L’auditeur a donc droit à une excursion exotique via la très jolie "Ballade mexicaine" de Philippe Poirier, reprenant les choses là où "Lady of Guadalupe" les avait laissées ; sauf que le deuil a laissé la place à une profonde méditation poétique à la Calexico. Pour conclure, "Change Blues" est une lumineuse invitation au renouvellement, chantée tour à tour par les membres du groupe et reprise par les chanteurs gospel, ceci sur un air country-folk gorgé de réverbérations : "Everybody/They ought to change some time/Because sooner or later/We have to go on our lonesome ground." Pour la première fois peut-être, l’auditeur semble convié amicalement à la table du groupe pour répéter le refrain avec lui. Il ne faut pas hésiter à changer, à évoluer, à partir dans l’inconnu : cela tombe bien, Kat Onoma l’a fait. Il peut donc nous dire au revoir...

Avec ce disque ultime, les Strasbourgeois ont fait le grand écart entre les styles, dressé le panel de toutes les émotions, brassé tous les courants de la musique qu’ils vénèrent. Mais sans jamais se renier ni sonner faux. Voilà donc bien un disque miraculeux, un bijou sonore qui, en termes de régénération et de désir aventureux, est à placer aux côtés du Kid A de Radiohead (même si, stylistiquement, le quintette alsacien est plutôt éloigné du combo oxfordien) ou du Des Visages des Figures de Noir Désir. Pas moins...

Live à la Chapelle (2002)

(JPEG) Petit Vagabond / Be Bop de beep / Cupid / Magic / Soirs de Sam / Old Trouble / Ballade mexicaine / Change Blues / Over you / Family Dingo / Radioactivity

Le second album live de Kat Onoma a été enregistré les 22 et 23 septembre 2001, mais pas n’importe où et dans n’importe quelles circonstances. Cette année-là en effet, le touche-à-tout Rodolphe Burger a lancé la création d’un festival pluri-artistique dans sa petite ville alsacienne d’origine, Sainte-Marie-aux-Mines : "C’est dans la Vallée". Aujourd’hui ce festival connaît un certain engouement et a coutume de proposer une programmation plutôt alléchante (en 2004 par exemple : Jeanne Balibar, Tindersticks, Herman Düne, Red, Fred Poulet ; en 2005 : Alain Bashung, Dominique A, Jacques Higelin...). Pour sa toute première édition, Kat Onoma se devait de figurer en tête d’affiche, évidemment, d’autant que le groupe venait de sortir de son silence avec un disque aussi surprenant que splendide. C’est donc dans la chapelle de Saint-Pierre-sur-L’Hâte, un antique bâtiment pas spécialement conçu pour des concerts de rock mais à l’acoustique idéale, que le quintette se livre devant un public réduit. Ambiance intimiste encore garantie, mais attention, Kat Onoma a beau jouer dans un monument religieux, il ne donne pas encore dans le registre de la musique gothique...

La set-list met fortement l’accent sur le dernier album, paru quelques mois auparavant. Le groupe s’est donc entouré d’un violoniste et d’un violoncelliste, sans oublier le fidèle Marco de Oliveira (le sixième membre de Kat Onoma, en quelque sorte) au séquenceur. Résultat : les musiciens parviennent très bien à adapter à la scène des morceaux que l’on pouvait croire prisonniers d’un processus d’élaboration en studio, cordes et électronique obligent. Au contraire même, ils apparaissent embellis et semblent gagner en puissance sans rien perdre de leur chatoiement. La maîtrise et le feeling du groupe, après quinze ans d’activité, n’y sont pas pour rien. On a donc, encore une fois, affaire à un pur moment de musique, à un spectacle époustouflant de densité et d’émotion, mais ce Live à la Chapelle s’avère moins essentiel que Happy Birthday Public pour différentes raisons. Lesquelles ? Primo, à l’opposé du double album de 1997 qui portait un regard pertinent sur dix ans de création, établissant une sorte de bilan artistique avant de passer à autre chose, son successeur s’inscrit dans une tournée destinée à promouvoir un nouvel album. La qualité des titres et des prestations n’est certes pas en cause (Kat Onoma n’a peut-être jamais joué avec une telle cohésion), mais l’impression de nouveauté est fatalement bien moindre. D’autant plus que, secundo, les deux reprises sont curieusement les mêmes : c’est dommage, car le groupe possède plusieurs cordes à son arc. On peut ainsi dire que ce disque est légèrement redondant par rapport à ses deux prédécesseurs...

Voilà pour les quelques réserves qu’il fallait honnêtement mentionner ; à part cela, l’auditeur ne va pas se plaindre, Kat Onoma reste Kat Onoma et ne peut pas décevoir. En une heure, il parvient toujours à nous offrir de jolies surprises qui justifient à elles seules l’acquisition de ce disque... "Petit Vagabond", par exemple, constitue une superbe ouverture : on ne pouvait rêver plus émouvante entrée en matière que ce morceau échappé du Meteor Show de Burger, mise en musique d’un poème de William Blake. "Dear mother, dear mother, the church is cold/But the alehouse is healthy and warm..." Si si, il fait également chaud dans la petite chapelle, grâce à cette voix grave et douce, à ces notes recueillies et à cet orgue de circonstance. Chaud, puis brûlant : l’air s’embrase au contact du classique "Cupid", joué de manière extrêmement intense et tendue, à la Far from the Pictures. Puisque les vénérables murs ont tenu le choc, le groupe en rajoute une couche en claquant un "Family Dingo" absolument décoiffant et jouissif, à la limite de la cacophonie free jazz. Quant au "Radioactivity" terminal, émergeant de cinq minutes de silence tel un monstre venu des abysses, il faut lui rendre justice : cette version 24 carats, tout en stridulantes volutes, réussit à surpasser par sa noire brillance celle de 1997, oui monsieur ! Après ça, pas la peine de continuer, tout est calciné...

Si Happy Birthday Public demeure le meilleur live de Kat Onoma, incontestablement, ce petit dernier n’en est pas moins une belle réussite de la part d’un groupe au faîte de son talent, mais qui s’apprête déjà à tirer sa révérence. Sa valeur testamentaire contribue à faire du Live à la Chapelle un objet précieux, tant pour les fans que pour les novices. On a déjà vu des testaments moins reluisants, pour sûr...

All the best from Kat Onoma (2004)

(JPEG) CD : Loves Story / La Chambre / The Animals / Que sera votre vie ? / The Radio / Cupid / John & Mary / Missing Shadow Blues / Idiotic / Lady of Guadalupe / Ballade mexicaine / Le Désert / The Gun / Le Déluge (d’après moi) / Video Chuck / The Poplars / Ghosts drip / Night way

En dix-huit ans d’une carrière assez peu commerciale, Kat Onoma n’avait jamais encore publié de best of. Il aura fallu attendre la dissolution du groupe pour l’obtenir... Justement, ce disque est conçu comme un véritable cadeau d’adieu de la part des Strasbourgeois : son titre est un jeu de mots sur le terme de compilation et sur la formule usuelle que l’on place à la fin d’une lettre pour adresser ses "meilleurs sentiments" à une personne chère. Et il faut avouer que le label Dernière Bande s’est montré particulièrement généreux : un CD propose un résumé des sept albums du groupe en 18 titres, dont l’inédit "Loves Story", et un DVD offre à l’amateur plus de 2h30 d’images souvent somptueuses, agrémentées de titres audio. Le grand luxe, en somme, et un véritable régal pour les yeux et les oreilles...

Que dire précisément sur le contenu du CD, dont les morceaux remastérisés ne sont pas classés chronologiquement ? Eh bien, on y retrouve des chansons inévitables : "Cupid", "The Animals", "The Radio", "La Chambre", "John & Mary", "Que sera votre vie ?", "Ballade mexicaine"... Comme on pouvait s’y attendre, l’accent est mis sur les albums studio de la période de maturité commençant en 1992 : les deux premiers opus n’offrent qu’un seul titre chacun, et la seule plage live est "Lady of Guadalupe", extraite de Happy Birthday Public. Néanmoins quelques surprises émergent çà et là : l’auditeur a plaisir à retrouver des morceaux comme "Video Chuck", "Le Déluge" ou le sublime "Ghosts drip", sans oublier que l’inédit "Loves Story", obsédant à souhait, affiche une bien belle prestance. Cette compilation serait-elle donc parfaite ? Non, hélas, comme chaque compilation d’ailleurs. Il manque des perles telles que le méconnu "Private Eye", "Magic" ou "Bee Bop de beep", et surtout (étrange omission : que s’est-il passé ?) "A Birthday", l’une des plus belles chansons du monde. Il s’agit peut-être d’un avis personnel, mais tout de même... A part cela, rien à redire, ce best of ravira les "onomaniaques" et envoûtera sans doute les néophytes qui, alors, ne manqueront pas de se plonger dans les albums originaux. Mission accomplie avec les honneurs : mention "bien".

Pour ce qui est du DVD, on peut parler de caverne d’Ali Baba, tant au niveau de la forme (présentation agréable, image de grande qualité, son impeccable) que du fond. Tout d’abord, ceux qui n’auront jamais pu voir le groupe en live peuvent se consoler avec onze morceaux extraits d’un de ses ultimes concerts, réalisé à Lyon en 2001. On savait Kat Onoma très classieux sur disque, mais là, on tutoie le sublime en voyant le quintette et ses acolytes magnifiquement soudés, délivrant une prestation d’autant plus intense qu’elle a été filmée avec beaucoup de sobriété. Les clips du groupe, classés chronologiquement, valent également le détours de par leur grande qualité esthétique, ce qui n’est pas surprenant quand on connaît la fascination d’un Burger ou d’un Poirier pour les arts visuels. Mention spéciale à Didier Kerbrat (pour "La Chambre" et "Que sera votre vie ?", co-réalisé avec Alferi) qui injecte à l’image une étonnante poésie de la couleur et des objets tel un Magritte post-moderne. Mention aussi pour Philippe Poirier : sur "Radioactivity", il brasse le ciel et les villes avec un sens du grain orageux qui n’est pas sans rappeler le Jarmusch de Year of the Horse, tandis que sur l’hilarant "Bingo", le groupe est perturbé par un énergumène qui tente par tous les moyens de l’empêcher de jouer correctement. Ce dernier clip est inédit, tout comme "La Scie électrique", œuvre du chanteur Fred Poulet. Inédit également, un florilège de vidéos en vrac, issues d’émissions télé ou filmées dans les coulisses ; attention, le dadaïsme de certaines scènes peut choquer les personnes croyant encore que Kat Onoma est un groupe austère. On aura deviné que ces images, tout comme l’inévitable diaporama concocté par Pascal Benoit, sont avant tout destinées aux fans hardcore... Beaucoup moins anecdotique par contre est le documentaire dont le DVD nous offre de larges extraits : Kat Onoma, comme son nom l’indique, réalisé par le guitariste-saxophoniste en 1996. Entretiens intimes avec les autres membres du quintette, scènes de répétition, images à la grande beauté plastique (Rodolphe Burger chantant "The Shape on the ground" en pleine nuit, environné de mille feux, le groupe déambulant, etc.)... Cet aperçu se suffit à lui-même, mais ne peut que donner envie de visionner le film en entier. Quant aux extras audio, que donnent-ils ? Réponse : ils sont diablement bons, et pas superflus pour un sou. On en retiendra d’émoustillantes décharges d’électricité (l’instrumental "No easy" et la reprise post-punk du "Love is all around" des Troggs), un "Pale Blue Eyes" d’anthologie (d’abord atmosphérique, puis s’élevant en crescendo) et une version anglaise de "La Chambre" (où le texte français est remplacé par celui de "Private Eye", scandé d’une voix très "cohenienne"). Là, oui, c’est fini, point trop n’en faut tout de même... Ce DVD est au final tellement généreux que (et ce n’est pas toujours le cas) l’on se surprend à vouloir le visionner plusieurs fois, à vouloir l’épuiser, comme si Kat Onoma avait encore des secrets à livrer. Et sa musique en regorge, pour sûr, même si la "Dernière Bande" a atteint le terme de son voyage...


Pour ceux qui voudraient être au courant de l’actualité de Rodolphe Burger, ne pas hésiter à aller sur le site du label Dernière Bande .

par Anthony Boile
Article mis en ligne le 17 mars 2005

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