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Noël au prisme du shônen sentimental

Noël est une multinationale, au marketing puissant qui envahit le monde entier. Et les lointaines racines de cette fête, liée au solstice d’hiver et au début du rallongement des jours est à présent placée sous le patronnage bienveillant d’un brave bonhomme au costume taillé par Coca Cola. Bref, Noël en manga, ça se passe comment ?


(JPEG) Noël est une fête qui est entrée dans la tradition chrétienne lorsqu’il s’est agit de célèbrer la naissance du Christ. Alors que celle-ci se produisit plus probablement en avril, ce fut symboliquement la nuit du 24 au 25 décembre qui fut choisie. Proche du solstice d’hiver, elle marque le moment où les jours rallongent dans l’année, symbolisant l’arrivée du Sauveur sur terre. La calendrier chrétien place d’ailleurs, toute proche, la sainte Lucie (prénom dérivé de Lucce, la lumière) au 13 décembre. Le choix de cette date coïncide également avec le rite antique de célébration de Mithra, divinité venue d’Asie, dont le culte est alors phagocyté par le rite chrétien qui s’impose et se perpétue jusqu’à aujourd’hui... où il tend à être à son tour phagocyté par le rite consummériste du XXIe siècle. À propos de l’évolution de l’histoire de Noël, de sa christianisation et de l’apparition du père Noël, nous vous renvoyons avec profit vers cette passionnante page exhaustive sur le sujet

(JPEG)Au Japon, Noël est déconnecté de cette spiritualité. Les Chrétiens forment dans l’archipel une communauté peu nombreuse, et les religions dominantes sont le shintoïsme, ancienne religion d’Etat, et le bouddhisme. Mais pourtant l’évènement n’est pas moins propice aux émotions fortes, puisque c’est une date de rendez-vous amoureux. On peut comparer Noël à notre 14 février occidental, puisque l’objectif des jeunes tourteraux est de passer la soirée ensemble. Ce réveillon du 24 décembre est donc propice également à toutes les déclarations.

Dans les manga, il imprègne tout particulièrement un genre, qui ne manque pas d’utiliser sa symbolique comme un ressort narratif propre aux situations embarrassantes, ou attendrissantes. Bref, la nuit de Noël fait le régal des shônen sentimentaux.

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Love Hina, un Noël très occidental

À cheval entre les tomes 6 et 7 (chapitres 51 et 52), Noël intervient dans Love Hina au coeur de la période la plus palpitante de la série. Les rebondissements autour de la promesse se succèdent, et les rôles de Mutsumi, Naru et Keitarô, dans ce lointain passé ne sont pas encore tout à fait bien définis pour le lecteur... ce qui laisse beaucoup de place à l’extrapolation et aux chavirements de sentiments. (JPEG)En cette belle nuit, donc, Akamatsu ne rate pas l’occasion de proposer un classique triangle amoureux à ses lecteurs. C’est d’ailleurs l’unique qui ait vaguement une chance de proposer une alternative vaguement crédible au couple planifié Keitarô-Naru.

Mais entre poursuites dans la neige, déclarations ambigües et baisers équivoques, cette nuit de Noël est l’occasion de la mise en scène d’un Noël plutôt occidental dans le petit monde d’Hinata. Cela est patent tout d’abord au chapitre 51 qui voit Keitarô se rendre en ville pour faire ses achats : vendeurs déguisés, sapins, chants de Noël dans les haut-parleurs (Vive le vent d’hiver... [1]), tout évoque une allée principale de centre commercial occidental tel qu’on pourrait en trouver en Europe ou aux Etats-Unis à la même période. Mutsumi apparaît même déguisée en mère-Noël dans le cadre de son job (baïto).

(JPEG)Ensuite, à l’intérieur de la pension, on voit qu’un sapin décoré de guirlandes (coutume venue du nord de l’Europe, qui s’est diffusée à tout le continent au cours de la première moitié du vingtième siècle) autour duquel les jeunes pensionnaires se sont réunis pour s’offrir des cadeaux et manger, exactement comme on pourrait le voir en Occident. On remarque d’ailleurs à cette occasion qu’elles sont déguisées en mère-Noël, ou en elfe comme Shinobu, dans la plus pure tradition des Noël de la société de consommation.

Par la suite, la nuit de Noël est l’occasion pour Naru, qui se sent mise en danger auprès de Keitarô, et Mutsumi, de se disputer les mains du jeune homme, dans le plus pur style de Love Hina : c’est à dire de gags en imbroglio. L’agitation, et la réaction anormale de Naru (qui se défend toujours à ce moment de ressentir quoi que ce soit pour Keitarô) montre à quel point la nuit de Noël est un moment important pour les sentiments des adolescents japonais... enfin visiblement dans la même proportion qu’une saint Valentin en France : beaucoup de remue ménage, d’ambiance commercialement entretenue, et finalement pas grand chose d’extraordinaire par rapport à d’habitude. Pour Naru et Keitarô aussi pourrait-on remarquer, puisque même si cette soirée de Noël les mets dans tous leurs états, n’importe quel micro-évènement du quotidien en fait autant pendant tout le reste de la série.

La série TV Love Hina ne met pas en scène ce Réveillon. C’est une OAV de 45 minutes Christmas special qui le fait. Celle-ci est l’une des 5 OAV qui prolongent la série, la première dans laquelle les filles apparaissent en vêtements d’hiver, et c’est l’occasion pour Naru de déclarer ses sentiments à Keitarô.

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I’’S, Noël pour valentins

I’’S met en scène une nuit de Noël nettement moins lumineuse, ensapinée et pèredenoëllée. Dans le ton de ce shônen sentimental beaucoup moins débridé que Love Hina, Katsura profite de ce moment pour nouer un mini-drame sentimental autour de la relation malhabile qu’entretiennent Iori et Ichitaka.

La nuit de Noël est le moment mis à profit par Katsura pour mettre à plat la sauce qu’il avait monter autour du possible revirement de son héros, de la belle Iori vers Izumi, jeune fille délurée, sexy au possible, à qui Ichitaka a eu le bonheur de plaire... mais voilà que notre Ichitaka voudrait bien passer Noël avec Iori, qui le voudrait aussi au fond d’elle-même sans le savoir, et qui par gentille innocence pousse Ichitaka à sortir avec Izumi, parce qu’elle suppose que si Ichitaka est avec elle, c’est uniquement pour permettre à son pote Tertanai de sortir avec Yuka, une copine à elle !

(JPEG)Bref, cette nuit de Noël, entre rendez-vous manqués, effets d’annonce, attentes et latences se finit par la réunion d’Ichitaka et d’Iori... mais naturellement sans dépasser le stade d’une rencontre qui ne débouche sur rien, pour exactement les mêmes raisons que toutes les autres occasions manquées par le héros pour sortir avec la belle Iori. C’est logique, puisqu’on n’est encore qu’au volume 9 d’une série qui en compte 15. [2]

C’est l’occasion pour le lecteur occidental de glaner quelques renseignements sur ce Noël japonais. Alors que la réunion de la pension Hinata avait l’allure d’une fête familiale (les filles de la pension forment les unes pour les autres un substitut de famille), ici rien de tel n’apparaît. Au contraire, on ne voit que des couples en train de sortir ensemble dans le parc. Il s’agit donc, ni plus ni moins que de la transposition de la saint Valentin au Japon (Celle-ci revêt là-bas un aspect sensiblement différent du nôtre, et elle est couplée au White day : voire les liens en fin d’article pour de plus amples détails.), et elle pose donc pour les shônen sentimentaux un nombre de situations potentielles que doivent bénir les auteurs.

(JPEG)Cela se souligne par la récurence d’un élement, qui se retrouve au moins dans Love Hina, I’’S, et Orange Road (voir à ce propos cette excellente analyse de l’épisode de Noël dans Orange Road) : la formation ou l’existence d’un triangle amoureux où deux filles se disputent le héros. L’issue de la nuit n’est d’ailleurs pas jouée d’avance, mais semble fort engageante pour l’avenir au vu de la détermination que les protagonistes mettent à tourner la situation selon leurs souhaits... sans d’ailleurs toujours y parvenir.

Au moins, Noël offre quelques tranches de rire, et frissons d’émotion au travers de ces fictions, qui entrebâillent une lucarne sur une manière autre de fêter Noël. Qui s’avère pourtant tout à fait en phase avec l’adéquation de plus en plus prononcée de cette fête avec les évènements commerciaux. Preuve s’il en est qu’aujourd’hui, Dieu a toujours une grande barbe blanche, mais que son manteau rouge n’est plus forcément celui que Pilate fit poser sur ses épaules, mais celui dont Coca Cola l’a revêtu.

Cependant, si Noël, ce sont des émotions, de la sincérité, et le fameux esprit des "miracles de Noël", on peut alors dire que les shônen sentimentaux proposent également tout cela.

Joyeux Noël à tous !


À propos de Noël dans les manga et plus particulièrement sur Love Hina et I’’S, nous vous renvoyons aux articles suivants :

- La société japonaise vue au travers de I’’S sur Mangajima.
- Anime Love Hina sur Mangajima.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 20 décembre 2004

[1] Cela dit, ce choix du chant est peut-être un choix de l’adaptateur et doit donc être prise avec recul faute de vérification

[2] Si à la suite de cette description, I’’S donne l’image d’une série mélo au possible... c’est que l’effet recherché est obtenu !

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