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Les Chroniques de la Guerre de Lodoss

Où il est question d’une fresque mise en mouvement

De puissantes sonneries retentissent ; tambours qui couvrent les éléments furieux. La guerre des dieux sévit, et sur l’écran défilent les fresques oubliées de temples en ruine. Dans ce fracas se révèlent les légendes des temps anciens, où se forma Lodoss l’île maudite. Le ton est dramatique, puissant, et soudain laisse place au corps majestueux d’un dragon qui s’élève au-dessus d’un château, tandis que chevauche au premier plan un jeune homme en armure, avec une belle elfe blonde en croupe. Le décor est planté, il s’agit de fantasy médiévale fantastique. Et au regard des dessins, on peut déjà la qualifier d’esthétique.


Et à ce prologue succèdent des OAV de fantasy très conventionnelle. Les qualités des Chroniques de la guerre de Lodoss ne sont pas l’innovation, la remise en cause ou le détournement. Non, il s’agit bel et bien d’un univers marqué par le sceau de Dongeon and Dragons de Gary Gygax. Cependant la grande force de la série, qui lui a permis de devenir un classique de l’animation, non seulement au Japon, mais aussi bien au-delà, vient du traitement absolument parfait du genre. Si Lodoss n’émoustille pas les neurones, il fait papillonner les yeux, et vibrer les sens du spectateur ; et c’est bien là ce qu’on demande à une oeuvre rattachée au courant héroïque de la fantasy.

Prologue à la légende...

Paraphrasant le titre de la première OAV, on s’aventure à repérer dans la matière de Lodoss, et d’ailleurs, les éléments qui ont servi à élaborer les Chroniques de la guerre de Lodoss.

(JPEG)(JPEG)La trame fut fournie par divers romans qui se déroulent dans l’univers de Lodoss. C’est du côté de la Dame de Falis [1] qu’il faut chercher la matière qui a servi à faire le prologue qui précède le générique de chaque OAV. Celui-ci est présenté dans son intégralité uniquement avant le premier épisode, puis avant chaque générique, sa dernière étape qui relate la bataille entre la déesse-mère Marfa, et la déesse des Ténèbres Kardis, dont l’issue donna naissance à l’île de Lodoss est reprise. La Dame de Falis présente également la cosmogonie et la théogonie du monde de Forseria. Le manga ultérieurement réalisé à partir du roman reprend également le principe du prologue, et ses premières pages sont dédiées à la matière de Forseria.

Cette présentation est remarquablement traitée dans les OAV, sous la forme de fresques sur la pierre et le marbre, aux couleurs sombres et denses. Cette gamme chromatique suscite un effet de distance et de confusion qui contribue à rejeter dans un lointain passé les évènements qui s’y sont déroulés. La voix du narrateur en fond rapelle celle du barde qui occupe les premières pages du manga La sorcière grise. Des jets de lumière crue animent ces marbres anciens, et donnent au prologue assez de mouvement pour donner vie aux images des fresques.

Cette présentation est accompagnée d’une musique dramatique, presque assénée, du meilleur effet. Le prologue parvient à présenter Lodoss comme un lieu naturellement en proie aux drames, et surtout à conduire le spectateur vers ce qu’il attend comme un point de rupture, où vont se dénouer les fils des légendes anciennes que vient de lui montrer le prologue.

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Le scénario des treize OAV est adapté des romans. A défaut de disposer de ceux-ci, il est possible de s’appuyer sur les mangas qui en furent également tirés. La série La sorcière grise est celle qui repose sur la même trame que les OAV, cependant on note des différences significatives entre les deux. Ces écarts se justifient à la fois à cause du besoin de donner à chaque OAV une certaine unité narrative, et de la nécessité de dramatiser quelques situations de l’OAV, pour donner à l’histoire une tonalité plus grave. La série d’OAV débute par un épisode qui interviendrait normalement en cinquième position, si l’ordre chronologique était respecté. Il présente le périple des héros entre le royaume de Valis et le repaire du sage Wort, afin d’apprendre quelle est la véritable nature de la sorcière Karla. Ce voyage au travers du royaume perdu des nains est l’occasion de montrer le groupe des héros, à la fois dans leurs petites discrodes, et dans leur grande harmonie au cours de deux combats : l’un contre des gargouilles, et l’aute contre un dragon qui sommeille au bout du tunnel. Sans doute, afin de lancer la série animée, les producteurs ont souhaité un épisode qui propose déjà des combats épiques entre des héros remarquables et des monstres puissants. Cette intuition se voit confirmée par la seconde OAV, qui prend la trame de La sorcière grise à son origine, avec l’attaque du village de Zaxon par les gobelins. Si les mêmes grandes étapes se retrouvent dans le manga et les OAV : attaque du village, traversée de la forêt abandonnée, ou encore attaque du carrosse de Fianna de Valis par Karla, les détails de la narration diffèrent. L’anime propose des situations bien plus hiératiques et figées que le manga, tout est fait au profit du spectaculaire, et au détriment de l’explication des logiques et des liens qui tissent l’univers de Lodoss. Ainsi l’épisode dans la cité d’Alania est remplacé par l’épisode du fort de Myse dans la troisième OAV, et à l’enquête autour de la ruine de l’université de magie, ainsi qu’au complot sur l’assassinat du roi, se trouve substitué une escarmouche contre un elfe noir, ainsi que l’attaque spectaculaire du fort. Les deux épisodes ont la même finalité : introduire l’attaque lancée par Marmo contre les royaumes de Lodoss. Dans le cadre du manga, c’est le complot qui est mis en avant, avec la présentation de la sinistre figure de Vagnard, sorcier aux ordres du roi de Marmo, Beld. L’anime, qui met en avant la figure de Parn, choisit de présenter le chevalier Ashram, commandant de l’avant-garde de Marmo, qui devient dès ce moment un guerrier dont Parn doit se venger.

L’anime privilégie l’aspect spectaculaire, ce qui passe par un double travail : graphique tout d’abord, avec l’utilisation de dessins très fouillés et une réalisation très particulière. Ces aspects, soulignés par une bande-son ad hoc confèrent aux chroniques de la guerre de Lodoss un hiératisme absent du manga La sorcière grise. Celui-ci est d’abord plus facile, et se caractérise par un dessin plus rond et moins bien léché. Cette différence souligne parfaitement le parti-pris héroïque et dramatique des OAV.

Une fresque....

(JPEG)En 1991, il est décidé de réaliser une série animée à partir de l’univers de Lodoss, et comme on l’a déjà mentionné, c’est la trame des romans qui va servir pour établir le scénario des Chroniques de la guerre de Lodoss. Celles-ci constituent le premier anime dans un univers médiéval-fantastique, et ont connu un grand retentissement. Le dessin est confié à Yûki Nobuteru, reconnu pour ses qualités d’illustrateur. Celui-ci va proposer un character design somptueux, extrêment fouillé. Les corps des dragons, ou encore les armures de plates intégrales des rois ou d’Ashram sont révélateurs de son travail méticuleux. Dans la perspective d’un anime médiéval-fantastique, ce choix s’avère payant. Ces dessins riches en traits et en couleurs donnent à Lodoss un aspect rigide et hiératique qui s’assortit parfaitement au genre. La complexité de ce dessin à causé des problèmes pour l’équipe d’animation. Au final, Lodoss multiplie les travellings sur les illustrations de Yûki, ce qui donne aux OAV une touche très particulière, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est guère fluide. Cependant cette originalité, qui sert parfaitement les dessins de Yûki, donne à la saga une patine attachante. Certains s’y montrent allergiques. Mais dans l’optique d’une oeuvre de fantasy très classique, en présence de cette lenteur calculée, quelque peu déconcertante, on peut considérer qu’il s’agit d’une vive réussite. On regrette malgré tout certaines scènes de combat répétitives, qui enchaînent les mêmes mouvements à plusieurs reprises, et l’incapacité de l’équipe qui travailla sur Lodoss à donner de l’ampleur et de l’espace aux combats de masse. Les plans les plus ratés dans ce domaine sont ceux où l’avant-garde d’Ashram se rue dans la plaine pour combattre l’armée de Fawn, ou encore la bataille qui suit.

(JPEG)Ces faiblesses ne retirent rien au travail somptueux de Yûki, qui fascine toujours toute une génération d’amoureux des paysages de Lodoss tels qu’il leur a donné chair. Il s’inspire des peintres de la Renaissance, mais aussi de l’Art nouveau. Ce dernier se retrouve tout particulièrement dans le générique de fin, composé de plusieurs icônes où cette influence se fait sentir. Celle de la Renaissance est perceptible dans les costumes, en particulier ceux des soldats d’Alania. Cette influence historique se retrouve dans le choix d’armures de demi-plates pour équiper les soldats de Valis et Parn. On retrouvera d’ailleurs l’influence du dessin de Yûki dans des oeuvres de fantasy ultérieures : pour exemples l’armure de Parn qui influence celle de Leo de Scrapped Princess, ou encore l’armure d’Ashram qui préfigure l’armure noire que revêt Gatts dans le tome 26 de Berserk.

Les musiques, signées Hagita Mituso, portent idéalement cet univers pétri de clichés. Elles alternent les lyriques, et les rythmes plus saccadées, destinés à rendre le chaos des batailles et des scènes d’action. Leur composition est le digne parallèle de l’univers, ainsi que du dessin de Lodoss : classiques et belles, sans aspirer à révolutionner ou à provoquer quelque chose, elles remplissent parfaitement leur rôle esthétique. Ainsi, dans les trois grands aspects de l’anime, scénario, dessin et musiques, la concordance est parfaite : classissisme et beauté formelle sont de mise.

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La matière légendaire

Ces formes introduisent un fond qui reste tout aussi classique. La manière dont la tonalité originale de la Sorcière grise a été retravaillée pour donner les Chroniques de la guerre de Lodoss est significative de cette tendance. Parn est dans le deux cas le héros. Mais cette dimension se trouve bien plus accentuée dans les Chroniques. Il est beaucoup plus timide, et il évolue progressivement de guerrier inexpérimenté et maladroit, en un chevalier capable d’affronter un soldat du calibre d’Ashram. Dans la sorcière grise, au contraire, il impressionne d’entrée Deedlit par son talent. Il est un jeune premier bravache et généreux.

(JPEG)Cette évolution souligne aussi la différence du public visé : les OAV s’adressent à un public d’adolescents plus âgés, sensibles aux thèmes poétiques, à la beauté graphique des dessins et prêts à se laisser porter par la rêverie plus que par l’action. Celle-ci domine en effet le manga, plus focalisé sur les personnages et leurs évolutions que sur l’univers qui se déploie autour d’eux. D’autre part, le support animé, en couleur et soutenu par le mouvement et la musique permet de choisir une orientation fondée sur la contemplation et la mise en valeur de l’univers, ou de l’esthétisme des personnages. Confinés au noir et blanc et au seul mouvement de la page, le manga repose lui sur l’action. Alors que d’une certaine manière, on peut dire que la Sorcière grise est un shônen, les OAV ne le sont pas véritablement. Si on retrouve la progression du héros, sur le mode du parcours d’apprentissage de la vie de chevalier, il semble plus être un rouage d’une histoire en marche. La focalisation narrative n’hésite pas à se détacher de lui dans les moments importants, par exemple lors du duel entre Fawn et Beld.

Ce travail sur la matière de Lodoss tend à rapprocher l’animé de la culture occidentale, où l’univers est l’acteur primordial de la fantasy classique telle que l’a révélé Tolkien. En cela, les Chroniques de la guerre de Lodoss vont sembler terriblement proches de la fantasy européenne, mais sans doute d’autant plus éloignées de ce que le Japon pouvait connaître de la fantasy. Il suffit en effet de regarder les différents manga qui se déroulent sur Lodoss pour constater que ce sont les trajectoires des héros qui emportent tout l’intérêt de la narration. Celle-ci y fonctionne sur un mode exclusivement rôlisitique, en particulier au début de la Sorcière grise. A l’inverse, les OAV choisissent de montrer la marche de l’histoire et du destin. Parn n’est qu’un fétu, un pion pour reprendre les mots de Karla. Celle-ci, qui est sans nul doute la personnalité la plus remarquable et complexe de cette fresque, cherche d’ailleurs à influer sur les lois de l’histoire, et non sur les évènements immédiats. Sa vision est hors de portée de Parn, qui reste contingenté par l’immédiateté de ses perceptions.

Une oeuvre japonaise ?

(JPEG)Alors on pourrait se prendre à douter, et comme d’aucuns qualifient Berserk d’occidental parce qu’il met en scène une "guerre de cent ans" remplie de chevaliers, bandes de mercenaires et châteaux forts, on pourrait penser que Lodoss est une oeuvre plus occidentale que japonaise. Ce qu’on vient de relever au plan de la focalisation narrative incite d’ailleurs à envisager les choses dans ce sens.

D’ailleurs, si l’on revient sur les influences graphiques de Yûki, il ne faut pas s’étonner puisqu’il est profondément marqué par des formes occidentales. Mais la réalité des chroniques de la guerre de Lodoss est plus complexe que cela. Le graphisme des armures, celle de Parn par exemple, n’est absolument par réaliste. Si les soldats d’Alania ont tout de piquiers de la Renaissance, les chevaliers en plates subissent l’influence du style graphique nippon. On peut également mentionner le dessin de Deedlit, ainsi que celui des autres elfes, présente des oreilles très allongées (semblables celles d’un lapin, mais à l’horizontale) différentes des traditionnelles oreilles pointues dont Dongeons and Dragons a souhaité attifer ses elfes (et qu’un certain réalisateur australien a cru bon de transposer, avec un mauvais goût certain, dans un film inspiré du Seigneur des Anneaux). Ce n’est ici pas un choix de Yûki, puisque le graphisme de la Deedlit des illustrations qui accompagnent les romans lui a été vraisemblablement imposé. D’ailleurs, le décalage entre ces oreilles oblongues, presques comiques, et la tournure sérieuse des OAV a sans doute posé un problème, et on doit savoir gré au dessin de Yûki d’intégrer relativement bien ce paramètre difficile, jusqu’à donner à Deedlit et à Pirotess un charme tout particulier, et ce, malgré leurs oreilles.

Certaines scènes sont également très japonaises : la manière dont Parn, armé des deux épées légendaires, plonge pour affronter l’aura de Kardis alors que le monde menace de sombrer dans l’apocalypse, le tout sur fond d’une chanson à la voix claire, qui exhalte le réveil du héros, n’est pas sans rappeler certaines scènes shônen des plus classiques. On pense en particulier à Saint Seiya, quand le héros privé de tous ses sens trouve encore le moyen de se relever pour sauver Athéna. On peut aussi souligner que, dans l’un et l’autre cas, la tradition chevaleresque de l’amour courtois n’est pas absente. Cette mise en évidente d’un va et vient entre des thématiques purement occidentales, empruntées aux matières médiévales par le truchement de la fantasy, s’intègrent donc à merveille dans des scènes qui semblent pourtant très japonaises.

(JPEG)Le succès de Lodoss, premier animé médiéval-fantasique - faut-il le rappeler ? - au Japon peut s’expliquer par cette "occidentalité" très poussée des thèmes abordés. Pourtant ceux-ci sont mélangés à des images, ou des traitements très japonais, ce qui fait que Lodoss n’est pas non plus une oeuvre étrangère à sa contrée d’origine. Le grand succès de la série, pourtant assez convenue dans ses thèmes, tient sans doute à ce que cette rencontre s’opère sur le mode de la fusion, et non pas de la simple juxtaposition.

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par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 25 novembre 2004

[1] Le premier tome de la dame de Falis a été publié il y a un moment par Delcourt. Kaze a prévu de ressortir la série en janvier 2005.


 Auteur : Ryô Mizuno
 Réalisation : Akinori Nagao
 Scénario : Akinori Endô
 Character design : Nobuteru Yûki
 Décors : Hidetoshi Kaneko
 Musique : Mitsuo Hagita

 Studio : Mad House / TBS (1990 - 1991)
 Editeur France : Kaze
 Format : OAV
 Durée : 13 OAV de 25 minutes

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