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Entretien avec les responsables du site Imaginez.net

Une approche culturelle du jeu de rôle

Imaginez.net est un site consacré au jeu de rôle et au conte de fée. Ils proposent une approche construite du JdR, dont la vocation est de briser les a priori sur celui-ci pour le diffuser auprès d’un public qui par nature devrait être porté à l’apprécier.


Bonjour à vous, voudriez-vous présenter la vocation du site imaginez.net, ainsi que ses différentes déclinaisons proposées sur le site ?

Imaginez.net a pour vocation de présenter une image fidèle (donc attractive) de ce qu’est le jeu de rôle, tant à ceux qui l’ignorent qu’à ceux qui croient le connaître, de façon à lui permettre d’accéder enfin à la reconnaissance culturelle puis au succès économique qu’il mérite.

Plus largement, nous proposons de le resituer dans le contexte plus vaste de la culture populaire, en mettant en évidence sa filiation avec d’autres formes d’expression plus établies. Nous avons choisi de commencer par les contes de fées.

Et nous en dire un peu plus sur ceux qui oeuvre sur le site ?

Nos biographies individuelles sont disponibles en ligne sur Imaginez.net. Collectivement, nous sommes un groupe d’amis unis, entre autres, par notre intérêt prolongé pour le JdR, non seulement en tant que loisir mais aussi en tant qu’objet d’étude, ainsi que pour les différentes manifestations de la culture populaire.

Les trois auteurs ont chacun plus d’une vingtaine d’années de pratique au travers d’une très grande variété de JdR (près de 200), et tous ont abordé dès le départ le JdR selon une approche analytique et critique qu’on peut résumer en disant que, pour nous, s’amuser est une chose très sérieuse. Le directeur artistique, lui, n’est pas un expert du JdR, mais il a du talent.

(JPEG)

A titre personnel, qu’est-ce qui vous a conduit vers la construction de ce site ?

Un double constat. Tout d’abord, le point bas de la désagrégation du JdR en tant que phénomène communautaire. Ensuite, le décollage d’Internet en tant qu’outil de fédération de communautés.

Notre réflexion de fond est détaillée davantage sur notre site, mais pour faire court, les débats récurrents sur la mort du JdR sont stériles ; la vérité est que le JdR n’est jamais né. Formalisé par accident à partir des jeux de simulation des années 70, n’ayant jamais fait l’objet d’une réflexion sur ses objectifs, son utilité, sa spécificité, son marché (sauf récemment et avec une vision suicidairement court-termiste), il est toujours 30 ans plus tard un phénomène confidentiel, économiquement insignifiant, ignoré du grand public, voire rejeté, et notamment par des populations dont, étonnament, on pourrait attendre au contraire le soutien : comédiens, familles, journalistes, universitaires... A la fin des années 90, la conjonction notamment de cet amateurisme de fond, de la concurrence économique effrénée d’autres formes de loisir (qui résultent principalement d’erreurs de positionnement du JdR sur son marché), de la médiocrité de la plupart des produits publiés, d’un renouvellement démographique des populations de joueurs et d’un déchaînement médiatique ridicule (nourri de la cacophonie du discours des joueurs) a conduit à la fermeture de clubs et de boutiques, à la faillite d’éditeurs et de magazines, à l’émigration d’auteurs vers d’autres activités, à la désaffection des populations de joueurs les plus socialement et économiquement valables (historiquement, les ventes de JdR n’ont jamais été plus mauvaises qu’en 97-98)... bref à la fin d’un règne.

Or, il était devenu à l’époque d’une facilité désarmante et d’un coût dérisoire de formaliser et de diffuser des contenus à valeur ajoutée, notamment sur des sujets et dans des circuits de type communautaire, au travers des diverses applications d’internet : qu’on en juge non seulement par la fameuse "bulle internet" qui a enflammé à ce moment le monde économique, mais aussi par le foisonnement, à la même époque, d’initiatives en matière de JdR lancées par des acteurs neufs et par le truchement d’internet : le Guide du ROliste Galactique, la Convention des JdR Amateurs (émanation du forum Panda Pirate)... Nous avons donc dès l’automne 1999 décidé, non pas d’infléchir le mouvement, mais de lancer une refondation du JdR sur des bases saines : décrire son origine, sa richesse, ses errements... et préparer son futur, pour l’intérêt intellectuel de tous, pour redonner aux pratiquants, qui les ignorent bien souvent, leurs racines, pour faire connaître au grand public des réalités ni tendancieuses, ni approximatives, susceptibles d’attirer sinon sa participation, du moins sa bienveillance, bref pour donner au JdR sa vraie dimension de phénomène socio-culturel.

Pourquoi les contes de fées ?

Parce que c’est sans doute la forme de culture populaire la plus répandue dans nos sociétés depuis la faillite des grands référents politiques ou religieux, et parce que le JdR tire historiquement ses origines de courants populaires des années 60 et 70 (typiquement, Tolkien ou Star Wars) qui eux-mêmes plongent leurs racines dans les contes traditionnels, du fait justement de cette faillite. C’est donc une thématique à la fois universelle et "rôlistique", donc un excellent support à notre démarche d’universalisation du JdR.

Si je vous dit du conte de fée de Tolkien ?

Eh bien, c’est un essai majeur sur le sujet des contes, et l’une des sources d’inspiration de notre jeu Contes de Fées. Tolkien y revendique un retour à l’épique, au mythologique des légendes traditionnelles, en réaction à la mièvrerie artificielle et convenue du thème à l’époque victorienne, qui se faisait sentir dans son enfance. Convaincus que l’imaginaire s’accomode mal de boîtes étanches, nous avons maintenu dans Contes de Fées et dans les pages consacrées aux contes sur Imaginez.net les fées minuscules aux robes de pétales et aux antennes de scarabées qui donnaient la nausée à Tolkien dans son essai, aux côtés de ses seigneurs elfes nostalgiques et altiers. Mais il est clair que, qu’on souscrive ou non à sa vision, son exigence est un exemple pour les créateurs de l’imaginaire.

Votre site est à la fois axé sur le Jeu de Rôle et sur les Contes de Fées, pouvez-vous expliquer en quoi cette connection fait particulièrement sens ?

Notre but est, entre autres, d’amener le JdR à son public naturel : un public familial, cultivé, critique, doué d’une certaine maturité. Notre démarche est donc de proposer des ressources de qualité, agréablement présentées et gratuites sur les contes de fées, dont nous avons souligné plus haut les liens avec le JdR, puis d’entraîner le visiteur vers des pages qui déclinent cette thématique en JdR. Les retours d’expérience que nous recueillons confirment la pertinence de ce choix, puisque la réaction habituelle des connectés est de conclure que si c’est ça le JdR, alors c’est culturel, riche, amusant, inoffensif, intéressant, en un mot attractif.

On amène ainsi insensiblement le lecteur à prendre conscience de ce que s’il aime les contes pour de bonnes raisons, pas pour revendiquer une appartenance ethnique ou une mystique occulte, mais pour leur universalité, leur valeur de développement personnel par le divertissement, alors c’est que sans le savoir il est déjà fondamentalement un joueur de rôle. Il n’a plus, désormais, qu’à pratiquer, et si le temps ou l’inspiration lui manquent, du moins n’a-t-il pas de préventions erronées contre le JdR et pourra-t-il en dire du bien à ses interlocuteurs.

Vous proposez une démarche militante à travers les implications citoyennes que vous voyez pour le Jeu de Rôle, comment vous est-elle venue ? L’objectif est-il de trouver un nouvel angle de diffusion du Jeu de Rôle ?

On peut difficilement nous qualifier de militants ! Là encore, notre initiative d’applications citoyennes du JdR est venue de la conjonction de 2 facteurs. Tout d’abord le constat qu’un des éléments différenciants du JdR par rapport à tout autre loisir est sa capacité de développement personnel du joueur ; or ce point n’est pratiquement jamais mis en valeur par les éditeurs pour promouvoir leurs produits, et rarement utilisé pour rendre service.

Par ailleurs, le JdR souffre, hélas, de rumeurs malveillantes issues des Etats-Unis où certaines communautés sont par principe hostiles à l’imaginaire, relayées par des journalistes mal informés et trompés par l’emploi du terme "jeu de rôle" en psychologie dans un sens très différent (différence que nous expliquons dans notre définition du JdR). Il nous a donc semblé utile de formaliser enfin clairement les apports du JdR au-delà du simple divertissement, et de promouvoir le fait de tirer effectivement parti de ce potentiel, faisant ainsi un peu de bien autour de nous et ancrant dans les faits une "utilité publique" du JdR qui ne peut que mettre définitivement un terme aux rumeurs ahurissantes de nuisibilité du JdR. Il ne s’agit pourtant pas d’un canal de publication, le circuit caritatif n’étant par définition pas une cible économique, mais d’un axe de promotion. En outre, fidèles à notre crédo d’universalité du JdR, il nous semble naturel de ne pas priver enfants, illettrés, troisième âge, malades, détenus, etc. d’accès au JdR. Nous nous sommes attaqués à ce problème via le JdR pour tous, présenté au Festival International des Jeux de Cannes 2003 ; la dernière population que nous avons du mal à intégrer est celle des aveugles, mais nous y travaillons

Vous proposez un jeu de rôle gratuit appelé Contes de Fées, quel est son principe fondateur ?

Le constat (décidément...) que les contes de fées sont régis par une logique implicite spécifique : quand quelqu’un donne sa parole, au lieu de simplement la tenir ou la trahir, il s’efforce d’en respecter la lettre mais pas l’esprit ; le temps s’écoule différemment (parfois plus vite, parfois moins vite) entre le monde prosaïque et le monde féerique ; tout sortilège est assorti de conditions qui le lèvent ; toute métamorphose se trahit par des traits résiduels ; la réalité est temporaire et résulte de la volonté du maître des lieux... (JPEG) Or, et bien que les contes de fées participent d’un courant culturel qui irrigue entre autres le JdR, ce "feeling" n’a jamais été correctement rendu en JdR. Le défi que nous nous sommes proposé était donc de produire un corpus de principes aboutissant mécaniquement à ces phénomènes autrement inexplicables, et à traduire le tout en un système de jeu à la fois accessible à un non-pratiquant attiré par l’universalité du thème et à un joueur confirmé et exigeant en matière de cohérence, de richesse et de jouabilité. De ce fait, les mécanismes du jeu savent se faire discrets en cas de besoin, et innovent sur certains sujets de base : les personnages peuvent souffrir ou être mutilés, mais jamais mourir, l’expérience est rare et dépend d’une évaluation collective, le rôle de meneur peut être temporairement assumé par certains joueurs, l’espace est relatif, le temps ne s’écoule pas...

Dans votre démarche, ce jeu de rôle est-il plus l’aboutissement d’une réflexion sur le jeu de rôle, ou un vecteur de diffusion de vos idées et propositions ?

Nous n’avons pas cherché à révolutionner le JdR, seulement à produire un jeu indépendant, original, de qualité (illustrations en couleurs dont beaucoup d’originales), de façon à proposer au grand public un exemple de JdR complet mais accessible (ce n’est pas un "jeu d’initiation" qui prend son public pour des demeurés, et pas non plus un produit impénétrable pour qui n’a pas la "culture rôliste" ou n’est pas prêt à subir des heures d’exposé de background).

Apparemment, l’objectif est atteint, puisque le jeu remporte un succès certain, notamment auprès d’un public féminin, familial, enfantin ou débutant en JdR et qu’il est question qu’il soit intégré à un CD-ROM de présentation du JdR au public, à réaliser par la Fédération Française de JdR, à titre d’exemple de JdR complet à peu près réussi (et libre de droits !). Nous travaillons actuellement à une version minimaliste du jeu, spécifiquement ciblée sur un public familial ou très jeune, présentée et diffusée en-dehors des circuits du JdR traditionnel, de façon à amener au JdR une nouvelle génération issue de populations nouvelles. Le jeu a été présenté pour la première fois à la Convention des JdR Amateurs 2002, puis à diverses conventions franciliennes et à la plupart des événements de rencontre entre JdR et grand public : Festival International des Jeux de Cannes, Jeux en Fête à Boulogne Billancourt, Monde du Jeu, Salon des Jeux... Nous organisons régulièrement des parties de démonstration chez notre partenaire boutique FireBall, qui sont annoncées sur notre site et dans notre lettre d’information. Par ailleurs, le marché anglophone étant de très loin le principal marché du JdR même si le francophone est juste derrière, nous travaillons à une version anglaise de CdF. Nous avons d’ailleurs reçu des échos favorables sur CdF de pays non francophones.

Et si dès maintenant, vous vouliez tirer un bilan de votre action, quel serait-il ?

Très positif. Nos statistiques de fréquentation sont en constante augmentation. La quasi-totalité des commentaires spontanés qui nous sont adressés sont élogieux. Les commentaires lus ça et là sur les forums sont à 80% favorables ou enthousiastes.

Les personnes qui participent à nos fréquentes parties publiques de démonstration en repartent ravies (et reviennent !). Nous avons été site du mois avril 2003 (après 6 mois d’existence) de la Fédération Française de JdR. Des personnes extérieures organisent des parties publiques de Contes de Fées et commencent à nous soumettre du matériel original. Nous sommes sollicités spontanément par des éditeurs, certains avec des projets très ambitieux. Nous entretenons des relations cordiales avec la plus grande partie des acteurs du JdR francophone et quelques anglophones. Bref, pour 4 personnes qui travaillent par ailleurs et n’ont pas un sou de budget, on peut dire que les résultats sont inespérés par rapport aux moyens ! Il nous reste maintenant à relever le défi de la durée. Nos projets pour l’année en cours sont ambitieux. Ils ont été exposés lors de notre dernier dîner annuel de présentation des résultats et objectifs, disponible en téléchargement au format MS PowerPoint. Vous pouvez être tenus informés de l’avancement des chantiers en vous abonnant à notre lettre d’informations. Nous sommes d’ailleurs à la recherche de talents pour nous rejoindre et nous assister sur certains sujets.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 29 mai 2004 (réédition)
Publication originale 15 mars 2004

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