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De la Renaissance à l’âge baroque

Exposition au Musée du Louvre du 10 juin au 29 août 2005

Ce n’est pas juste une exposition, c’est une véritable leçon d’histoire de l’art ! Une collection de dessins riche de 130 oeuvres italiennes, un mécénat d’entreprise facilité par la législation et surtout la volonté d’enrichir constamment les musées français : trois ingrédients qui permirent l’achat de ces oeuvres en vente publique au lieu de leur dispersion, regroupant Corrège et Tintoret, Salviati et Guerchin. Avant que tous ces dessins ne soient répartis entre les musées de France, le Louvre propose leur réunion unique, suivant un panorama temporel et géographique, mettant en valeur la rareté esthétique comme le témoin historique.


Les entreprises privées et le monde des musées ont trouvé un terrain d’entente grâce au mécénat promu par la loi du 1er août 2003 : en échange d’une participation financière vouée à l’acquisition d’oeuvres pour les collections publiques françaises, les entreprises mécènes obtiennent d’intéressantes réductions fiscales. Cette reglémentation a permis quelques acquisitions intéressantes depuis son application, mais elle trouve là un exemple important en termes de coût et d’intérêt : plus d’une centaine d’oeuvres graphiques italiennes du 16ème et du début du 17ème siècles, patiemment acquises par un collectionneur, jusqu’à leur mise aux enchères en 2003. L’action conjuguée d’une multinationale et de la direction des musées de France a abouti à l’achat de l’intégralité des dessins par l’administration.

Décentralisation oblige (et rattachement à des ensembles préexistant aussi), cette acquisition sera répartie entre le Louvre et les grands musées de Beaux-Arts de province. L’exposition du musée parisien (après son périple à Pékin et à Rome)est donc un passage obligé pour profiter de l’ensemble du fonds, ainsi que pour se constituer un répertoire visuel du dessin italien, de la Renaissance aux débuts du baroque, de Gênes à Rome. Une invitation au voyage qui mène le visiteur de la salle de la chapelle à promener son regard sur quelques grands centres italiens, en commençant étrangement par le nord, poursuivant au centre et au sud...pour terminer au nord ! Malgré ce curieux ordre de présentation, que ne facilite pas l’absence de carte, on discerne un vrai souci de discours synthétique sur l’art du dessin en Italie entre 1500 et 1650 environ.

Splendeurs Renaissance...

Camillo Boccacino, La Nativité - 13.2 ko
Camillo Boccacino, La Nativité

L’accueil se fait tout de suite attractif : un charmant portrait féminin, sur lequel il faut ensuite revenir. Mais d’abord, le premier regroupement de dessins est dévolu aux cités septentrionales que sont Gênes, Crémone et Milan. D’emblée, en comparant les oeuvres destinées à Paris et la province, certains esprits de mauvaise foi (et surtout ignorants, car la suite de l’exposition montre une très équitable répartition des dessins, quel que soit leur intérêt ou leur renommée !) jugeront que le Louvre se réserve les pièces de choix, si l’on peut dire, telle une sanguine du crémonais Camillo Boccaccino, Nativité monumentale et virevoltante, preuve s’il le fallait que la ville des bons violons fournissait aussi de beaux dessins ; ou encore la démoniaque Médée d’Andrea Schavione aux effets de coloris bien de Vénétie. Au nord encore, certains artistes firent même école en France, tel le bolonais Primatice et Niccolo dell’Abbate, peintre de Modène, maîtres très influents installés par la suite à Fontainebleau, dont l’oeuvre dessinée évoque ici leurs futures grandes décorations destinées à la couronne française.

L’école de Parme, représentée avec qualité, démontre l’enrichissement discret mais réel des musées non parisiens. C’est ainsi que le Musée des Beaux-Arts de Rennes hérite notamment d’un bel ensemble de dessins de Parmesan, dont se détache Vénus désarmant Cupidon, gouailleuse feuille du maître, déjà presque rubénienne, où des lavis souples modulent la sculpturale déesse. D’autres centres du nord de l’Italie se démarquent par leur hésitation stylistique : Ferrare regardant Venise et Rome dans ses remarquables compositions paysagistes, ou Bologne lorgnant plutôt vers Raphaël et Parmesan (qui séjourna d’ailleurs dans la ville) avec son graphisme épris d’antique et même de classicisme. Plus au sud, Sienne, dans l’obédience politique de Florence mais toujours fortement autonome dans sa tradition artistique, montre sa fougue colorée encore active au 16ème siècle avec une gouache de Beccafumi, une tête peinte sur papier qui exprime un bouillonnement créatif commun au dessin et à la peinture.

Parmesan, Vénus désarmant Cupidon - 19.3 ko
Parmesan, Vénus désarmant Cupidon

Le fonds florentin (dont l’essentiel revient à Marseille), s’il ne comprend pas de désormais rares (et chères !) feuilles de Léonard ou Michel-Ange, révèle des dessins d’artistes admirant les deux maîtres, à l’instar de Baccio Bandinelli s’illustrant dans des compositions sculpturales reprenant les hachures typiques du dessin michelangelesque. Aux côtés des fameux Fra Bartolommeo, Bronzino et Salviati, une oeuvre aussi rarissime que hardie : Le Comte Ugolin et ses enfants en prison sont visités par la faim, de Pierino da Vinci, neveu de Léonard, interprétant le sombre récit dantesque par un expressionisme pathétique des figures dispersées dans l’espace. Sans oublier les frères Zuccaro faisant triompher la grande peinture d’histoire dès leurs monumentales feuilles préparatoires.

Taddeo et Federico assurent très justement le passage du milieu florentin à celui romain. Rome, plaque tournante de l’art italien du 16ème siècle, où se joue sans que l’on sache la gestation du baroque. Des lavis mythologiques plein de verve de Giulio Romano aux études animalières de Giovanni da Udine en passant par les esquisses décoratives de Perino del Vaga, les élèves de Raphaël témoignent d’un dynamisme de l’art à Rome, animé par le mécénat papal et diffusé dans le reste de l’Italie. Raphaël qui n’est pas représenté, mais deux têtes de femme respectivement d’Eusebio di San Giorgio et Timoteo Viti ressemblent à s’y méprendre à celles du maître, évoquant presque un pastiche ou du moins une influence manifeste. On n’étonnera certainement pas si ces dessins sont surtout destinés au musée des Beaux-Arts de Lille, conservant le fonds le plus important de dessins de Raphaël en France après le Louvre.

Tintoret, Samson tuant le philistin - 9.7 ko
Tintoret, Samson tuant le philistin

Quant au dessin vénitien du 16ème siècle, il se montre ici avec toute la variété du tempérament de ses artistes : le calme de la campagne arcadienne de Domenico Campagnola aux paysages pondérés et précis, ou au contraire la fougue du trait d’un Tintoret et son Samson tuant le Philistin, vigoureuse étreinte toute en muscles boursouflés témoignant d’un grand choc provoqué par l’oeuvre de Michel-Ange. Aux sensibilités hédonistes plairont les Études pour Vénus et Adonis avec Cupidon et ses chiens dues au talent de Véronèse, où la pierre noire croque la passion intérieure des deux amants superbes, non sans sensualité. Mais le sentiment religieux trouve aussi sa place, grâce notammment à Lorenzo Lotto, dont le Saint Roch évoque des épidémies de peste alors trop fréquentes à Venise, dont le saint était censé protéger : le bienfaisant personnage serait-il justement représenté devant la lagune vénitienne, aux vagues légères soutenant quelques vagues bateaux ?

Des dessins véronais, le plus délicat est peut-être celui qui accueille le visiteur, attribué à Francesco Bonsignori, portrait d’une gente dame stylistiquement et géographiquement entre Holbein et Raphaël. Terminant et commençant ce premier "tour" dédié à la Renaissance, le beau dessin précède la partie intérieure de l’exposition, consacrée aux maîtres du 17ème siècle.

...et fastes baroques

Et si derrière ce foisonnement du desin italien du 16ème siècle se cachait une volonté de synthèse des styles ? C’est chose faite avec les Carrache et leurs élèves puis suiveurs qu’on retrouve (chrono)logiquement en fin de parcours. Dans la famille bolonaise oeuvrant aussi à Rome, Annibal se distingue notamment par l’acuité de ses têtes, qu’il restitue la psychologie d’une femme ou représente un lion avec réalisme. Ce même souci d’étude naturaliste trouve une réponse quelque peu différente chez son cousin Augustin : son Jugement de Salomon s’inspire clairement des fresques vaticanes de Raphaël, maître revendiqué par les Carrache. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, quasi contemporain des Carrache, Baroche, artiste natif d’Urbino comme Raphaël, entame la même démarche de prégnance du dessin d’après nature de son illustre compatriote ; l’Étude pour une sainte Madeleine soutenant la Vierge illustre bien les recherches primordiales à l’équilibre des formes et des compositions attesté par son oeuvre peinte. L’un des élèves les plus talentueux d’Annibal Carrache, Guerchin, rend compte ici avec son Saint Marc taillant sa plume pour écrire l’Évangile de la force de son style : fondé sur certaines fortes valeurs d’ombres et de lumière comme dans sa peinture, son dessin se montre nerveux mais maîtrisé ainsi que le souligne l’expression concentrée du personage. L’Homme lauré contemplant un crâne de Salvator Rosa est de même traversé par une recherche psychologique, tirant plus vers le morbide à la manière de son maître Ribera : du crâne ou du personnage, on ne sait lequel dégage le plus de vie tant les traits de plume et de lavis semblent évanescents dans cette réflexion évidente sur la mort. Quant aux oeuvres les plus récentes, elles sont dues au romain Pier Leone Ghezzi avec deux scènes de la vie religieuse qui, bien que relativement statiques avec l’usage fort du trait horizontal, acccentuent les rendus de physionomie, partant parfois vers la caricature avec cette laideur crue des personnages.

Baroche, Etude pour une madeleine soutenant la Vierge - 11.8 ko
Baroche, Etude pour une madeleine soutenant la Vierge

Au coeur de cette exposition, Venise revient enfin avec un petit album anonyme réalisé autour de 1600, dont on découvrira l’ensemble des 42 pages grâce à un écran qui en met plein la vue, pas tant pour la qualité des images plutôt descriptives que la fatigue du regard face à un plat écran multimédia. Une gêne qui ne doit pourtant pas décourager les amateurs de Venise, entre son doge et sa lagune, ses gondoles et ses puissants : au milieu de ces célébrités, les dames se tiennent bien droites dans leurs vêtements somptueux et surtout bien perchées sur leurs hauts talons (mode féminine habituelle à l’époque, évitant aussi de se mouiller dans la cité au bord de l’eau).

Souvenirs de fêtes vénitiennes, qui clôturent une manifestation vouée au rassemblement esthétique, où les affres de la géographie italienne ancienne cèderont désormais la place à la diaspora orchestrée de ces dessins dans les collections publiques françaises. Mais gageons que, dans cette exposition, quelques efforts suffiront à concilier l’encyclopédisme le plus strict à la délectation forcément de rigueur.

Les photographies sont tirées d’un article : le texte et les illustrations, du Site de La tribune de l’Art

Tous mes remerciements à Céline Parant et Anthony Boile qui, par leurs conseils avisés, ont su corriger quelques orthographes italiennes discutables.

par Benjamin Couilleaux
Article mis en ligne le 9 août 2005

Informations pratiques :
 dates : du 10 juin 2005 au 29 août 2005
 lieu : Musée du Louvre, aile Sully, 1er étage, Salle de la Chapelle, 75001 PARIS
 horaires : ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9H à 17H30, et jusqu’à 21H30 le mercredi et le vendredi
 tarif : entrée comprise avec le billet du musée

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