Cinéma · Musique · Littérature · Scènes · Arts plastiques · Alter-art 

accueil > Arts plastiques > article

Primitifs français, découvertes et redécouvertes

Exposition au Musée du Louvre du 27 février au 17 mai 2004

Cent ans après l’exposition de 1904 sur les peintres primitifs français, qui répondait à l’exposition de Bruges de 1902 sur les peintres flamands, le musée du Louvre fait le bilan d’un siècle de recherches en matière de primitifs.


En 1904, sous la direction d’Henri Bouchot, conservateur au Cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale, une gigantesque exposition est organisée, qui donne à voir, au pavillon Marsan du Louvre, des panneaux peints et des dessins primitifs. Il s’agit de démontrer l’existence d’une peinture française primitive distincte de la peinture flamande et italienne. Enormément appréciée par le public, cette rétrospective marque le début de véritables recherches en matière de peintures primitives, qui seront particulièrement riches en découvertes ces trente dernières années. Cette exposition de 1904 n’est cependant pas exempt de tout vice : organisée dans une période nationaliste, elle a eu tendance à créer trop largement des écoles de peinture dites françaises et à attribuer trop facilement certaines œuvres à des peintres français. L’exposition de 2004 se propose de rétablir entre autre, une certaine vérité sur la peinture du 15ème siècle.

Le visiteur qui s’attend à une rétrospective sur la peinture primitive française sera déçu. Pour le non connaisseur, les noms de peintres sont inconnus. Jean Fouquet est brièvement évoqué et uniquement à travers son peu connu mais brillant élève, le Tourangeau Jean Poyer, qui s’applique, détail rare pour l’époque, à retranscrire les ombres des personnages dans ses œuvres.

L’exposition s’organise autour de trois dossiers. Le premier dossier est consacré au bilan de l’art à Paris dans les années 1440, le second dossier s’intéresse au centre de la France, avec Jean Poyer et le Maître de Moulins (Jean Hey) et le troisième dossier traite de l’école de Provence. Au travers de ces trois dossiers, il s’agit de prendre conscience des avancées et des incertitudes de l’histoire de l’art, en tant que domaine de recherche.

Parmi les peintres de Paris, le visiteur fait connaissance avec une dynastie de peintres, qui se transmettent des modèles de père en fils. Le père, le Maître de Dreux Budé (André d’Ypres), chez qui on retrouve quelques motifs flamands, donne naissance au Maître de Coëtivy (Colin d’Amiens), auteur de La Résurrection de Lazare. Ce n’est que récemment que l’historien de l’art a pu faire le rapprochement entre le père et le fils d’une part et d’autre part entre les maîtres et leur identité civile. Colin d’Amiens aura deux fils, dont l’un est pressenti comme l’auteur des Très Petites Heures d’Anne de Bretagne. Cette identification n’est pas certaine mais est présumée au vue des motifs de ces Heures, très proches de ceux du Maître de Dreux Budé et du Maître de Coëtivy. Par ailleurs, quelques historiens de l’art auraient même retrouvé ces motifs dans la fameuse tenture de la Dame à la Licorne ! L’un des auteurs de cette tenture serait-il l’un des fils du Maître de Coëtivy ?

Autre thème de cette exposition : l’école de Provence. Le comté de Provence, qui à la fin du 15ème siècle, est entre les mains du mécène René d’Anjou et qui est encore marqué par la présence de la cour pontificale en Avignon, connaît une période de forte production artistique et attire les peintres, italiens notamment. La Provence, pays de langue d’oc et de tradition romaine, se montre extrêmement exigeante en matière de formalisme contractuel, et c’est ce formalisme contractuel qui a permis en partie aux historiens de l’art de retrouver les commandes passées et donc par extension de mieux identifier les œuvres. Deux artistes se détachent, à qui l’attribution des œuvres est presque certaine. Enguerrand Quarton d’une part, à qui on a attribué la fameuse Piéta de Villeneuve-lès-Avignon, découverte en 1834 par Prosper Mérimée, alors inspecteur des monuments historiques, révélée par l’exposition de 1904 et fréquemment prise pour modèle par les artistes (Mondrian). D’autre part, un fort intérêt est porté à Barthélemy Eyck, auteur de l’Annonciation d’Aix et du Christ en Croix (1444).

Pragmatiquement, que dire de cette exposition ? Modèle de didactisme et de clarté, elle permet de découvrir des artistes majeurs d’une période étroite de l’histoire de l’art français (fin du 15ème siècle surtout). Les toiles sont parfaitement mises en valeur par les éclairages et les localisations adaptées, comme toujours au Louvre. Le seul point noir formel se situe dans l’affluence : les salles ne sont pas bien grandes et les risques de collisions sont élevés ! Les œuvres sont remarquables de beauté, de perfection et de précision. L’art primitif est un art du réalisme, qui tend à se détacher de l’art religieux existant durant le Moyen Age, pour s’orienter lentement vers un art profane : les figures de personnages, régulièrement présentés de pied, s’humanisent, les paysages et les éléments du quotidien commencent à faire leur apparition et la perspective tente de faire quelques incursions dans les tableaux. L’intérêt de l’exposition réside essentiellement dans son parti pris historique et synthétique. Ce n’est pas une énième exposition-rayonnage qui livre en pâture au public un nombre incalculables d’œuvres, sans grand souci pédagogique. Ici, on donne des indices chronologiques et historiques, on expose une problématique (l’exposition de 1904 et ses retombées), que l’on essaie de décortiquer pour un public curieux et désireux de percer un peu plus le voile de l’art et de l’histoire de l’art.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 25 mars 2004

Légende des images, de haut en bas, logo exclu :
 première image : Jean Fouquet, Autoportrait, 1450, émail peint sur plaque de cuivre
 deuxième image : le Maître de Moulins, Une donatrice et sainte Madeleine, 1490, huile sur chêne
 troisième image : Prosper Mérimée
 quatrième image : Enguerrant Quarton, Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, 1450, bois peint, Paris, Musée du Louvre
 cinquième image : Barthélemy d’Eyck, Chris en Croix, 1444, huile sur peuplier

Informations pratiques :
 artistes :Peintres primitifs français
 dates : du 27 février 2004 au 17 mai 2004
 lieu : Musée du Louvre, Aile Richelieu, Entresol.
 horaires : tlj sauf le mardi, de 9h à 17h30 et jusqu à 21h30 le mercredi
 tarif : entrée libre avec le billet du musée (8,50 / 6 euros)
 renseignements : 01 40 20 53 17 ou http://www.louvre.fr


extrait d’un article lu dans le Journal des arts de la semaine du 19 mars au 1er avril 2004.

Le Journal des arts a réalisé un entretien avec Albert Châtelet.

Albert Châtelet est professeur émérite, ancien conservateur au département des Peintures du Louvre et au Musée de Lille, et professeur d’histoire de l’art à l’Université de Strasbourg de 1969 à 1993. Il est aussi l’auteur de Jean Prévost, le maître des moulins (Paris 2000, éd Gallimard) ; pour en finir avec Barthélemy d’Eyck in Gazette des Beaux Arts, mai juin 1998 * Automne et renouveau 1380 -1500 en collaboration avec Roland Recht, Paris, 1988.

Je me permets donc de reprendre ses propos.

Voici ce qui est dit concernant la présentation de l’exposition
 il regrette que l’exposition du Louvre n’ait pas été conçue en lien avec les expositions "Paris 1400" et "Fouquet".
 il regrette que l’on ait réuni les différents éléments du Triptyque de l’Annonciation d’Aix si c’était pour les mettre dans une "cave" où ils sont mal éclairés. * de plus, on ne peut pas voir les revers des volets, qui sont pourtant très importants pour comprendre l’oeuvre.
 le parcours est désorientant pour le public car il commence sur les oeuvres ls plus tardives .
 le propos de l’exposition hésite entre deux voies : * une orientation historique autour de l’exposition de 1904 * une problématique de l’histoire de l’art aujourd’hui
 il regrette que l’on ait fait venir un tableau du Maître de Flemalle du Musée Granet d’Aix-en-Provence pour montrer qu’on avait tort de l’inclure dans les primitifs français.
 le livre qui accompagne la manifestation n’est pas un véritable catalogue mais un recueil d’essais faisant l’exposé des thoéries dominantes.

Il évoque ensuite quelques points qui lui paraissent litigieux :
 il nomme d’abord des historiens de l’art qui travaillent beaucoup sur le sujet : Charles Sterling et sa collaboratrice la plus proche Nicole Reynaud.
 il rappelle que l’exposition du Louvre ne tient pas compte des limites de la France du 15ème siècle ! * la Provence n’est devenue française qu’en 1480. Conséquence : l’Annonciation d’Aix est une oeuvre provencale mais pas faite en France. * après 1422, tout le nord de la France, Paris compris est sous contrôle anglais et en réalité sous influence flamande. L’autorité du roi Charles VII ne s’y impose complètement qu’après la trêve de Tours de 1444. Conséquence : Enguerrand Quarton a été formé dans une région sous contrôle flamand.

Il rappelle ses théories quant à l’attribution des oeuvres :
 Enguerrand Quarton : ne peut pas être selon lui l’auteur de la Piéta d’Avignon. * il rappelle qu’Enguerrand Quarton travaillait régulièrement avec Villate, à qui l’on attribue trop facilement la qualité de "second". * pour lui, la Piéta d’Avignon est de Villate.
 Barthélemy d’Eyck * il aurait aimé qu’à l’exposition de Bruges de 2002 grâce à la confrontation de diverses oeuvres attribuées à cet auteur, on arrive à la conclusion qu’elles ne pouvaient pas être du même auteur. * Barthélemy suivait la cour du Roi René donc il n’avait pas d’atelier sans doute. * on ne peut donc pas assimiler Barthélemy d’Eyck au Maître du Coeur Epris d’Amour (il existe un paiement des enluminures de ce manuscrit à un Porcher). * on ne peut donc pas assimiler Barthélemy d’Eyck au Maître de l’Annonciation d’Aix qui est marqué par l’art de Robert Campin (qui aurait commencé à travailler plus tôt qu’on ne le dit).
 il se pose les mêmes questions concernant Jean Poyer (le Tourangeau) et le Maître de Coëtivy.

imprimer

réagir sur le forum

outils de recherche

en savoir plus sur Artelio

écrire sur le site