Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Arts plastiques > article

Le musée Gustave Moreau, perdu dans la Petite Athènes

Collections permanentes

La maison-atelier de Gustave Moreau (1826-1898), blottie dans la calme rue de La Rochefoucauld, au sein de ce qui fut la petite Athènes du 9ème arrondissement de Paris est un des bijoux du quartier. Quelques marches amènent à cet hôtel particulier, écrin du musée qui fait partie des trente-quatre musées nationaux français. La façade du bâtiment est quelque peu en retrait : la lourde porte semble toujours fermée, si bien que peu de badauds s’arrêtent devant la sombre façade. Et pourtant, lorsque l’on pousse la porte, c’est un fourmillement. Un petit hall chaleureux accueille le visiteur, qui est immédiatement transporté vers l’attique. Au premier étage, une petite flèche conseille de se rendre directement au second étage. Le visiteur, obéissant, suit le marquage silencieux de la flèche. En franchissant les dernières marches de cet escalier, le visiteur voit que l’espace se dégage, que le plafond se fait plus haut, beaucoup, beaucoup plus haut... et c’est la stupéfaction.


Feuille d’étude pour Hercule - 13.1 ko
Feuille d’étude pour Hercule

Le second étage est en réalité l’ancien atelier du peintre, construit à partir de 1895, et c’est tout naturellement que de larges verrières et de hauts plafonds encadrent le lieu. Le troisième étage, relié au second par un remarquable escalier en spirale, constitue le second étage de l’atelier de l’artiste. Malgré la hauteur sous plafond et la puissante luminosité de l’endroit, l’étouffement n’est pas loin : les murs sont intégralement couverts d’immenses toiles, plus de deux-cents, figeant sévèrement personnages bibliques et mythologiques. Sous les verrières, des présentoirs donnent à voir les quatre-mille huit-cent-trente-et-un dessins du peintre, accompagnés de ses deux-cent cinquante aquarelles. Moreau, on le comprend tout de suite, est un artiste prodigue de son art : le peintre semble enchaîner inlassablement œuvre sur œuvre, animé par une fièvre productrice que peu de doutes viennent perturber. Si tout a été aussi exhaustivement conservé, c’est que derrière se trouve la volonté de l’artiste. Dès 1860, le peintre, âgé d’une trentaine d’années, s’inquiète du devenir de "ses pauvres petits tableaux et des compositions qu’il prend la peine de réunir" et c’est naturellement qu’il décide de consacrer, à la fin de sa vie, son hôtel particulier du quatorze rue de la Rochefoucauld à son oeuvre, qu’il réorganise alors pour servir ce but. Le premier étage de l’hôtel particulier correspond aujourd’hui à un petit musée sentimental voulu très tôt par l’artiste qui désire figer les années heureuses passées avec ses parents. Une pièce est consacrée à Alexandrine Dureux, son amie de coeur, décédée prématurément.

Prométhée - 18.1 ko
Prométhée

Les ateliers du second et troisième étage sont aujourd’hui dédiés à l’œuvre chargée de Gustave Moreau. Ses œuvres peintes se rangent majoritairement dans ce que l’on appelle le « symbolisme », vaste mouvement apparu vers la fin du 19ème siècle (années 1880) en réaction au trop-plein de réalité que portait en lui le naturalisme d’un Gustave Courbet ou d’un Jean-François Millet. Dans le même temps, la littérature suit un mouvement similaire : Mallarmé se fait le chantre du symbolisme, réagissant ainsi au naturalisme brillant d’Émile Zola. Le symbolisme tente d’aller au-delà de ce que l’on voit : il cherche l’idée, il cherche à transcender la peinture. Comme le précise le critique d’art George-Albert Aurier, dans un Mercure de France de 1891, « l’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative. ». Le symbolisme est donc un individualisme, individualisme qui s’est cependant organisé autour des cercles intellectuels de l’époque. Nombre d’artistes, poètes, romanciers et peintres sont attirés par ce langage de l’idée, qui transcende le réel, qui, selon Mallarmé, « peint non pas la chose mais l’effet qu’elle produit  ».

Les lyres mortes - 17.4 ko
Les lyres mortes

Moreau ne se contente pas de rendre avec brio l’Idée. Fortement marqué par le néoclassicisme du 19ème siècle, il suit les cours de l’Ecole Royale des Beaux-Arts, échoue deux fois au Prix de Rome puis est admis en 1888 à l’Académie des Beaux-Arts. C’est cet apprentissage classique, ce goût pour les proportions, qui se perçoit dans la foultitude de dessins exposée dans les présentoirs, dessins à la perfection académique. La maîtrise de la pureté du trait fait de Moreau l’un des enseignants de l’École des Beaux-Arts. Mais c’est dans l’atelier du peintre, où maîtrise et liberté du trait se rencontrent, que s’aventurent quelques élèves. De l’enseignement du maître, les élèves sauront recueillir la substantifique moëlle : Gustave Moreau s’inscrit alors comme l’un des pères fondateurs des mouvements qui naissent avec le 20ème siècle. Il est le maître d’études et le maître spirituel de certains artistes, dont le futur fauve, Henri Matisse, né en 1869 et le sceptique Georges Rouault, durablement marqué par le décès de son maître.

La fleur mystique - 16.5 ko
La fleur mystique

En parcourant le musée, force est de constater que le maître de la génération montante de l’aube du 20ème siècle a vieilli. La vivacité et la pertinence du trait de Moreau gardent toute leur puissance mais la portée symbolique de son oeuvre tend à se perdre. Ainsi, peu à peu une disjonction s’opère entre la pérennité de l’esthétisme de l’oeuvre et le message dont l’oeuvre se fait le chantre. À la fin du 19ème siècle, on reprochait déjà au maître son inspiration trop littéraire. À l’aube du 21ème siècle, on ne peut que réaffirmer ce constat, non pas sous la forme d’un reproche mais sous la forme d’un des facteurs concourrant à rendre moins préhensible la portée de l’oeuvre de Moreau. Dans l’ensemble de son oeuvre, le peintre aime à tremper son pinceau dans la mythologie, qu’elle soit païenne ou biblique. À l’heure où l’on parle de supprimer l’enseignement du latin et des humanités, à l’heure où l’enseignement religieux chrétien occupe une place bien moindre que celle qu’il occupait il y a une trentaine d’années, il est évident que les clés de l’oeuvre de Moreau s’égarent de plus en plus régulièrement. Un parallèle peut être établi avec l’iconographie des saints. Si aux temps médiévaux l’image d’un saint était porteuse d’un discours décodable, aujourd’hui, cette même image, qui n’a rien perdu de son harmonie, est moins évidemment décodable. Dans certains cas, il n’est pas rare d’ailleurs que les clefs soient définitivement perdues, non seulement pour le grand public mais aussi pour les spécialistes, qui sont alors amenés à marcher sur un voile hypothétique.

Salomé dansant - 17.6 ko
Salomé dansant

Dans le cas de l’oeuvre de Gustave Moreau, la générosité et la plénitude du trait fiévreux qui couvre intégralement la toile se mêlent à un discours qui porte les attributs d’une logorrhée. Une fois le choc esthétique maîtrisé, le visiteur, s’il n’a pas en sa possession quelques éléments d’iconographie antique et religieuse est entraîné dans un jeu de pistes. Le jeu de pistes peut porter sur la filiation de l’oeuvre. En effet, le musée, par la richesse des dessins du peintre, regroupés au sein du cabinet d’arts graphiques, permet au visiteur de rechercher dans les présentoirs les prémisses de chaque tableau monumental. Par ailleurs, le jeu de pistes peut se concentrer, avant la compréhension de la portée symbolique de l’oeuvre, sur les références mythologiques incluses dans les œuvres accrochées. Puisant régulièrement leur inspiration à la source des mêmes mythes, les toiles de Moreau permettent au visiteur attentif de découvrir les différentes représentations picturales faites d’un personnage ou d’une scène mythologique. Une fois ces premiers questionnements mis en place, toute la question de la portée symbolique s’offre alors à la force de l’esprit du visiteur.

Le Musée Gustave Moreau interpelle ainsi par sa richesse graphique et symbolique l’intelligence du visiteur, confrontée à une parole fourmillant de références et renvoyant sans cesse à l’Idée.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 8 novembre 2004

Informations pratiques :
 artiste : Gustave Moreau
 dates : collection permanente.
 lieu : 14 rue de la Rouchefoucauld, 75009 PARIS. (accès : métro Trinité ou Saint Georges, bus : 67, 68, 74, 32, 43, 49)
 horaires : tous les jours de 10 h à 12h45 et de 14h à 17h15. fermeture le mardi
 tarif : plein tarif : 4 euros, tarif réduit : 2,60 euros jusqu’à 26 ans et pour tous, le dimanche, gratuit : jusqu’à 18 ans et pour tous, le premier dimanche de chaque mois
 renseignements : tél : +33 1 48 74 38 50, fax : +33 1 48 74 18 71, mél : info@musee-moreau.fr
 site internet du musée (d’où sont tirées les images) :

pour aller plus loin sur Internet
 Le manifeste du symbolisme en littérature « Ennemie de l’enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d’une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l’Idée, demeurerait sujette. » in MOREAS (Jean), Le symbolisme, Le Figaro, 18 septembre 1886, supplément littéraire, p.1-2 (chronique littéraire 1848-1914, site de Patrick Rebollar).
 Site internet consacré au symbolisme
 un petit quizz sur le symbolisme de la peinture et dans la musique

Pour aller plus loin en lisant :
  pour en savoir plus sur Gustave Moreau  : MATHIEU (Pierre-Louis) Gustave Moreau ; Paris, Flammarion, 1998. 308p. Prix : 29,73 euros.
  pour en savoir plus sur l’iconographie mythologique  : DUCHET-SUCHAUX (Gaston) et PASTOUREAU (Michel), La Bible et les Saints ; Paris, Flammarion, coll. Tout L’art, 1999. prix : 32,00 euros et AGHION (Irène) et BARBILLON (Claire), Héros et dieux de l’Antiquité ; Paris, Flammarion, coll. Tout l’art, 1993. prix : 32,00 euros.
  pour en savoir plus sur le symbolisme  : LIEVRE-CROSSON (Elizabeth), Du réalisme au symbolisme ; Paris, édition de Milan, coll. Les essentiels. 64p. Prix : 4,50 euros.

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site