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Les figures silencieuses de Rineke Dijkstra

Exposition à la Galerie du Jeu de Paume à Paris jusqu’au 20 février 2005.

Jusqu’au 20 février la Galerie Nationale du Jeu de Paume expose une série de portraits de la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra. L’exposition laisse une impression étrange (on s’interroge : « qu’a-t-elle voulu faire -dire- au juste ? »). Pourtant, on y trouve longtemps après matière à conjecturer, interpréter et ...s’émerveiller


Kolobrzeg, Pologne - 20.4 ko
Kolobrzeg, Pologne

L’exposition débute par une série de portraits d’adolescents photographiés entre 1992 et 2002 sur des plages du monde entier (Gabon, Ukraine, Croatie, Pologne, Royaume-Uni, Belgique, États-Unis...). La taille des portraits est monumentale et tous semblent construits de la même façon : les adolescents se tiennent debout, seuls ou à deux ou trois sur une bande de sable, dos à la mer et au ciel. Le décor semble cependant secondaire : il n’est, justement, qu’un décor. Il ne semble pas non plus malgré la diversité des origines des modèles qui affleure dans les attitudes et les détails vestimentaires que l’ancrage sociologique et culturel de ses sujets n’ait retenu en priorité l’attention de la photographe. Elle semble au contraire rechercher l’épure et ce, jusque dans l’expression des modèles, saisissante. Les adolescents de Rineke Dijkstra ne sourient pas. Ils nous regardent franchement et alors que leur visage demeure indéchiffrable, ils sont formidablement « présents ». L’intensité des portraits ne nuit pas à la douceur de l’ensemble qui naît des corps en formation, encore inachevés et de la gaucherie des attitudes.

Forte de Casa, Portugal - 28 ko
Forte de Casa, Portugal

Dans la salle suivante sont exposés d’autres portraits, apparemment très différents. Pourtant, à y regarder de plus près, on est frappé de l’unité qui se dégage de l’ensemble. Deux séries de portraits se font face : trois jeunes mères après leur accouchement, photographiées sur fond blanc, nues et tenant dans leur bras « le nouveau-né » et trois toreros, en « costume d’apparat », les vêtements tachés et déchirés, le visage encore maculé de sang. Ces deux séries apparemment très différentes participent d’un même projet dont le point de départ fut un autoportrait : une photographie - non exposée au Jeu de Paume - que Rineke Dijkstra prit d’elle-même alors qu’elle venait de nager jusqu’à l’épuisement. Elle n’a cessé depuis de « creuser ce sillon » : que voit-on dans le portrait d’un modèle épuisé, qui vient de subir une émotion forte ou d’accomplir un effort violent ? C’est l’instant d’abandon où l’identité se relâche que cherche à capter Rineke Dijkstra. La même interrogation traverse les portraits de jeunes recrues israéliennes exposés un peu plus loin : les jeunes soldats sont photographiés avant et après leur « intronisation militaire », avant et après leur premier entraînement... Et pour le visiteur qui observe ces portraits, l’impression ressentie dans la première salle se répète. Toujours, la photographe reste un peu à distance, le choc, l’effort ou l’émotion restent implicites. On ne voit que des regards doux et un peu perdus, comme si l’humain encaissait le choc avec infiniment plus de tranquillité que ne le suggèreraient les discours.

Ce qui semble fasciner Rineke Dijkstra c’est à la fois la violence des chocs et la plasticité des êtres, leur capacité à absorber le changement. Les adolescents qui grandissent, les jeunes mères, les toreros, les soldats, tous subissent des transformations, des chocs, des rites de passage...Et tous, pourtant semblent exprimer la même sérénité, la même impénétrable tranquillité. D’où vient alors que les figures silencieuses de Rineke Dijkstra ne semblent jamais inexpressives, qu’elles ne suscitent pas le malaise mais l’empathie ? Peut-être cela tient-il à la grâce d’un regard, celui d’une photographe qui, à la manière des portraitistes classiques, a su trouver la bonne distance et mêle avec bonheur retenue et infinie tendresse.

par Eva Battaglia
Article mis en ligne le 3 février 2005

Informations pratiques :
 artiste : Rineke Dijkstra
 dates : jusqu’au 20 février 2005
 lieu : Galerie Nationale du Jeu de Paume 1, place de la Concorde 75008 Paris (Métro Concorde)
 horaires : mardi (nocturne) : de 12h à 21h30 ; mercredi à vendredi : de 12h à 19h ; samedi et dimanche : de 10h à 19h
 tarifs : tarif plein : 6 euros tarif réduit : 3,50 euros
 renseignements : 01 47 03 12 50 et site Internet du Jeu de Paume, d’où sont tirées les images de cet article.

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