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Saint Seiya à l’aune de l’amour courtois

Si l’influence mythologique n’en finit pas de fasciner dans Saint Seiya, on néglige généralement de relever un autre champ sémantique fort qui imprègne les aventures de Seiya et de ses compagnons. Il s’agit des similitudes qui existent entre Saint Seiya et la littérature médiévale de cours, ou littérature courtoise, dont Chrétien de Troyes et ses romans sur la geste des chevaliers d’Arthur est le plus illustre représentant. Alors, Seiya est-il un nouveau Lancelot ?

 [3]erche à séduire une dame d’une condition supérieure. Il va pour cela franchir de nombreuses épreuves, afin d’attirer la faveur de sa dame.

Au croisement de nombreuses inspirations, l’amour courtois, ou fin’amor (amour parfait) est composé dans un style littéraire fait pour être chanté, et composé en langue d’oc ou langue d’oïl et non en latin. Il puise dans plusieurs fonds, qui sont tout d’abord les grands récits mythologiques ou historiques de l’Antiquité (les Métamorphoses d’Ovide, l’Enéide de Virgile, la Thébaïde du Stace), puis les récits et légendes d’origine celtique, baignée par le merveilleux païen. Mais cette littérature, qui met en scène un amour exalté, et quasi mystique, s’inspire également du fameux Cantique des cantiques.

La littérature courtoise est éminement liée au contexte sociologique de l’époque. De nombreux jeunes nobles attendent alors de pouvoir fonder une famille, car les mariages étant affaire d’alliances entre les clans, ils ne sont pas libres de convoler comme ils l’entendent. La fin’amor leur propose alors un modèle qui mélange l’idéal chevaleresque à la possibilté d’aimer d’un amour extra-marital. Le chevalier voue à sa dame un amour quasi-mystique[[La dame est alors synonyme de suzeraine, elle est la dominae suivant le terme latin. [1] (ou "épreuve") : moment où le jouvanceau est invité à partager le lit de sa dame, mais sans jamais pouvoir aller au-delà de ses désirs à elle.

(JPEG)Une dame d’origine supérieure, entourée de jouvanceaux prêts à endurer des épreuves pour elle, ce schéma évoque directement, et avec force, la relation entre Saori/Athéna et ses saints de bronze. Si l’on a beaucoup insisté sur le retravail de la matière mythologique dans Saint Seiya, on néglige d’envisager ce parallèle riche. Est-il sciemment voulu par Kurumada, ou reproduit-il inconsciemment un schéma narratif universel ? Difficile de trancher sans interroger l’auteur lui-même. Cependant, ouvert à la culture occidentale, il est possible que Kurumada ait été directement, ou indirectement, influencé par cette matière qui irrigue puissemment notre propre patrimoine littéraire et culturel.

Saint Seiya : une incarnation des grands principes de l’amour courtois.

La fin’amor a ses règles, qui peuvent parfois être détournées ou contournées, mais qui se retrouvent d’oeuvres en oeuvres. Ceux-ci se retrouvent systématiquement, tels quels ou sous des formes à peine dissimulées, dans l’univers de Saint Seiya. On va voir que la fin’amor concerne tous les saints de bronze et Athéna, mais tout particulièrement Seiya.

La chasteté de la relation est un point primoridial : Il ne saurait être question d’union charnelle entre Seiya et Saori/Athéna. Cela s’explique par la personnalité d’Athéna, puisque celle-ci est l’une des déesses vierges avec Artémis et Hestia : Sa pureté est liée à de nombreuses symboliques, dont celle qui fait d’Athéna la protectrice des Acropoles de la Grèces antique. De nombreux cultes poliades [[cultes observés dans le cadre de la Polis, ou Cité]] lui sont dédiés. On en trouve une double trace dans la Guerre de Troie, tout d’abord par le mythe du Palladion [[Statuette dont la détenti [2]le Palladion est réputé selon certaines versions du mythe avoir été sculpté par Athéna, selon d’autres, la représenter. Dans Saint Seiya, on peut penser que l’armure d’Athéna, au sommet du sanctuaire, est une représentation de ce Palladion. Il est dérobé dans Troie par Ulysse et Diomède, déguisés en mendiants.]] et dans l’Iliade, lors de la prière adressée par les Troyennes à Athéna pour qu’elle leur donne la victoire sur Diomède. Il peut sembler, aux yeux du lecteur du XXe siècle, aberrant d’invoquer Athéna alors qu’elle soutient les Achéens, et pourtant c’est vers elle que se tournent les Troyennes, car elle est le symbole de l’inviolabilité des villes. Dans la perspective de Saint Seiya, le lien entre la personnalité de la déesse et les fortifications des villes hautes est rendu sensible par l’impénétrabilité du Sanctuaire aux attaques.

Toutefois, Saori/Athéna semble bien moins difficile à émouvoir et à ébranler que les douze temples défendus par les saints d’or. Elle n’est pas insensible au charme de Seiya, comme cela est manifesté tout particulièrement dans le passage du tome 6 où Saori/Athéna est ravie par le saint d’argent Jamian du corbeau. Acculé, Seiya se jette dans le vide pour sauver Athéna avec lui. Un regard tendre entre le saint et sa déesse est clairement montré et appuyé. Suite à la chute, au fond du ravin, Athéna se penche vers Seiya pour déposer sur sa joue (ou ses lèvres...) le baiser de la récompense pour son acte de bravoure. Cependant, Jamian interrompt la scène trop tôt. L’anime, avec force musique et effets visuels, accentue encore le romantisme larvé de cet épisode. On ne peut nier l’ambiguité de la relation entre Seiya et Athéna, sans que pour autant celle-ci n’évolue, car un invisible interdit sépare celle qui appartient au monde divin de son chevalier, de la même manière qu’un interdit social séparait la noble dame, de condition systématiquement plus élevée, de son chevalier dévoué.

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La dévotion : L’amant courtois est tout entier dédié à sa dame. Dans Le chevalier à la charette, Lancelot répugne à se trouver avec une autre femme que la reine Guenièvre, et éconduit ainsi une jouvencelle qui le désirait pour amant. De la même manière, alors qu’il fait l’objet des attentions de Miho, et de Shaïna, Seiya néglige totalement ses deux conquêtes, et ne semble pas préoccupé spécialement par son avenir matrimonial. Cela se comprend fort bien dans le manga où il n’a que treize ans. Mais à côté, on peut observer que Shiryu est amoureux de Shunrei, et que Shûn n’est pas indifférent à Jun. Ce qui n’empêche toutefois pas ces deux saints de laisser leurs belles de côté, et d’être prêts à sacrifier leur vie au service de Saori/Athéna. Celle-ci reste, par excellence, la dame qui passe avant toutes les autres [[le refus de Shiryu de demeurer auprès de Shunrei, alors même qu’Athéna lui a enjoint de ne plus combattre est révélateur de cette dévotion]]. Leur situation peut se comparer à celle de Gauvain, champion de la reine Guenièvre à la cour d’Arthur, qui se saigne au sens fort pour la sauver, et qui écope sans cesse du rôle de second couteau quand Lancelot finit dans le lit de sa souv [4]ime plus que tout, mais qui ne peut oser espérer dépasser cette adoration univoque et sans limite. (JPEG)Le fait que Saori/Athéna soit une déesse l’intègre à merveille dans ce schéma, qui place la dame objet de l’amour sur un plan différent, et supérieur, à celui de son amant. La vénération participe du sentiment de l’amant courtois.

Le service de la dame passe par des épreuves : Au cours de son périple pour délivrer Guernièvre des mains de Melléagant[[Il s’agit du chevalier félon qui enlève Guenièvre à la cours d’Arthur. Il apparait également dans le film Lancelot avec Sean Connery et Richard Gere.]], Lancelot doit à plusieurs reprises affronter des épreuves, qui mettent tour à tour sa vaillance, son courage, et sa dévotion à sa dame en jeu. Ainsi, il doit accepter l’humiliation de se faire conduire en charette comme un criminel, sur le conseil d’un nain, pour découvrir où se trouv [5]e, ou pour la libérer lors de ses enfermements chez Poséidon et chez Hadès, les saints doivent traverser des épreuves. À la différence des romans courtois, l’univers de Saint Seiya propose des obstacles qui prennent quasi-exclusivement la forme de combats. Toutefois, le parallèle est toujours valide, dans la mesure où ces affrontements ne se résolvent pas que par la force : il appartient ainsi à Hyoga de renoncer au souvenir de sa mère pour se montrer digne de sa déesse, ou à Ikki d’accepter de perdre ses cinq sens un par un, car au-delà se trouve le chemin de la victoire.

(JPEG)Ce mélange de dévotion et d’épreuves, quand il conduit à gagner l’amour de la Dame provoque un état second, la "joy". C’est une exaltation qui est donnée au chevalier qui mérite sa dame, qui mélange l’extase mystique à une satisfaction sensuelle malgré la chasteté de la relation. Elle s’exprime dans Le chevalier à la charette par des formulation du type "Amour commande" qui régissent la nuit que passe Lancelot dans les bras de Guenièvre [[Cette nuit se trouve justement en contradiction avec le principe de chasteté, et il est a noter que, symboliquement, les blessures de Lancelot se rouvrent pendant ses ébats, souillant les draps. On peut opposer cette nuit avec une autre, qui se trouve dans le roman de Tristan, où Tristant place entre lui et Yseult son épée tirée, afin de bien marquer son intention de respecter la chasteté de celle qu’il vénère.]]. Naturellement, dans Saint Seiya, cet état second n’est autre que l’éveil au septième sens qui surv [6]usieurs fois, guide les chevaliers vers cet éveil.

On observe donc que, à cause de la dévotion qu’ils ont pour leur dame, les chevaliers courtois sont conduits à accomplir de multiples exploits qui les rendent dignes de l’attention (ou des attentions dans le cas de Lancelot) de l’élue de leurs pensées. Ce résultat les plonge dans la "joy", extase mystique qui satisfait leur amour d’une nature toute particulière. Sans entrer dans ces complexes jeux cérébraux autour du désir, propres au XIIe siècle, Saint Seiya propose une relation entre Saori/Athéna et ses saints - plus particulièrement Seiya - qui reprend tous les principaux éléments de la fin’amor.

(JPEG)Et cette proximité avec cette littérature des cycles arthuriens du XIIe siècle n’est pas sans introduire un nouveau parallèle, qui soulève la question d’une similitude de posture et de statut entre Athéna, et non plus Guenièvre, mais Arthur.

Athéna au milieu de ses saints, Arthur au milieu de ses chevaliers : structures calquées sur le modèle de Jésus au milieu de ses apôtres.

Athéna, comme Arthur ont eu besoin de se faire reconnaître par leurs guerriers. Pour Arthur, bâtard de Pendragon et d’Ygerne de Cornouailles, élevé comme un simple écuyer, se faire accepter comme le prétendant au trône n’est pas évident. Aussi il doit réaliser l’exploit d’arracher Excalibur à l’enclume qui la retient. C’est le symbole de son droit au trône. Athéna, si elle est consciente de sa déité, doit également se faire reconnaître des saints. Tout d’abord par ceux de bronze, au cours du tome 6, juste avant son enlèvement par Jamian. En effet, à ce moment, Seiya et ses compagnons sont sur le point d’abandonner celle en qui ils ne voient que la capricieuse Saori. Par la suite, Saori/Athéna se fera également reconnaître des saints d’or, du Lion tout d’abord, puis des survivants de la bataille du Sanctuaire à la fin du tome 13.

(JPEG)En tant que celle qui donne les ordres aux saints, Athéna est la garante des institutions du Sanctuaire. Elle est la source de tout pouvoir, et vit cachée au coeur du palais, dont elle ne doit pas sortir (idée reprise au commencement des saga Poséidon, et surtout Hadès) et d’où elle dirige ses batailles par l’intermédiaire de ses saints. Arthur, une fois établit à Camelot, impose une organisation similaire. Il rassemble les meilleures chevaliers du royaume autour de lui, et il les dépêche mener ses guerres auxquelles il ne prend plus part. Ce n’est pas lui qui part à la poursuite de Melléagant, le ravisseur de son épouse, mais Gauvain et Lancelot. De même, il ne participe pas aux tournois et se fait représenter par des champions. Toutefois, l’un comme l’autre, Athéna et Arthur entrent dans la mêlée aux moment décisifs. Arthur pour mettre un terme à la rebellion de Mordred, combat durant lequel il trouve la mort. Athéna, durant le combat contre Hadès, où elle accepte justement la mort pour aller défier son rival, qu’elle affronte en personne par la suite, revêtue de son armure.

(JPEG)Roi de Camelot entouré de ses chevaliers de la table ronde, ou Déesse du Sanctuaire entourée de ses 88 saints prêts à mourir pour elle ; Arthur et Athéna sont dans des positions identiques. On peut sans peine relier celles-ci au modèle de Jésus au milieu de ses apôtres. Figure divine, qui délivre son enseignement, il est celui qui donne du sens à la démarche évangélique de ses compagnons, mais ce sont eux qui accomplirent la grande oeuvre de diffusion de son message. De la même manière, Arthur introduit la justice, la religion moderne et régule les ardeurs de la chevalerie, mais ce sont ses guerriers qui font appliquer ses lois. Athéna entreprend les guerres contre le Pope, Poséidon ou Hadès, mais à chaque fois, ce sont ses saints qui endurent mille blessures par amour pour sa cause.

Au-delà de la fin’amor, l’univers de Saint Seiya révèle d’intéressants parallèles avec la matière arthurienne. Celle-ci, d’une manière moins évidente, mais non moins importante, mérite d’être envisagée comme une source qui nourrit l’imaginaire de cette fiction. Que ce soit au travers du motif de la littérature courtoise, dont on voit qu’il est parfaite cohérence avec de nombreux éléments des aventures des champions d’Athéna, ou de la matière arthurienne. Force est de constater que la traduction de "chevaliers" pour le terme original de "saint" est au final pour le moins heureuse, car au-delà de l’armure, ce sont bien des traditions chevaleresques littéraires que l’on peut retrouver dans la trame qui soutient Saint Seiya.

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Sur l’amour courtois

 La littérature courtoise (prise dans le cours d’un site dédié à des aperçus de l’ancien français
 Un article sur la présence de la littérature courtoise dans le conte du Graal, par Estelle Soler, professeur au lycée Jean Villar aux Mureaux.
 Chrétien de Troyes, oeuvre complètes, bibliothèque de la pléiade.
 Le livre du Graal (tomes 1 & 2), bibliothèque de la pléiade.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 28 octobre 2004

[1] La dame est alors synonyme de suzeraine, elle est la dominae suivant le terme latin.

[2] cultes observés dans le cadre de la Polis, ou Cité

[3] Statuette dont la détention à l’intérieur des murs garantissait la survie de Troie, le Palladion est réputé selon certaines versions du mythe avoir été sculpté par Athéna, selon d’autres, la représenter. Dans Saint Seiya, on peut penser que l’armure d’Athéna, au sommet du sanctuaire, est une représentation de ce Palladion. Il est dérobé dans Troie par Ulysse et Diomède, déguisés en mendiants.

[4] le refus de Shiryu de demeurer auprès de Shunrei, alors même qu’Athéna lui a enjoint de ne plus combattre est révélateur de cette dévotion

[5] Il s’agit du chevalier félon qui enlève Guenièvre à la cours d’Arthur. Il apparait également dans le film Lancelot avec Sean Connery et Richard Gere.

[6] Cette nuit se trouve justement en contradiction avec le principe de chasteté, et il est a noter que, symboliquement, les blessures de Lancelot se rouvrent pendant ses ébats, souillant les draps. On peut opposer cette nuit avec une autre, qui se trouve dans le roman de Tristan, où Tristant place entre lui et Yseult son épée tirée, afin de bien marquer son intention de respecter la chasteté de celle qu’il vénère.

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