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Dernières nouvelles de Mataderos

Une tétralogie mise en scène par Matthias Langhoff

Voilà près de cinq minutes que les rideaux du Théâtre des Amandiers se sont ouverts et quelques spectateurs quittent déjà la salle. Il faut dire que L’Enfant prolétaire, le premier des trois textes composant les Dernières nouvelles de Mataderos vous prend aux tripes.


Dans un monologue d’une dizaine de minutes nous est décrit de façon crue et cruelle le viol et l’assassinat d’un fils d’ouvrier par trois jeunes bourgeois. La violence du texte est relayée par la représentation filmée en surimpression sur la scène de l’air de la folie issu de l’opéra Lucia de Lamermoor. La superposition des deux médias entourés d’un cadre rouge sang produit sur le spectateur un étrange mélange d’admiration et de dégoût, comme si la beauté et la folie du chant et de la langue transcendaient à la fois sa cruauté et sa froide monotonie.

Par ce processus de surimpression d’une image filmée sur une scène de théâtre, le metteur en scène, Matthias Langhoff, semble aider l’auteur, Osvaldo Lamborghini, à faire ce que Baudelaire se proposait d’accomplir dans ses Fleurs du mal : extraire « la beauté du mal ». Comme à la lecture de Baudelaire ou des Chants de Maldoror de Lautréamont, le spectateur sera tenté de fuir ce morbide gratuit qu’on lui impose. Il sera bien avisé de n’en rien faire. Car les deux autres pièces qui composent le triptyque, sans être aussi violentes, n’en sont pas moins intrigantes.

Il y a d’abord Borges de Rodrigo Garcia, ou l’histoire d’un boucher littéraire (qui n’est autre que l’auteur) entretenant avec le maître une relation passionnée d’amour et de haine. D’amour car le « vieux » comme il l’appelle, le fascine, mais de haine car celui-ci se compromet avec les classes dirigeantes et ne dénonce pas le régime : « un aveugle ça n’écrit pas sur la réalité... », évidemment.

Et puis le projet argentin se termine sur Muñequita ou jurons de mourir avec gloire d’Alejandro Tantanian, qui est à la fois une fable de fantômes convoqués par l’histoire argentine et un hommage à double tranchant pour la fascinante Eva Peron, porte parole fardée des masses prolétaires.

Sans lien apparent, les trois œuvres formant les Dernières Nouvelles de Mataderos (les abattoirs en espagnol, référence au livre d’Esteban Etchevaria, classique de la littérature argentine) sont qualifiées de chantier. En vérité, les deux maîtres d’œuvre, Mathias Langhoff, metteur en scène d’origine allemande et Marcial Di Fonzo Bo, acteur né à Buenos Aires, entendent faire de ce spectacle « l’expérimentation d’un nouveau fonctionnement dans la production et la réalisation ». Ils souhaitent ainsi « laisser place à l’improviste ».

Pourtant, ni le jeu de l’acteur argentin, tantôt grave, guilleret au déjanté, ni la scénographie de son ami Langhoff ne sont laissés au hasard : Décors d’une boucherie aux instruments démesurés et aux machines sans conscience, images filmées ressassant les pages sombres de l’histoire argentine et des animaux qu’on mène à l’abattoir, chansons sanglantes et héroïques, autant de références, de clins d’oeils et d’indices qui se font échos au long de la soirée pour tenter d’esquisser une page douloureuse de l’histoire argentine, du populisme de Peron aux soucis cardiaques de Maradona.

La matière est riche, complexe. L’on s’y perd un peu, l’on y découvre beaucoup, pourvu qu’on ait pris soin de lire à l’avance le petit fascicule jaune qui nous est distribué. L’on comprend alors l’obsession de l’Argentine pour ses morts, ces cercueils venus de l’étranger et transportant des histoires tragiques. Et comme ce boucher qui mange des restes de viande en pensant s’empoisonner, l’on se dit que l’Argentine des généraux et des massacres est bien lourde à digérer.

par Xavier
Article mis en ligne le 6 juin 2004

Informations pratiques :
- pièce : Dernières nouvelles de Mataderos
- auteur : Osvaldo Lamborghini
- metteur en scène : Mathias Lanhhoff
- dates : du 20 mai au 13 juin 2004
- lieu : THÉÂTRE NANTERRE-AMANDIERS 7 av. Pablo-Picasso 92022 Nanterre Cedex
- renseignements : e-mail th@amandiers.com ; location : 01 46 14 70 00 ; administration : 01 46 14 70 70

À noter les créations à venir et incorporées dans le chantier argentin :

* Masse de Javier Daulte

* Un moment argentin de Rafael Spregelburd

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