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Entretien avec Morgan, "webmistress" du site Mangaverse

A l’heure où fleurissent les sites les plus divers dédiés aux mangas, Mangaverse se distingue par une facture excellente. Outre ses nombreuses chroniques, données et autres contenus de qualité, le site est parvenu à fédérer un grand nombre d’internautes passionnés de mangas en un e-salon de discussion fertile. Une étape incontournable pour les périgrinations virtuelles de tout mangavore digne de ce nom.


Peux-tu rapidement te présenter ?

Alors, je m’appelle Morgan (en fait, non, mais c’est mon petit côté star qui se la joue anonyme...), je vais avoir 27 ans (eh oui, moi, contrairement à d’autres, je n’ai pas honte de mon âge), je bosse dans l’informatique, et je suis donc la webmistress de Mangaverse, site sur lequel je bosse seule...

Et nous présenter le site Mangaverse ? Quelle est son histoire, sa philosophie ? (JPEG)

Euh, on a combien de pages disponibles ? OK, je vais faire court... Donc Mangaverse est né en mai 2001. J’avais déjà fait un premier site quelques mois auparavant mais je m’étais rendue compte que la partie que j’aimais mettre à jour concernait les mangas. Je surfais pas mal, je connaissais des sites comme Ryoweb ou Mangajima, je me disais que je pouvais moi aussi apporter ma petite pierre... Le site a commencé très modestement, avec quelques critiques mangas et animes (assez pitoyables). Puis à force de toujours retrouver les mêmes questions sur les forums, j’ai rajouté des rubriques qui pouvaient être utiles : le planning complet des sorties françaises, les couvertures, la possibilité pour un visiteur de donner son avis sur un manga... Il y a aussi des rubriques qui ont vite disparu, des rubriques qui n’ont même jamais été mises en ligne. Et puis en mars 2003, j’ai eu un gros ras le bol. J’ai été à deux doigts de tout arrêter, lire des mangas m’était devenu insupportable parce que j’en avais trop lus, surtout des titres qui ne me plaisaient vraiment pas. J’ai donc changé un peu le site, que ce soit visuellement, avec toujours une volonté de le garder propre et personnel, qu’au niveau de « l’esprit » qui l’anime, avec pour simple but de titiller la curiosité des visiteurs tout en me faisant plaisir : arrêter les animes et en rester aux mangas, parler des titres qui ne sont pas toujours forcément hyper mis en avant dans les librairies, sans pour autant avoir la moindre intention de glisser dans un pseudo élitisme que certains se plaisent à voir alors que je ne fais que parler des titres qui me plaisent, mais aussi parler d’autres choses, de BD européennes, américaines ou autres, de livres... Mangaverse, c’est un site sur les mangas mais pas seulement, c’est vraiment un site « personnel » où je mets beaucoup de moi-même, la rubrique Le Salon par exemple est extrêmement importante à mes yeux... Bref, j’en suis venue à faire le site pour moi, s’il plaît à d’autres, tant mieux, sinon tant pis, je n’oblige personne à venir. Le tout, c’est que le site n’a aucunement la prétention de vouloir être un site de « référence », ce n’est qu’un simple site personnel dont je fais ce que je veux comme je l’entends... Une chose est sûre, je ne pensais pas que, 3 ans après, le site serait encore là... Et qu’on m’interviewerait pour ça !

Et pour terminer les présentations, un petit mot sur la communauté mangaversienne : comment s’est-elle formée, comment la définirais-tu ?

La communauté mangaversienne... Je ne suis pas sûre qu’on puisse parler de communauté. Il est vrai que le site a gagné des habitués qui, par l’intermédiaire du forum (arrivé sur le site quelques mois après ses débuts parce qu’on m’en avait réclamé un), se sont virtuellement rencontrés (mais pas seulement virtuellement pour un certain nombre). On finit petit à petit par se connaître un peu, donnant peut-être l’impression de l’extérieur qu’on est un petit groupe fermé. Mais c’est faux, il y a constamment de nouveaux arrivants, les modérateurs du forum (que je remercie infiniment pour leur dévouement et leur travail) ne sont pas si méchants (enfin, pas tous) et tout se passe généralement très bien... (JPEG)

Le site est en permanence à jour de toutes les sorties, et informé de tous les plannings : comment parviens-tu à suivre d’aussi près l’actualité ? Cela doit demander d’avoir tissé un sacré réseau ?

L’avantage du site, c’est qu’il y a suffisamment de rubriques différentes sur lesquelles travailler pour que je ne me lasse jamais complètement (même si parfois, la lassitude prend quand même le pas et que je préfère m’éloigner un peu du net... lassitude qui ne vient d’ailleurs pas du site en lui-même mais plutôt du comportement d’une certaine partie de ces « fans » qui finit par m’exaspérer...). Au niveau des sorties françaises par exemple, ou japonaises, je prends ça comme un jeu, ça me défoule, ça me vide la tête. Pour le planning japonais, j’ai appris à fureter sur les sites des éditeurs japonais (alors que je ne cause pas un mot de japonais... je remercie le mec qui a inventé le mot ISBN...). Pour le planning français, j’ai pour règle d’être à peu près sûre qu’un titre soit vraiment sorti un peu partout avant de l’indiquer disponible (il n’y a pas que Paris en France, en province aussi, il nous arrive de lire quelques mangas :) : inutile d’expliquer la galère avec certains éditeurs à la distribution plus que chaotique. Je me fie à quelques sites web marchands et à la newsletter de mon libraire qui indique ses arrivées, c’est bien pratique. Sans oublier certains éditeurs qui m’envoient leur planning... Mais bon, niveau news, je pense être bonne dernière de tous les sites mangas, je ne fais que piocher dans les multiples news dont le forum regorge grâce à des internautes qui sont très au courant (ils m’épatent mais j’ai l’impression parfois d’être submergée). Vu que d’autres sites sont spécialisés là-dedans et font ça très bien, je ne vois pas trop l’intérêt d’être moi aussi à courir après les scoops, ce n’est pas le but du site et toute personne qui viendrait sur Mangaverse uniquement pour ça serait vite déçue.

Peux-tu faire un commentaire sur le catalogue de couvertures variées qui figurent sur le site : comment s’est-il constitué ?

Petit à petit... Ca a commencé tout bêtement : tout le monde râlait contre les « horribles couvertures françaises de Kenshin de Glénat alors que les japonaises étaient siiiiiii belles ». C’était bien beau mais personnellement, les couv’ japonaises, je ne les avais jamais vues. Alors j’ai cherché, vite trouvé, je me suis dit « mettons-les en ligne si jamais quelqu’un demande à les voir ». Et depuis, j’en rajoute régulièrement, petit à petit. Trouver les couvertures sur les sites japonais de Shueisha, Kodansha, Hakusensha ou Shogakukan, c’est assez facile... Avec d’autres éditeurs, ça devient tout de suite bien plus galère... Je trouvais également marrant de mettre des couvertures d’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis, histoire de voir quels mangas ils pouvaient connaître et quel style de couvertures ils adoptaient... D’ailleurs, cette rubrique Couvertures plaît beaucoup, semble-t-il. J’ai assez souvent des mails de visiteurs qui m’envoient telle couverture qui manque, qui aimeraient voir celles de tel titre...

Que trouves-tu de remarquable dans les couvertures de mangas ?

Qu’on puisse s’empêcher de lire un manga sous prétexte qu’on trouve la couverture moche ! Quand je pense que j’ai failli louper Stratège ou Dragon head à cause de ça... Sinon, j’avoue ne plus y prêter plus d’attention que ça. Ca m’amuse de les chercher, de les mettre en ligne mais c’est tout, ce n’est qu’une information de plus sur un manga, et pas la plus importante. Ce n’est qu’un emballage, si je puis dire, ça ne présume en rien de ce qu’on trouvera à l’intérieur. Donc, y trouver quelque chose de remarquable, euh... Joker :) Mais je ne fais pas super gaffe non plus aux couvertures de BD d’autres pays donc... Mais bon, il y en a certaines que j’aime bien, c’est sûr (quel magnifique enchaînement :)

Quelles sont celles que tu préfères, et pourquoi ?

De mémoire comme ça, je dirais celles d’Eden (la 8 notamment), pourquoi, je ne sais pas, peut-être juste parce que j’aime beaucoup ce manga, le style de dessin, les couleurs choisies pour la couv... Planètes volume 1 est superbe aussi, Hachimaki qui nous regarde, minuscule humain dans l’espace... J’aime bien les couvertures qui me font ressentir quelque chose, celles qui sont juste « belles » graphiquement me laissent souvent assez insensibles. Les couvertures de Nana aussi, il s’en dégage beaucoup de vie mais aussi pas mal de mélancolie... Peut-être tout simplement que je ne fais que reporter sur la couverture ce que je ressens du manga...

Mangaverse propose des chroniques, des biographies, des fiches variées, et couvre également l’actualité manga : c’est un site universel de l’univers du manga. Comment travailles-tu à la construction et au remplissage du site ? Quel temps cela te prends-t-il ?

Je travaille à l’envie, uniquement. Au bout de 2 ans de travail, je finissais par ne plus faire les mises à jour qu’en mode automatique, sans plaisir, c’était nul. Maintenant, je ne fais plus que ce qui me plaît. Alors je travaille un peu par phase, étant quelque peu lunatique (en plus d’être totalement caractérielle ce qui m’empêche plus ou moins de bosser en équipe... mais si je travaille seule sur le site, c’est bien par choix). J’ai des phases où je suis à fond dans l’écriture de chroniques, d’autres où lire un manga m’ennuie et où je préfère le travail de recherche sur les mangaka ou les couvertures, d’autres où je suis à fond Histoire du Japon pour des chroniques du Kotatsu, etc. Sans oublier le travail quotidien de mise à jour des plannings. Et puis les événements spéciaux, comme le mois de décembre qui est l’occasion d’un look spécial Noël avec par exemple des images d’entrée changeant chaque jour, etc. Le but est que le site ait sa petite étincelle à lui, sa vie propre. Evidemment, ça me prend un maximum de temps, la quasi-totalité de mon temps libre, au grand détriment de la personne avec qui je vis qui me fait quelques petites réflexions ici et là (et c’est bien normal). Donc, il y a des moments où je suis à fond sur le site et d’autres où je n’assure que le strict minimum (parce que bon, il n’y a pas que le manga dans la vie :)... Mais ça se compte en pas mal d’heures par semaine, dix, vingt, plus, je ne sais pas... Il m’arrive d’en rêver la nuit, de me réveiller hyper tôt le dimanche matin pour aller y travailler... (JPEG)

Cette interview est réalisée dans le cadre d’un dossier sur le manga et la japanimation en France : Peux-tu donner une analyse rapide du phénomène, tes impressions à son sujet, et la manière dont tu penses qu’il va évoluer ?

Niveau japanimation, j’aurais un peu de mal vu que je ne suis rien du tout niveau animes japonais, hormis bien sûr les Ghibli au cinéma. Mais après tout, on a bien Innocence de Oshii en compétition à Cannes cette année ! C’est d’ailleurs assez ironique vu qu’à côté de ça, j’aime beaucoup l’animation en général, je tente d’aller au Festival du Film d’Animation d’Annecy chaque année (bientôt l‘édition 2004)... Niveau manga, ça fait un peu peur... On croule sous le nombre de sorties chaque mois, il y a très souvent de nouveaux éditeurs, tout le monde y va de son magazine de prépublication, les magazines sur le sujet poussent comme des champignons (mais se révèlent parfois bien éphémères)... J’ai un peu peur que ça se termine par la déroute des plus faibles, la fin des titres « ambitieux » qui ne marchent pas autant qu’un Love Hina... Autant certains éditeurs, les plus installés, gèrent à peu près leur nombre de sorties, autant d’autres sortent une avalanche de titres sans qu’on s’y retrouve forcément niveau qualité. En ce moment, c’est le manhwa (BD coréenne) qui est à l’honneur, tout le monde veut s’y mettre... Personnellement, ça ne me dérange pas dans la mesure où ce qui ne me plaît pas, je n’achète pas, mais à part risquer de noyer le marché, de faire peur aux lecteurs qui finissent par ne plus trop savoir où donner de la tête... Pas sûr que le marché soit assez stable et solide pour tenir le coup. Mais bon, on verra et en attendant, on peut profiter d’une bonne diversité de titres, pour tous les styles, tous les âges, ce qui est après tout le plus important, en espérant que tous se verront publiés en intégralité. 2004-2005 devrait être une année charnière, ça passe ou ça casse...

J’aimerais parler du mangaverse festival : quelle est son histoire ?

L’idée de départ vient d’un habitué du site (coucou, Key). Dans le livre d’or de Mangaverse, il a proposé l’idée d’un grand sondage parallèle à l’Anime Grand Prix d’Animeland. De fil en aiguille, ça a donné en janvier 2002 le premier Mangaverse Festival. C’était très artisanal, ça m’a donné un boulot monstrueux mais les visiteurs en avaient l’air contents, j’ai donc renouvelé l’expérience en me focalisant sur des catégories uniquement manga, mais en gardant deux types de catégories : les classiques et d’autres moins habituelles. Chaque année, je tente de l’améliorer un peu, de changer quelques trucs ici et là pour le rendre plus intéressant, plus divertissant. Le but reste toujours de piquer la curiosité des visiteurs (« ah tiens, c’est quoi ce titre dans telle catégorie ? ») tout en les amusant (j’ai remarqué que les visiteurs adoraient les sondages :).

Et comment se présente le festival de cette année, tant dans les tendances que pour son audience ?

Niveau audience, il a été meilleur cette année que les années précédentes. Plutôt logique, le site génère un peu plus de trafic également et certains habitués ont fait de la pub sur d’autres sites (merci à eux). Bon, ça n’a pas amené que des remarques sympathiques (j’ai l’habitude). Mais il y a eu plus de votes même si cette année, la sélection était faite par un jury de 20 personnes. Chose qui n’a pas été du goût de tout le monde mais Mangaverse n’a pas pour vocation de caresser dans le sens du poil... Niveau tendance, forte prédominance de Nana, pas mal de 20th century boys et de Nouvel Angyo Onshi et GTO reste une valeur sûre... Pas étonnant que Pika nous sorte tous les Fujisawa !

Parlons un peu mangas : quels sont tes goûts ? tes références ?

Mes goûts sont assez diversifiés, à force d’avoir lu pas mal de mangas en quelques années, j’ai appris à faire le tri (de toute façon, on ne peut pas tout acheter et tout lire). C’est à force de lire qu’on finit par trouver ce que l’on aime et mes goûts ont pas mal évolué, changé, je me suis plus ouverte à certaines choses grâce aux conseils de certaines personnes. Mes incontournables restent Akira, mon premier manga, et Nausicaä où j’arrive toujours à trouver de nouvelles choses à chaque lecture. Mais j’aime beaucoup Planètes, Nana, Parasite, Mars, Banana fish, Stratège, Dragon head, Ikkyû, Monster, Lone wolf and cub... euh non si je les cite tous, on va en avoir pour un moment... Mais j’avoue être assez lassée du style shônen, même si j’apprécie beaucoup Hikaru no go, Rookies, Slam dunk ou, étonnamment, Bleach (et je ne vais pas non plus m’empêcher de m’intéresser à un titre sous prétexte que ce serait un shônen). Je fais un réaction allergique à Katsura et je n’arrive quasiment plus à lire un seul Clamp...

Peux-tu nous parler un peu de Nana, série très prisée par les mangaversiens, et qui a remporté un gros succès lors du festival ?

Nana me semble être arrivé à point nommé dans le marché actuel pour montrer que le shôjo ne se résumait pas à quelques amourettes entre la niaise de service et le beau mâle idole des foules (ce n’est certainement pas le seul, prenons par exemple Please save my earth d’Hiwatari, mais ça reste l’étiquette réductrice souvent collée au shôjo). Le style de dessin est original (et pas forcément engageant au premier abord, ça oblige à dépasser certains préjugés et a priori), il ne ressemble en rien à du Clamp ou du Watase mais il extrêmise le côté fil de fer qu’on trouve souvent dans les shôjo tout en jouant à fond sur le côté fashion victim sans être pour autant superficiel. On ne suit pas un couple en particulier, contrairement à ce qu’on lit souvent dans d’autres shôjo quitte à oublier les personnages secondaires (qui a dit Ayashi no Ceres ? :), mais tout un groupe d’amis qui doivent apprendre ce que c’est que de devenir adultes, responsables, indépendants, de devoir gérer des relations de couple pas toujours idylliques ou rose bonbon, qu’elles soient durables ou coup d’un soir. C’est plutôt rafraîchissant de lire ça, de voir des jeunes adultes tentant de prendre leur vie en main, qui ne passent pas 5 volumes à juste se regarder dans le blanc des yeux, qui n’idéalisent pas l’autre, qui se plantent, doutent. Cela alterne un humour pas lourd avec des moments d’émotion très forts, grâce à quelques regards, des sous-entendus, quelques mots. Sans oublier la relation unique entre les deux Nana, extrêmement forte et profonde, hyper-sensible, complexe. Elles ont toutes les deux un caractère qu’on croit avoir percé dès le premier volume mais qui se révèle à chaque volume bien différent de notre première impression. Je suis sûre que ce manga aura permis à certains lecteurs de (re-)découvrir le shôjo avec un autre regard. Personnellement, je suis fan, surtout que j’y trouve quelques petits (je dis bien « petits ») airs de ressemblance avec Strangers in paradise, comics de Terry Moore que je dévore.

Et as-tu lu Vagabond, la série d’Inoue adaptée du roman Musashi de Yoshikawa Eiji ?

J’ai les volumes, mais ça fait un moment que je ne lis plus la série, je manque de temps. J’ai dans l’idée de tout relire pour me remettre dans le bain, surtout que l’histoire se passe à une période que j’apprécie énormément (juste après la bataille de Sekigahara vers 1604). Je verrai à ce moment-là si je continue ou si je laisse tomber. Mais je reconnais par contre m’être endormie à la dixième page du roman de Yoshikawa Eiji...

Et quels sont les mangakas dont le style te parle le plus, et pourquoi ? Qu’apportent-ils selon toi au genre ?

Pffff, elles sont dures ces questions :) J’aime beaucoup le suspense d’Urasawa, qui arrive à nous trimballer sans problème (même si c’est loin d’être son seul talent), j’aimerais connaître plus de mangas de Mitsuru Adachi dont j’avais adoré Short program (et Niji-iro Tohgarashi me fait beaucoup rire, on va d’ailleurs bientôt pouvoir découvrir Touch et Rough), Jirô Taniguchi a un style de dessin et de narration capable de merveilles d’émotion, Osamu Tezuka, même si je suis bien loin d’adorer tout ce qu’on sort de lui, est un maître de la narration et montre admirablement qu’un dessin simple ne signifie pas une histoire simpliste, Taiyô Matsumoto m’a totalement bluffée dans Ping Pong et me donne envie de relire ses précédentes oeuvres. J’attends beaucoup de Shuhô Satô avec Say hello to black Jack et Umizaru, ainsi que de Tsutomu Takahashi avec Jiraishin. Je peux continuer cette liste trèèèèès longtemps :) Difficile de dire ce qu’ils apportent, je dirais que ressentir que l’auteur s’est impliqué à fond dans son manga peut parfois faire toute la différence...

Les publications d’auteurs comme Adachi (Rough et Touch achetés par Glénat), Taniguchi (chez Casterman, mais aussi chez Kana à présent) ou encore Tezuka (MW et Bouddha entre autres) se multiplient : penses que tu que le marché va évoluer vers de plus en plus de publications "adultes", ou que cela va rester en marge par rapport à une production majoritairement destinée aux ados ?

Le public manga se diversifie, l’offre doit donc se diversifier également. Quand le manga est arrivé en France, des publications plus adultes, ou du moins un peu différentes, ont été tentées au milieu des classiques shônen de baston ou de romance à la Dragon ball ou Video girl Ai. On ne peut pas dire que ça ait eu le succès attendu, il suffit de voir les titres arrêtés par Glénat il y a quelques années ou le peu de succès de titres comme Short program d’Adachi ou Asatte dance chez Tonkam. Des titres arrivés trop tôt, d’ailleurs certains ressortent aujourd’hui tels Black Jack ou Sanctuary... Maintenant, les lecteurs d’il y a 5 ou 10 ans qui ont grandi avec les shônen ont peut-être envie de se laisser tenter par d’autres styles de titres (même si après tout, Touch et Rough sont toujours dans la catégorie shônen... mais le cas Adachi est un peu particulier). De plus, les lecteurs d’autres styles de BD se laissent peut-être également tenter par les mangas : le prix de Taniguchi pour Quartier lointain au festival d’Angoulême de 2003 a peut-être permis à certains de se rendre compte que le manga, ça ne restait pas cantonné à des bastons, des petites fleurs et des culottes (image aussi réductrice que de croire que la BD européenne en reste à Astérix ou Tintin...). Donc j’imagine que le l’offre va rester assez concentrée sur une production assez ado, que ce soit en shônen ou shôjo, ce public-là se renouvelle continuellement et ça reste les meilleures ventes, il suffit de voir que Dragon ball semble toujours bien se vendre (et les éditeurs ne sont pas des œuvres caritatives, ils sont là pour vendre). Mais que les éditeurs vont continuer à élargir leur offre pour ratisser un public large, ne pas perdre le public plus âgé qui a grandi avec les mangas. Après, tout dépend de savoir si ce marché va se stabiliser ou si le nombre toujours plus grand de sorties et d’éditeurs va finir par le noyer, obligeant les éditeurs à faire des choix d’œuvres à sortir en s’en tenant aux plus vendeuses...

Parmi les éditeurs français, quels sont ceux dont le travail est le meilleur ? Et pourquoi ?

Alors là, c’est de la question piège. Je pense qu’il est difficile de juger du fait qu’on ne sait finalement pas grand chose des rouages de la grosse machine éditeur. Au fil des mois, j’ai appris quelques petits trucs sur l’envers du décor qui expliquent souvent pas mal de choses et coupent un peu toute envie de râler (ou au contraire donnent de vraies raisons de râler)... Je dirais que l’évolution positive de Glénat me ravit, que les catalogues diversifiés de Delcourt (même si rien cette année ne m’a encore vraiment intéressée mais j’attends Beck entre autre) et de Génération comics (capable de sortir des bouses comme des bijoux, mais leurs prix m’empêchent de plus en plus de me lancer dans de nouvelles séries) sont les bienvenus, que Pika fait un boulot très propre mais que son catalogue ne m’intéresse guère (sauf exceptions qui confirment la règle, évidemment), que Kana fait les choses à son rythme et arrive encore à nous surprendre avec une collection d’auteurs, j’attends également beaucoup de la nouvelle collection de Casterman. Les petits nouveaux vont avoir pas mal de boulot pour s’imposer, mais ça peut les obliger à trouver des œuvres différentes pour se démarquer... Il y a un peu de tout, en fait... On pourrait trouver ma réponse très consensuelle, très politiquement correcte mais connaître quelques détails « internes » relativise pas mal de choses et je préfère en rester au positif. (JPEG)

Pas un mot sur Tonkam, maison d’édition "historique" des mangas en France ?

Il y a quelques années, j’étais une grande fan de Tonkam, j’ai découvert grâce à eux des titres formidables. Mais la donne a changé depuis et c’est un éditeur qui m’a personnellement beaucoup déçue. D’autres maintenant me semblent plus intéressants dans leur choix et leur évolution (je lis toujours quelques Tonkam mais je reconnais que ce n’est pas vers eux que se tourne en premier mon regard quand vient le moment des nouvelles annonces). Mais après tout, on ne sait pas ce que nous réserve l’avenir...

Et sinon, que penses-tu de la politique éditoriale de Kana, qui associe à sa collection phare de Shônen les publications de sa nouvelle collection d’auteurs dont tu parlais plus tôt ?

Les deux collections ne visent pas le même public. Quand Kana est arrivé, la demande était shônen et ils ont su se trouver un public important avec ça. Maintenant, c’est le seinen qui commence à faire parler de lui. Le but de Kana n’est certainement pas de faire passer son public shônen à du Taniguchi ou du Matsumoto mais plutôt d’intéresser le public de BD autres que le manga. Le manga ne doit plus être vu comme un style de BD à part, l’heure est plutôt au mélange des genres. Pourquoi en rester aux mangas quand il y a de si bons titres venant d’ailleurs (et inversement) ?

Enfin, le manga et la japanimation sur internet : comment perçois-tu le phénomène ? Quelle est son importance dans la diffusion et sur le succès des mangas en France ?

Je ne le perçois pas vraiment. Hormis les sites officiels, je ne vais sur aucun autre site « amateur », hormis pour des recherches précises, afin de garder mon libre arbitre et ne pas du tout être influencée dans ma manière de faire (ça peut paraître extrême mais je suis très influençable). Tout ce que je peux dire, c’est que quand on est sur le net, on se plaît vite à croire que tout le monde y est et on prend vite l’habitude de se dire que tout le monde est au courant de tout. Il est évident que les scans de mangas non licenciés en France (par Iscariote par exemple qui fait du très bon boulot) aident à faire connaître les prochains succès des éditeurs. Mais de là à connaître l’impact réel, sans chiffre officiel, ça me paraît sacrément hasardeux.

par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 16 juin 2004

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