Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Alter-art > article

Love Hina (1)

Détours au pays des jolies pépées, du punch et des promesses qui se réalisent...

Keitarô est un jeune homme qui rêve d’entrer à Todaï, la plus prestigieuse université du Japon et de Tokyo. Mais il n’est vraiment pas doué pour les études, il a une poisse pas possible, et de surcroît il ne plait pas du tout - mais alors pas du tout - aux filles ! Et comme ce genre de vie n’est pas toujours facile quand on a vingt ans, il se rend chez sa grand-mère qui tient un établissement de bains dans les sources chaudes.


Variations autour d’une promesse

Tout part du souvenir d’une promesse, mot d’enfant prononcé quand on est haut comme trois pommes, quand Keitarô était petit et qu’il jouait avec les filles des pensionnaires de sa grand-mère aux sources thermales Hinata. Il avait alors promis à une belle enfant aux grands yeux qu’ils entreraient de concert à Todaï et y serait heureux, parce que la légende veut qu’il en soit ainsi. (JPEG)Depuis Keitarô a déjà planté Todaï, et il erre de prépa en prépa pour s’acharner à passer le concours d’entrée et pour tenir sa promesse. Il faut bien sûr remarquer au passage que la jeune fille a disparu du paysage et qu’il ignore tout de qui elle peut être... mais a 20 ans, il se souvient toujours de son premier (et unique) succès féminin, et s’acharne à tenir sa promesse. N’est-ce pas touchant ?

Après un nouvel échec, il se rend chez sa grand-mère pour se reposer, mais voilà, elle est absente et l’hôtel est devenu une pension pour jeunes filles. Le terrain est remarquablement fertile pour un gaffeur comme Keitarô qui, avant même se s’être présenté, parvient à se mettre toutes les pensionnaires à dos ! L’histoire aurait pu en rester là si la grand-mère n’avait légué son établissement à Keitarô, qui s’impose parmi la pépinière de charmantes adolescentes avec difficultés. Mais comme le monde est bien fait, et qu’il n’a pas mauvais fond, les choses s’arrangent et même mieux... sauf pour ce qui est de ses succès amoureux, toujours irrémédiablement en berne.

(JPEG)C’est le point de départ de cette série, pétrie de bonne humeure, truffée de gags, et menée sur un rythme d’enfer. Le romantisme est présent, à travers les personnages de Séta (un prof d’archéologie très séduisant) et de Keitarô pour le pendant masculin, et au travers de toutes les jeunes filles en fleur de la pension d’autre part.

Le côté Vénus est dominé par la figure de Naru Narusegawa, étudiante superbrillante, et incroyablement belle dès lors qu’elle quitte ses lunettes (et aussi incroyablement myope du coup !). Fille décidée, sauf pour ce qui concerne ses sentiments, elle aussi tente d’intégrer Todaï. C’est d’ailleurs peut-être elle la fille de la promesse, car la question évolue au fil de l’histoire alors que les souvenirs s’affinent et que l’enfance remonte à la surface. Son duo avec Keitarô est perturbé par l’introduction d’un troisième personnage, qui apparaît plus tard dans la saga : Mutsumi Otohime, fille fragile, grande amatrice de pastèques et de tortues. Elle se trouvait aussi à Hinata lorsque Keitarô fit sa promesse, et il se pourrait que soit elle la fille impliquée. Mais pour compliquer le jeu des promesses, Naru elle aussi, bien plus tard, a fait la promesse d’entrer à Todaï à Séta, son sempaï qui lui donnait des cours alors qu’il était étudiant là-bas. Elle était à cette occasion tombée amoureuse de lui. Mais ce béguin classique s’évapore vite là où le lecteur attendait un nouveau noeud de l’histoire : il est résolu en une vingtaine de pages après l’arrivée de Séta.

C’est le mode classique de fonctionnement dans Love Hina, lorsqu’une situation de type "sitcome" est sur le point de s’enclencher, l’auteur fuit habilement, et utilisant les cordes du délire et des exagérations évite les situations redondantes et larmoyantes. Le rythme élevé est assuré par ces effets d’annonce trompés qui rebondissent sur d’autres effets également trompés : par exemple, lorsqu’on apprend que Haruka(tante de Keitarô) et Séta ont eu une relation dans le passé, on s’attend à ce qu’ils se mettent ensemble, mais il n’en est rien. De même, lorsque Keitarô lit dans le journal de Naru qu’elle a fait à quelqu’un la promesse d’entrer à Todaï, il pense immédiatement qu’elle est la fille de sa promesse. (JPEG)On pense donc logiquement que l’histoire va tourner autour de cette reconnaissance, mais très vite Naru se moque de lui et il calcule qu’elle était trop jeune pour être la fille de la promesse, puis on apprend que c’est à Séta que Naru pensait. Cependant, avec l’arrivée de Mutsumi, de nouveaux éléments apparaissent qui laissent penser que finalement Naru pourrait être - indirectement - la fille de la promesse. Ce fil court sur plusieurs volumes, et il est loin d’être le seul, même s’il est le plus structurant. Akamastu joue avec le feu en soulevant des situations d’historiettes banales, mais il a un réel talent pour leur donner un sel et une ampleur totalement déconcertantes.

Un dessin varié et très bien utilisé

Le dessin de Love Hina se présente comme une suite ininterrompue de mouvements : les transitions entre les lieux et les situations sont de deux modes : le normal la plupart du temps, comme dans n’importe quelle BD, et l’accéléré, ou "n’importe quoi" fait de coups de poings, tortues mécaniques, passages secrets, déguisements sortis d’on ne sait où, etc... Au premier mode correspond un dessin classique, au second un dessin plus cartoonesque, avec des explositions, des postures improbables, etc...

(JPEG)Le gros point fort de Ken Akamatsu est son talent pour dessiner les jeunes filles, qu’elles soient légèrement dévêtues (ça reste très sage, pas d’alarme !) ou alors dans toutes sortes de tenues. Il sait donner à Naru des expressions très variées selon qu’elle est énervée ou alors rêveuse (ses deux principales attitudes.) La finesse et l’élégance du dessin donnent lieu à de petites merveilles de spontanéité qui donnent une épaisseur réelle au caractère des personnages : lorsque Mutsumi Otohime, déguisée en Keitarô, fait des bisous à tout le monde, l’auteur ajoute une petite "étiquette" miss bisous sous elle, et l’ensemble de cette description et du dessin sont pleins d’un charme authentique et nuellement surfait. Les physiques des personnages sont variés, de Naru aux longs cheveux à Kitsune la renarde, coiffée à la garçonne. Shinobu est présentée avec des vêtements souvent sombres et de coupe "classique" afin de souligner son caractère de collégienne sage. Parfois, un personnage endosse temporairement une évolution durable comme Sû les soirs sous la lune rouge, ou alors Keitarô lorsqu’il est bronzé. De même la relation Naru avec lunettes/sans lunettes est à la fois très espacée, et immédiatement perceptible. D’ailleurs les évolutions physiques donnent aux personnages une évolution psychologique qui leur ajoute une dimension : Keitarô bronzé agit de manière bien plus sûre de lui, contrairement au gaffeur habituel.

Un concentré délirant de vie des jeunes japonais

(JPEG)De l’étudiante acharnée à la kendoka, les pensionnaires d’Hinata représentent différents stéréotypes de la jeune japonaise : Naru est la bosseuse acharnée, Shinobu la jeune fille timide et excellente cuisinière, sorte de paragon de l’épouse idéale, Kitsune est la femme ratée, chômeuse qui boit et qui joue, quant à la soeur de Keitarô elle est amoureuse de son frère et présente un autre complexe suffisemment fréquent au Japon pour qu’on parle de "Brother complex" comme d’un phénomène identifié ! Mais les situations également traduisent un souci d’ancrer cette histoire dans un fond réaliste : Keitarô qui travaille extrêment dur pour préparer son concours, dans un pays où l’entrée à l’université est loin d’être aussi facile qu’en France : on le voit s’inscrire dans des prépas, passer des nuits blanches à bûcher, etc... Les différents protagonistes sont aussi obligés de se trouver des Baïtos (de l’allemand arbeit, travail) qui sont des jobs pour étudiant, rémunérés, et qui permettent à ceux-ci de soutenir le train de vie excessivement élevé du Japon.

Et si la vie ressemblait à Love Hina !

Qu’elle serait douce alors, car tout finit par se résoudre avec de la bonne volonté, les situations les plus tendues finissent par se désamorcer par l’humour et le dialogue, et petit à petit, Keitarô devient moins gaffeur et plus charmant. Au fil des onze volumes publiés pour l’instant, Akamatsu sait faire évoluer ses personnages et leur situation : Todaï cesse d’être un mythe et devient le quotidien de certains, Mokoto la kendoka doit prendre sa décision entre reprendre le dojo de sa famille ou mener une vie d’étudiante normale, Shinobu entre au lycée, etc... et à chaque évolution survient un lot de nouveaux problèmes légers, qui se résolvent peu ou prou, avant que le récit ne poursuive sa marche en avant, un peu comme dans la vie, sauf qu’ici rien n’est vraiment grave. Pour avoir connu le monde des classes prépa en France, je trouve que Akamatsu sait fort bien en rendre par moment l’ambiance, même si le tout est fondu dans un ensemble de délire et de rebondissements qui atténuent la tension propre à ce genre de parcours. Finalement, quand on referme un volume de Love Hina, on se dit "Ha, si la vie pouvait être pareille à Love Hina !"

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 11 mai 2004

Mangaka : Akamastu Ken

Editeur France : Pika

Editeur Japon : Kodansha

Genre : shônen sentimental

La série compte 14 volumes désormais tous publiés en France. Cette chronique a été rédigée après la parution du volume 12.

le site de Pika

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site