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Star Wars, le jeu de rôle

Du dé 6 faces au dé 20 faces, quel système pour quel univers ?

Dans une galaxie pas si éloignée de nous, une révolution est survenue à la fin de l’année 2003 : Star Wars, jeu lié au dé à six faces (D6) par l’imaginaire de la communauté rôliste, est entré dans la norme de plus en plus envahissante du Système D20, l’avatar des magiciens de la côte (Wizzards of the coast, éditeur de Donjons et Dragons) qui tend à imposer son hégémonie sur le monde du jeu de rôle. Laboratoire d’examen privilégié de cette transition, Star Wars donne l’occasion d’esquisser un point sur ce glissement, sur ce qu’il apporte et retire à cet univers, et surtout sur ce qu’il révèle au niveau structurel.


Le choc des films, le business des produits dérivés

(JPEG)À partir de 1977, un choc secoue le monde du cinéma d’entertainment : c’est l’évènement Star Wars qui monte en images le Space Opéra avec audace et talent. Le film déborde vite des salles, et devient un phénomène de société. George Lucas, qui a supporté tous les risques de ce projet auquel il croyait de tout son coeur, est également un homme d’affaires avisé. Il ne se prive donc pas de décliner sa licence sur tous les supports : jouets, déguisements, posters, et goodies décoratifs vont durablement s’implanter dans les devantures des magasins de jouets et autres boutiques de farces et attrapes. Star Wars est déjà un classique, une référence incontournable, qui se déclinera également sous la forme de livres de commande (le premier de la main même de Lucas, puis les autres par des écrivains de SF plus ou moins réputés, parmi lesquels Thimoty Zahn ou Kenvin J. Anderson), et de jeux vidéos (shoot them up, ou RPG divers : Rogue Squadron, Star Wars sur Nes, Super Star Wars sur Super Nes, Jedi Knights etc. La licence est assurément juteuse !).

Un JdR qui arrive à contre-temps (1988)

Le Jeu de rôle arrive tardivement, en 1988. La licence Star Wars est naturellement toujours porteuse, mais on est dans le creux du phénomène, puisque pas moins de 11 ans après la sortie du premier opus, et encore à quelque distance de la ressortie en salles, avec un son remasterisé, de la première trilogie enrichie de quelques scènes.

(JPEG)En France, c’est Descartes Edition qui s’est chargé de traduire et de diffuser le jeu. Celui-ci repose sur un système d’une grande simplicité, et s’appuie sur l’utilisation unique de dés à 6 faces (D6) que l’on appelle Système D6. Les actions se voient attribuer un facteur de difficulté, et le joueur doit réaliser avec des D6 (dont le nombre varie en fonction de la compétence de son personnage) un score supérieur au facteur. Simple, efficace, et suffisemment varié pour permettre de couvrir toute la gamme des actions possibles dans l’univers, riche et étendu, de Star Wars. Les jedi sont bien présents, mais comme l’ordre a été décimé par Darth Vader, leurs pouvoirs de départ sont minimes, et bien délicats à augmenter. La gamme de personnages disponibles est infinie, allant de l’androïde spécialisé à l’extra-terrestre le plus farfelu que puisse inventer le joueur. Cependant, une gamme d’archétypes oriente le plus souvent le choix du joueur.

En effet, Star Wars n’est pas conçu pour être un jeu aux protagonistes au psychisme torturé. Les indications du livre de base sont claires : privilégier les débuts d’aventures in méidas res, les scènes d’action, les poursuites, les rencontres truculentes. Trois scènes de la première trilogie résument à elles seules l’esprit du jeu : la discussion entre Han Solo et Greeda dans la cantina, la poursuite dans le Faucon Millenium au travers du champ d’astéroïdes, ou encore la bataille entre les troupes de choc et les ewoks sur la lune d’Endor. Il faut des atmosphères truculentes, de l’action halletante où se marient sérieux de l’enjeu et humour de la mise en oeuvre.

Le jeu fait la part belle à ces actions spectaculaires, grâce justement à ses règles souples, qui permettent une résolution rapide des actions, ainsi que la multiplications de plusieurs d’entre elles de manière rapprochées. Il est facilement possible de mettre en place des phases d’action d’une grande densité. La relative difficulté d’être tué sur un simple coup de blaster, pour irréaliste qu’elle soit, incite les joueurs à l’héroïsme et va donc dans le sens d’une partie fondée sur l’action pas toujours réfléchie.

Ensuite, est-ce l’influence des films sur les esprits des joueurs, ou les éléments contextuels de la culture de la galaxie ? Toujours est-il qu’il est aisé de développer des mouvements de roleplay [1] efficaces et truculents à Star Wars. Ce jeu est une référence pour de nombreux débutants, non seulement parce qu’il présente un univers de référence largement répandu, mais encore parce que son principe, au-delà des règles, est aisé à assimiler pour le néophyte. L’utilisation du D6 achevant par ailleurs de le rassurer !

Il n’en demeure pas moins, et il faut insister sur ce point, que pour simple qu’il soit dans son concept, Star Wars est un jeu riche de possibilités d’évolution. Les joueurs chevronnés continuent de l’utiliser, car le système D6 leur permet de résoudre des situations plus fines et complexes que celles d’une partie uniquement fondée sur l’action. Bref, à la fois simple d’approche, et attractif dans le temps, le système D6 avait contribué à faire de Star Wars un jeu de référence dans l’univers des rôlistes, au moins pour la France.

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Les temps ont changé

Star Wars D6 fut développé au travers de nombreux suppléments, recherchés non seulement par les rôlistes, mais également par les fans de l’univers Star Wars sur lequel ils délivraient de nombreuses et précieuses informations (de la hiérarchie administrative impériale aux tactiques de combats les plus secrètes de l’Alliance rebelle, dans le Guide Impérial et le Guide de l’Alliance, pour ne citer que ces deux ouvrages incontournables.) Naturellement, plusieurs éditions du système de règles se succèdèrent [2]. Mais tous respectaient les principes initiaux du jeu : ergonomie des règles à un univers héroïque, la part belle à l’action et à un roleplay haut en couleurs, et une grande facilité pour se familiariser aux principes et à l’atmosphère du jeu.

En 2000, l’Univers Star Wars connaissait un nouvel élan, ou plus exactement une révolution. L’épisode I : La menace fantôme débarquait sur les écrans. Celui que d’aucuns appelèrent par déception L’épisode fantôme, tant ils n’y retrouvaient pas la saveur si particulière de la première trilogie, affirmait un univers sensiblement différent de ses aînés de la fin des années 70. Le lifting en matière d’effets spéciaux était évident, mais ce n’est pas tout. Le film balaye ses segments d’univers plus large, tente d’embrasser des complots politiques plus vaste que la manichéenne opposition entre l’Alliance et l’Empire, et donne aux jedi une place aux premières loges de la géopolitique galactique. La Force, fondement de l’Univers, perd sa dimenssion mystique et est ramenée à une substance qui se trouve dans le sang des "élus", elle n’est plus un don, elle est génétique. Les enthousiastes de ce nouvel univers diront que c’est simplement la rationnalisation du principe original, les déçus rétorquent que la présentation suffit à changer toute l’atmosphère et l’esprit du Star Wars d’origine.

La grosse machine Lucasfilm et Wizzards of the Coast

Une chose est sûre, ce nouvel épisode est un produit déclinable de première force : le jeu vidéo de la course de Speeders est en vente dès avant la sortie du film en France ! Et il est suivi d’une autre licence, qui porte sur le scénario global du film, ainsi que d’une interminable ribambelle de produits de toutes sortes. L’univers Star Wars se vend de nouveau très très bien. Alors qu’un second opus, Star Wars II, la guerre des clônes, est sorti en 2002, le Jeu de Rôle s’enrichit également d’une nouvelle édition. Lucasfilm utilise pour celle-ci le Système D20, bien connu pour être celui qui régit le jeu D&D, qui a donc fait ses preuves surtout en matières d’univers héroïques. Ce système s’appuie, à la différence de celui du D6, sur une progression par niveaux, et par une structures par classes de personnages, certes souple, mais toutefois plus contraignante que celle de Star Wars, qui, si elle attribue des professions, est en réalité totalement modelable au gré des envies du joueur.

(JPEG)Le système, de ce fait, perd un de ses avantages majeurs : sa grande accessibilité, puisqu’il utilise un dé moins courant que celui à six faces, et requière la maîtrise d’un système plus technique et long à dominer que celui du D6. D’autre part, alors que le système D6 permettait de faire harmonieusement cohabiter des personnages aux niveaux d’expériences variés, le cadre du système D20 ne le permet plus en raison de l’utilisation des niveaux : la puissance des personnages devient un élément majeur de la gestion du groupe, parasitant ainsi inévitablement le roleplay. Mais le principal reproche qui lui est fait est d’adopter le Système D20 qui prolifère sur la planète jeu de rôle [3], et est importé peu à peu dans la plupart des univers. Cet impérialisme Wizzards of the Coast déplaît à toute une frange de rôlistes amateurs du principe d’un système conçu pour un univers, et peu friands des GURPS [4]. Le Système D20 énerve d’autant plus qu’il a derrière lui l’ombre de D&D et de la grosse machine qu’est Wizzards of the Coast, et donc peut s’avérer aussi mal vu dans certaines communautés rôlistes que l’est une multinationale américaine en Iran.

Han Solo contre Hollywood : nostalgie contre puissance

Le Star Wars D6 est à l’image d’Han Solo, sympathique, ergonomique, réactif, mais hautement perfectible par certains aspects. On le sait imparfait, mais il est charismatique, attachant, et l’univers et le système s’étaient cordialement liés dans l’esprit des joueurs. Comme la première trilogie, le jeu Star Wars D6 peut ressembler à un jeu certes novateur, mais kitsch par bien des aspects : les dommages infligés par un blaster sont inférieurs à ceux d’un coup de poing de wookie par exemple... Tout comme Han Solo n’a pas d’équivalent dans la nouvelle trilogie, alors que les autres archétypes y sont allègrement reproduits (Le maître jedi, son disciple, la princesse, le bouffon, etc.), le nouveau jeu comporte des règles plus élaborées, mais il n’a pas ce côté "bricolé" du Star Wars D6.

Celui-ci s’était d’ailleurs détaché en partie de l’univers du film pour enrichir celui du jeu, tout en conservant cet esprit dynamique dans un cadre Space Opera. Cela pouvait se manifester jusque dans les couvertures des suppléments. Il est décalé par rapport aux impératifs de la nouvelle licence du jeu.

(JPEG)Le Star Wars du XXIe siècle est celui des effets spéciaux, de la commercialisation simultanée à la diffusion, et du positionnement en tête de tous les indicateurs de popularité et de rentabilité. Rien d’étonnant à ce qu’il s’associe au système de jeu le plus puissant du marché, emblématique du rôlisme, puisque celui de la licence D&D. Les livres sont en papier glacé, avec de nombreuses photos tirées du film, qui revendiquent avec force leur aspect de produits dérivés. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec le jeu du Seigneur des Anneaux, édité directement autour de l’univers du film, dont la principale utilité est de pouvoir s’intégrer dans l’univers limité de celui-ci. Il n’a pas l’envergure qu’avait, en son temps, JRTM, certes bien éloigné de l’ambiance des Terres du Milieu, mais qui développait sa propre cohérence et ses propres standards. D’ailleurs, les premiers suppléments du Star Wars D20 furent d’une qualité très moyenne, comme s’il s’agissait avant tout de sortir des produits dérivés des films, avant de s’améliorer quelque peu par la suite.

L’arrivée de Stars Wars D20 est donc un signe d’évolution des temps, et de la prégnance du marketing. Qui ne sera peut-être, par ailleurs, pas inutile à la diffusion de la pratique du jeu de rôle. Mais il est difficile de percevoir l’avenir, car toujours en mouvement il est...

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par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 10 juin 2005 (réédition)
Publication originale 24 janvier 2004

[1] le roleplay désigné la manière dont le joueur interprête son personnage

[2] cet article repose sur des références liées à la première édition de Star Wars D6

[3] voir l’article du rôliste galactique indiqué à la fin du présent texte à ce propos.

[4] Système de jeu universel importable dans n’importe quel univers

Sur l’Internet

- Un site où il est possible de jouer à Star Wars D6 avec l’autorisation de Descartes éditions.

- le guide du rôliste galactique, un article pour mieux comprendre le D20 system et sa place dans le monde du jeu de rôle.

- La page consacrée à Star Wars sur le guide du rôliste galactique.

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